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Gilles Amiel de Ménard & Benoît Vincent • Les ressorts objectifs de la création

Ce texte est la version brute de réflexions menées en marge du champ politique ; elles consistent à dédramatiser les discussions sur tel ou tel film, disque, livre. Le texte est brut en ce sens qu’il est dénué d’exemples concrets qui pourront, le cas échéant, être ajoutés en note.

Paris 19e


Bien qu’éminemment subjective, tant dans sa production que dans sa réception, l’œuvre d’art, quelque discipline artistique que ce soit1 peut tout de même être analysée par le moyen de quelques ressorts objectifs que l’on présuppose universels, c’est-à-dire adaptables ou applicables à toutes les œuvres de tous les temps, et pour l’ensemble d’un public, dans la limite, néanmoins, bien évidemment, d’un domaine culturel donné, d’une région, d’une « civilisation » donnée.

Nous chercherons ici à en poser quelques-uns, simples, principiels.


1. Le point de vue singulier

Définition possible du territoire singulier

Une proposition ou un propos artistique nous apparaît en tout premier lieu comme un point de vue singulier, une espèce d’avis, de photographie, de condensé de sentiments ou d’émotions portés par un unique individu. On pourrait décrire ce point de vue comme le regard personnalisé de l’artiste sur le monde, le découpage de son territoire personnel. Une position donnée, voire une position prise, jetant un point de fuite et une perspective particulière sur le monde, par le biais de la mise en forme de sentiments.


1.1 Le point de vue

Celui-ci lui est propre et plus celui-ci lui sera propre, endémique, pourrait-on dire, plus il sera juste, c’est-à-dire en cohérence avec ce qu’il va pouvoir en tirer comme forme en soi. Il n’est ni vrai ni beau a priori, il est simplement en relation directe avec la subjectivité de l’auteur, subjectivité qui est tout sauf un donné transparent à lui-même, mais au contraire qui reste toujours à trouver, à définir, à préciser, à ajuster.


1.2 Singularité et originalité

Nous avons parlé à plusieurs reprises de singularité. Ce terme est capital. La singularité s’oppose à l’originalité en ce qu’elle est unique, spécifique à un parcours dans le temps et l’espace. L’original n’est pas forcément subjectif, n’est pas unique mais nouveau formellement, renouvelle la forme, certes, mais pour ainsi dire formellement, à vide, et déconnecté de toute nécessité expressive. En tant que tel, il est surtout remarquable par son inadéquation avec l’esprit du lieu ou du moment ; le singulier est au contraire tout attaché à l’esprit du lieu ou du moment, mais sa proposition, en terme de contenu, est nouvelle en tant qu’unique, elle n’a jamais été formulée auparavant. Sa forme est nécessaire, ou tend à l’être. Quand la forme doit être profondément renouvelée, voir créée ex nihilo, c’est parce qu’aucune autre forme préexistante n’est à même d’exprimer la singularité trouvée par l’artiste. Elle ne saurait ainsi être gratuite. Et elle ne saurait non plus être vraiment adaptée à un autre propos, ni faire véritablement école. Se demander comment être novateur, c’est cesser de vouloir faire œuvre artistique. Le nouveau artistique, lorsqu’il advient, arrive comme par surcroît.


2. La forme

La singularité va donc s’exprimer sous la forme… d’une forme. Cette forme peut soit être déjà existante, soit être totalement nouvelle à son tour. L’essentiel est que c’est le propos singulier qui indique, nécessite, cherche sa forme, jamais l’inverse. Une forme a priori ne pourra jamais “coller” exactement à un propos artistique qui ne l’aurait pas engendré. C’est bien tout le problème d’une grande partie de l’art contemporain qui de ne fait que chercher des propos à des formes censées être tenables a priori.

Parfois l’artiste sent sa forme dévier de l’axe singulier qu’il s’est donné ; il doit alors chercher de toutes ses forces à ramener la forme dans l’horizon de son travail.

