Benoit Vincent | Heidegger à la plage 8

 

1.

On ne sait plus comment il a réussi à grimper sur cette dalle noire, inclinée et coupante de schiste, toujours est-il qu’elle offre un panorama comme qui dirait imprenable. Prenable ou non, la vasque formée par les écueils est simplement, apparemment, belle, féerique, plus justement mirifique, si les Nibelungen avaient pu rejoindre les rivages méditerranéennes, qui sait quels impérissables vers ils auraient gravés sur les marbres, qui sait quelles créatures auraient forgé ces paysages, et dans quel but ! (Autre chose que ces dégénérés romantiques de Kleist, Rilke et même Schelling !)

Deux grandes pierres plates, carrément levées à angle droit, comme plantées verticales, forment une espèce de paroi. Côté montagne, l’éboulement de gros blocs hasardeux présentent diverses ocelles, souvenirs de tempêtes passées, où viennent pourrir quelques algues brillantes de sel, décolorées.

À gauche un grand tablier de ce schiste majestueux et froid, avec de grands dossiers du même, où se lover, n’était l’angle trop aigu et l’arrête contondante. Toute la pierre noire schiste, régulièrement veinée de marbre blanc. C’est discrètement élégant et souvenir pétrifié, au vu des renversements de strates, de la violence des ères géologiques locales.

Toute l’eau est bleue, mais turquoise, et la mer s’enfonce profondément, à l’image de la pente de la montagne surplombant, cinq mètres, dix mètres, cent !

Toute la partie intertidale, écueils aussi partout, est couverte d’une dense et cotonneuse prairie basse à cistoseires, queues de pan ou rissoelles. Paysages d’une autre échelle : marcher doucement dessus est comme courir dans l’alpage, à peu de chose près ; s’y asseoir, regarder les nuages.

Ce ne sont pas les nuages qu’il regarde pourtant, mais la forme de l’eau. Comme eux celle-ci est changeante : n’est-elle pas du même tissu ?

C’est une contemplation aussi infinie qu’infiniment inédite. Elle appelle aussi à l’oreille, les sons des vagues, de leur fracas, et même le son qu’elles produisent lorsqu’elles se retirent, cette aspiration, et même lorsqu’elles sont loin du rivage, leur ondulé sonore, leur éclaboussure, leur voussure, leurs gargouillis et leurs épurges qui s’étranglent et s’étirent dans les cunicules de la roche.

C’est inédit, infini. C’est toujours différent et pourtant c’est toujours l’eau , la forme de l’eau, la forme de ce qui échappe à la forme – qui les épouse toutes.

 

2.

octobre
Laisser là l’eau
alors froide comme elle noircit
dans le fond du jour

Celui-ci en slip de bain
déplie sa canne à pêche et sort
depuis vingt minutes
de petits sars

L’eau est dure
bien que toujours transparente
opaque, dans le tramont

Depuis la terrasse,
un verre de traminer
seul, le regard
échoué d’angle mort
apaisé.

Eau épouse nuit.

 

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