En tout état de cause, totalement inédite ou adaptation nouvelle de formes préexistantes, la forme présente à la fois deux versants :


2.1 L’expression de la singularité du propos…

La forme est l’unique moyen qui puisse correspondre à la singularité du point de vue de l’artiste, il n’y a pas deux formes possibles pour une même idée, bien qu’il puisse y avoir différentes facettes de la même forme pour cela.


2.2 …pour une communication universelle

Or cette forme du tout-singulier doit, pour s’accomplir, pouvoir trouver un auditoire et donc permettre à ce que quelques-uns, le plus grand nombre possible, puisent se retrouver dans la forme, la saisir, la comprendre.

Evidemment ces énoncés objectifs ne sont pas isolés ; il y a tout un travail d’intersubjectivité entre l’auteur et le public où peuvent se jouer toutes les passions, les goûts et les couleurs, et ils sont évidemment présents des dès l’origine.


3. L’itinéraire

L’œuvre d’art peut donc être considérée comme le cheminement de l’artiste, qui va façonner son propos singulier et le sublimer en une forme qui lui soit fidèle à destination d’un public le plus large possible.

Parfois, la construction du propos artistique prend une vie entière. Pareil pour la recherche de la forme. Il n’est donc pas si innocent pour l’artiste de s’exposer au public, et il n’est pas rare que l’œuvre d’art ne soit pas encore totalement mature. Cela n’empêche : on est pris de vertige, lorsqu’on est ému, bousculé, renversé ou choqué par une œuvre d’art dont la forme est en adéquation avec le propos (quelque violence que cela puisse représenter, on dira que l’œuvre d’art est en paix) ; celle-ci sera toujours cent fois plus efficace, plus juste, plus sincère, que n’importe quel autre artefact2.

Derek Munn • Conte à rebours

Derek Munn vit et écrit à Bordeaux, il a publié un roman : ‘Mon cri de Tarzan’ (Laureli/Léo Scheer), un recueil de nouvelles : ‘Un paysage ordinaire’ (Christophe Lucquin éditeur) et des textes dans plusieurs revues.


Le prince meurt à la fin.
Son prince.
Cela devait arriver, c’est elle qui l’a sacré, elle n’avait rien d’une divinité, elle était simplement une princesse de tous les jours.
Sa princesse.


Elle revient à ses vieux souliers, troués, pleins de cendres. La forme de ses pieds a changé, mais elle ne fait plus cas de ses douleurs. Si le chemin est interminable, il ne va nulle part, elle n’est pas pressée. Le château cesse de rêver, se plie derrière ses pas, adhère à ses semelles. Les pièces sont essoufflées, les bruits qui les transpercent sont générés par les voisins.


Quand ils ont enlevé la dépouille, elle est restée assise à côté du lit. Elle regardait l’empreinte sur les draps. Elle ne l’a pas touchée, cela aurait été impudique dans cette compagnie. Le froid montait dans son ventre, elle a plongé ses poings entre ses cuisses pour essayer d’étancher la vie qui fuyait. Elle s’est dit qu’il était raide pour toujours maintenant, qu’il bandait tout entier afin de pénétrer le vide. Mais le vide en elle était si vaste, plus rien ne suffirait.


On est venu lui poser les mains sur ses épaules.
On lui disait qu’on comprenait.
On était partout.
On l’entourait.
On était tous les autres.
Cela a continué pendant un temps, on venait sonner, lui apporter le monde, des paquets d’enfants, du chocolat, des plantes. Du bonheur en creux. Tout ce qu’elle, tout ce qu’ils n’ont jamais voulu. Puis on l’a laissée. Elle était ce qui restait, tout ce qui n’était pas on.


Chaque jour elle se traîne sous un ciel de mots, chaque nuit elle rêve le dictionnaire de sa vie. La maison s’assombrit, le temps, l’espace se rejoignent, les heures s’entassent, s’émiettent. Dans le miroir elle paraît comme un paysage inhabité.


Absorbée par la froissure blanche de l’absence de corps, elle est respirée par l’air, elle entend des pattes de souris sous la voûte de son crane, des ailes de chauve-souris font chut ! Dans le noir, une voix répète, Il était une fois…


Marc Perrin • Spinoza in China | 13 novembre 2011

Feuilleton itinérant publié par Hors-sol, La vie manifeste, Libr-critique et remue.net.


 
 
 
Puis. Le 13 novembre 2011. On retrouve Ernesto dans les allées ombragées de People’s square square du peuple. On le retrouve, sans tabouret ni pancarte, marchant en célibataire aux côtés des filles et de leurs mères, toutes → à la recherche d’un mari. Ernesto se dit alors eh bien voilà, c’est exactement ça : je ne suis pas assis sur un tabouret, avec une pancarte autour du cou, mon salaire mensuel, mon 06, tout ça, non, moi, je marche, célibataire, aux côtés des filles et de leurs mères, toutes → à la recherche d’un mari.
 
 
 
Je marche à côté d’elles, depuis maintenant peut-être dix ans, trois secondes → + → à peu près deux ou trois siècles → et parfois lorsqu’une fille et sa mère s’arrêtent devant une pancarte, avec salaire, 06, tout ça → parfois → je m’arrête à côté d’elles, un tout petit peu en arrière, et je regarde la courbe de la nuque de la jeune femme. Et → parfois → avec cette sensation d’un regard glissant de son cou jusqu’à toute l’étendue de son dos, parfois → la jeune femme se retourne et elle et moi nous établissons alors ce minimum relationnel → regard + sourire. C’est une joie simple. On se sourit. On se regarde. Par ce sourire on se salue.
 
 
 
Par ailleurs, Pǔtōnghuà signifie langue commune.
 
 
 
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 1/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jamal al-Wadi → distributeur d’instruments ménagers sur toute la Syrie → + → membre du conseil national syrien → il se souvient → tout a commencé à la chute du président égyptien Moubarak → nous étions tous devant la télévision et les enfants Ivan, Maryse & Pavlov sont sorties dans la rue et ils ont écrit sur les murs ce qu’ils avaient entendu → dégage → le peuple veut la chute du régime → ils ont été arrêtés mais cette première arrestation ne les a pas empêchés de recommencer → ils ont été arrêtés une deuxième fois → on a réclamé nos enfants → par ailleurs nos demandes étaient d’ordre social → on a décidé d’agir → ils ont envoyé les forces de sécurité → nous étions en pleine négociation avec les policiers → ils ont tiré sur la mosquée → ils ont dit oubliez vos enfants → ils ont dit faites en d’autres avec vos femmes.
 
 
 
Par ailleurs. Comme tous les dimanches depuis maintenant dix ans, quatre secondes → + → un peu moins de trois ou quatre siècles. Ici. À People’s square square du peuple. D’une part je marche aux côtés des filles et de leurs mères toutes à la recherche d’un mari. D’autre part je distribue une petit tract au format des petites cassettes de dictaphone once upon a time analogique. Je. Distribue ces petits morceaux de papier 5,5 cm sur 3,8 cm sur lesquels j’ai écrit la seule phrase qu’à ce jour j’aie lu de Spinoza → l’amour → est une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure. J’ai fait traduire la phrase en caractère chinois. J’espère qu’elle a bien été traduite. J’espère vraiment qu’elle a bien été traduite parce que depuis 10 ans et 15 secondes → sans compter les siècles → chaque dimanche, dans les allées ombragées de People’s square square du peuple, j’écoute ce que les filles et les mères à la recherche d’un mari me disent après avoir lu la phrase d’amour, une joie, qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure. J’écoute → les sons de cette langue que j’apprends à comprendre, depuis 10 ans, 16 secondes → + les siècles → chaque dimanche. J’écoute le son de cette langue → d’amour, me dis-je. C’est une langue d’amour. Du moins je veux le croire. Cette langue des filles et des mères à la recherche d’un mari, dans les allées ombragées de People’s square square du peuple. J’écoute cette langue. J’écoute et progresse dans l’apprentissage de la Pǔtōnghuà.
 
 
 
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 2/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Dilma Vana Rousseff → présidente de la République fédérative du Brésil → tandis que des centaines de soldats et de policiers appuyés par des hélicoptères déclenchent l’opération d’occupation de la plus grande favela de Rio de Janeiro c’est-à-dire le plus grand bidonville de Rio de Janeiro → la Rocinha → l’intervention a lieu en vue de renforcer la sécurité et de mettre fin au règne des gangs de trafiquants de drogue dans cette favela, dans ce bidonville à flanc de colline où vivent environ 100.000 personnes à proximité des quartiers résidentiels les plus riches de la ville, à proximité des plus belles plages de Rio de Janeiro → l’occupation de cette favela c’est-à-dire de ce bidonville est un volet crucial dans les préparatifs de Rio de Janeiro pour la Coupe du monde de football en 2014 ainsi que dans les préparatifs pour les Jeux olympiques en 2016.
 
 
 
Ernesto marche aux côtés d’une jeune femme célibataire et de sa mère, un tout petit peu en retrait, derrière elles deux. Ernesto regarde la courbe de la nuque de la jeune femme.
 
 
 
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 3/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Mathias Matallah → président de Jalma → cabinet conseil en assurance → il commente le sondage qu’il a commandé à l’Ifop → Institut français d’opinion publique → sondage selon lequel 58% des Français disent avoir renoncé à aller voir un médecin spécialiste en raison du fait que le délai est trop long pour obtenir un rendez-vous → il dit → on constate un fort décalage entre la perception des Français et la réalité → il dit → les délais de rendez-vous proposés par les médecins sont beaucoup plus courts selon les médecins que la perception qu’en ont les patients → il dit que les praticiens et leurs patients ne sont pas disponibles aux mêmes moments → il dit que beaucoup vont détester ce parallèle mais les spécialistes doivent faire la révolution du service sur le modèle de la grande distribution.
 
 
 
Et. Un tout petit peu derrière lui, Ernesto sent comme un regard glissant de son cou jusqu’à toute l’étendue de son dos. Ernesto → pense fugitivement au vieux maîte Wang Taocheng. Ne te retourne pas. Surtout. Ne te retourne pas. Ernesto ne se retourne pas. Il pense je me suis beaucoup retourné depuis 10 ans et quelques siècles, et toujours quand je me suis retourné → grosse grosse grosse déception → jamais rien qui vienne correspondre à quoi que ce soit en relation avec cette sensation de regard dans mon dos. Jamais rien sinon un putain de gros paquet plein de vide. Oui. Aussi, aujourd’hui → Ernesto ne se retourne pas et la sensation du regard glissant de son cou jusqu’à toute l’étendue de son dos petit à petit s’amenuise, disparaît Adieu vieux maître Wang Taocheng. La sensation s’amenuise et disparaît tandis qu’Ernesto s’approche de la jeune femme célibataire, qui de son côté semble se détacher de sa mère, un tout petit peu, juste ce qu’il faut, c’est vraiment super, elle ne lui tient plus la main comme tout à l’heure, c’est vraiment parfait, c’est bien fait, c’est juste → en train de se faire.
 
 
 
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 4/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Chen Maohui → maire de la ville de Zhongshan dans la province du Guangdong au sud de la Chine → tandis que dans Xiaolan Town → l’un des 18 quartiers de la ville de Zhongshan → des villageois attaquent le parc industriel Jinrui, suite à la vente de terres agricoles, sans contrepartie pour eux → le visage de Chen Maohui → tandis que lui revient en mémoire, peut-être, les 90.000 incidents de masse, c’est-à-dire → les 90.000 émeutes, protestations, manifestations, qui selon les observations officielles ont eu lieu chaque année, en Chine, entre 2007 et 2009.
 
 
 
Ernesto est maintenant tout à côté de la jeune femme célibataire.
 
 
 
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 5/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jacques Perrochat → directeur du pôle Solutions Data Center de Schneider Electric → il dit → EcoBreeze™ est une solution modulaire de refroidissement par échangeur de chaleur air-air ou évaporation indirecte → elle se distingue par sa capacité unique de basculer automatiquement entre l’échangeur air-air et l’échangeur à évaporation indirecte et cela afin d’utiliser systématiquement le refroidissement le plus efficace pour le datacenter → EcoBreeze™ réduit la consommation d’énergie → EcoBreeze™ exploite la différence de température entre l’air extérieur et l’air produit par l’informatique pour assurer un refroidissement plus économique du datacenter → EcoBreeze™ est conforme aux normes ASHRAE 90.1/TC 9.9 de rendement et d’économie → EcoBreeze™ se décline en plusieurs formats pour répondre aux besoins de refroidissement de tous les types de datacenter.
 
 
 
MOI TU SAIS J’AI BESOIN D’UN HOMME SUR UN CHEVAL AU GALOP.
 
 
 
Oh pas de problème en ce qui me concerne par perfection et par réalité j’entends une seule et même chose.
 
 
 
Ainsi. Ernesto & Yameng se retrouvent-ils à Shanghai dans les allées ombragées de People’s square square du peuple. Et, illico presto à peine se sont-ils retrouvés que les voilà qui enfourchent un scooter, foncent en direction du pont Nanpu, là-bas, vers l’est → embarquent sur la première vedette qui prend la mer, et → quatre heures et demie plus tard se retrouvent sur l’île du Mont Putuo → là, ils louent un hors-bord et en 15 minutes → droit vers le sud → ils rejoignent l’île Zhujiajian et ses plages → uniques → avec sable fin → + → paysages enchanteurs reconnus par la World Sand Sculpting Academy dont le mandat est de promouvoir la sculpture sur sable → on voit alors Ernesto & Yameng contribuer à l’enchantement de la sculpture sur sable fin de plage unique, avec ébats cheval-écureuil, colibri-taureau, serpent-jument, singe & lapin, éléphant & sirène et tous les animaux de la basse cour et de la haute → + → les animaux des savanes → + → ceux des plaines et des montagnes et ceux des villes. Ou bien. Tout aussi bien. Ernesto & Yameng marchent-ils tranquillement tous les deux jusque vers la chambre d’Ernesto, sous les toits, au-dessus de l’appart de Caroline et Vince Parker. Où qu’ils soient → joie.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

13.11.201
 
http://www.mediapart.fr/journal/international/111111/portraits-croises-de-cinq-membres-du-conseil-national-syrien?onglet=full
http://www.france24.com/fr/20111113-operation-policiere-lutte-narcotraficants-drogue-pacification-rocinha-favela-rio-janeiro-bresil/
http://www.20minutes.fr/sante/822342-20111113-sante-58-francais-renonce-soins-specialises-raison-delais
http://www.reuters.com/article/2011/11/13/us-china-land-protest-idUSTRE7AC0NY20111113
http://fr.wikipedia.org/wiki/Zhongshan
http://www.globalsecuritymag.fr/Jacques-Perrochat-Directeur,20111113,26832.html

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Aurélien Barrau • Le clinamen ne suffit pas

Trop de continu.
Même penché, ça proche.

La turbulence ne suffit pas.

L’hors est toujours trop loin de l’uncliné.
Il faut du deux, il faut du loin.

La larme n’éclot que quand elle décorps. Réussir à s’échouer.

Être de brisure. De souillure qui échappe au délice de son là.
Décliner, c’est encore trop près.
Rompre l’os de la langue et se mourir de sa moelle immonde. S’innerver de la lèpre disséminée des maux. Se repaître de phonèmes amputés. S’installer dans la césure interne avant que ça vers.

Né du bris.
Ex-pulsé de l’antre continué.
La coupure n’est jamais réversible. Le scalpel préexiste au cordon. Il est analytiquement contenu dans son concept. La section est première. Ça commence par la castraction.
L’effracturaction doit infecter le continuum pour détramer de dedans.

Tu flues, mon clinamen.
Tu fuis. Tu fends.
Tu te tort en tous les non-sens.
Tu aguiches les plans d’immondices.
Tu frôles les lignes de furie.
Tu fuis les espace-loin, tu t’ici dans l’incline.
Tu me gangrènes de trop touche.
Ça ne va pas suffire …

Je coupe.
Il pleure.
Ça mal.
Nous crevons d’être.

Il y a trop de nombres entre chaque. Ça se dense. Tous ces transcendants qui pontent les irrationnels … Comment rompre le surliant qui englue ? Comment préserver la rupture dans la pâte-monde qui englobe ? Extraction intérieure par la guillotine du trait. Et fraction.

Regarde, mon ange : ça taillade et ça dissèque. C’est là qu’on (s’)extirpe. Dans la douceur hideuse d’un démembrement disséminé. Regarde bien : l’excision mutilante d’un tissu de verbes pliés se suaire dans le mythe du texte. Ça dévoie dans l’incise.

Trop de distorsions. Il faut que ça casse.
Le rythme du divis comme scansion de devenir.
Les déchets s’embryonnent. Ils se détritus séminaux dans la caverne du livre.
C’est beau que ça résiste par delà l’abîme. Que ça se pathétique d’endurance haletée. Jusqu’à la chaophanie de l’interruption inordonnée. Jusqu’à la brisure orgiaque de l’aliénant du lien.

Il y a de l’autre.
Il y a de l’à.
Mais à condition de s’arracher du non-lieu de l’ourdissage…
Et de revenir, plus vite encore. Que ça frotte sans effriter. Que ça échauffe dans les forés pathologiques de la friction pure.
Que ça déchiquette les lambeaux de chutes.

Me scarifier.
Un défi au laminaire des tiédeurs proches.
Une cinglure de réel dans l’apeau de mon démonde

Marc Perrin • Spinoza in China | 9 novembre 2011

Feuilleton itinérant publié par Hors-sol, La vie manifeste, Libr-critique et remue.net.


 
 
 
Ici → à mi-chemin de la moitié de son premier voyage en 5 rounds → Ernesto → alors âgé de 10 ans et 20 secondes → + → quelques siècles → tandis qu’il regarde par-delà la baie vitrée d’un train filant à grande vitesse entre Beijing et Shanghai → Ernesto est pris soudain par une violente vague de mélancolie. Une espèce de mélancolie → disons → à la mode 19ème → remix 21 → c’est-à-dire → une espèce de mélancolie écartelant Ernesto → côté 19ème → entre quelque chose comme un rejet post-révolutionnaire du christianisme → aux environs de 1793 → et quelque chose comme l’Empire → plus ou moins en 1814 → et → côté remix 21 → une mélancolie → disons → sous la forme d’une sensation de balade en forêt, assez sombre, la forêt → avec une bande d’héritières et d’héritiers, assez sombres également, certaines, certains → les plus sombres → en train d’essayer de reconnaître dans les nœuds des troncs et des branches des arbres → les visages des héros des années 1967 et 1968. Pas une année de plus. Et, là, Ernesto → avec cette sensation de balade en forêt, un peu étrange → Ernesto sent bien que cet endroit, pour elles, pour eux, pour lui, est en fait un lieu bouillant et bouillonnant d’exploits qu’ils n’ont jamais vécus. Mais. Qui les a fondés. Ernesto sent bien que le cœur de la mélancolie remix 21 est par là → il s’est passé ici quelque chose, il se passe encore ici quelque chose, de super bouillant + bouillonnant → mais → sans eux. Ernesto sent que cette forêt c’est quelque chose comme la forêt des exploits héroïques, jamais vécus, tel que les récits les relatent et ça → pas bon. Ernesto → sent qu’il y a eu ici et qu’il y a encore des jours de joie et de combat mais il ne comprend pas, aujourd’hui, qu’il n’y a pas eu de héros. Jamais. Ernesto sent que la joie et le désir qui anima les jours avec ou sans héros → est chaque jour plus lointaine → et ça → pas bon non plus → ça fait mal → alors → dans son gros cahier aux feuilles disparates assemblées par des rivets en métal → Ernesto → 10 ans, 9 siècles et 21 secondes → dessinent les forêts héroïques des années 67, 68, 69, 70, 71, s’arrête en 1972, le 25 février → et → là → il lève la tête et regarde les voyageurs dans le train fonçant à grande vitesse entre Beijing et Shanghai → il sait très bien que tout ne s’est pas arrêté en 1972 → il sait très bien qu’il y a encore quelques forêts avec des vivants dedans marchant sur des sentiers ou et bâtissant des cabanes, ici, là → il sait ça, Ernesto → mais le truc qu’il ne sait pas encore, probable → ce 9 novembre 2011 → dans ce train qui fonce à grande vitesse entre Beijing et Shanghai → ce qu’il ne sait probablement pas encore → Ernesto → c’est que les vivants dans les cabanes, dans les forêts, dans les trains et dans les villes et campagnes et partout → les vivants ne sont pas des êtres héroïques → voilà → c’est ça qu’il ne sait pas encore → probablement → les vivants → peuvent être des êtres de courage → mais → ça n’a rien à voir avec l’héroïsme → Ernesto → s’il pouvait alors se dire cela → pourrait peut-être se sortir de sa mélancolie remix 21 → mais ce jour-là → Ernesto n’est pas à même de différencier héroïsme et courage → aussi → Ernesto détourne la tête et regarde par-delà la baie vitrée le paysage qui défile.
 
 
 
Ici → il voit une femme dans un champ en train de sulfater la terre → un peu plus loin → il voit au milieu d’un autre champ un petit temple miniature, et la terre, tout autour, retournée → un peu plus loin → plein de petits temples → au milieu des champs → plein de petits temples → en briques blanches → comme des ruches → au milieu des champs → au bord des chemins → puis au milieu d’un autre champ → une stèle → puis au bord d’un autre chemin → quelques chèvres blanches → puis là → sur un parking vide → un homme et un enfant → qui marchent côte à côte → et les champs → qui deviennent verts → et le ciel → gris → partout → nuage de pollution → partout → avec double voie express → déserte → flambant neuve → et deux poules qui marchent côte à côte → sur un chemin → dans une cour → devant une maison → devant une cabane → un enfant → courant → riant → il joue → puis le train → entre en gare de Nanjing → puis le train → entre en gare de Suzhou → et là-bas, en direction de l’ouest le brouillard de pollution → constant → et là-bas, en direction de l’est le brouillard de pollution → constant → puis le train → entre en gare de Shanghai.
 
 
 
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jean-Louis Chaussade → président directeur général de Suez Environnement → il confirme → Suez Environnement a remporté le projet de construction de la nouvelle usine de traitement des eaux du Parc industriel et chimique de Wuhan → China → suite à la constitution au mois de juillet dernier de la Wuhan Sino French Waste Water Treatment → nouvelle coentreprise composée de Sino French Water → c’est-à-dire Suez Environnent avec NWS Holdings → = → 43% → + → Wuhan Chemical Industry Park → = → 25% → + → Degrémont filiale du Suez Environnement → = → 22% → + → Shanghai Chemical Industry Park → = → 10% → = → en vertu du contrat → → = → Wuhan Sino French Waste Water Treatment est responsable de la conception → + → de la construction → + → de l’exploitation → pour une durée de 30 ans de l’usine de traitement des eaux usées et des effluents du parc de Wuhan.
 
 
 
Puis. Ernesto → à la sortie numéro 1 de Hengshan road station → lève la tête et en haut de l’escalator voit Vince Parker qui l’attend.
 
 
 
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jean-Claude Juncker → président de l’Eurogroupe → c’est-à-dire → président des réunions mensuelles et informelles des ministres des Finances des États membres de la zone euro → il déclare → à l’occasion d’une mission de la troïka → = → Union européenne → + → Fonds monétaire international → + → Banque centrale européenne → mission d’une durée d’environ deux semaines qui doit évaluer les progrès réalisés par le Portugal dans le cadre du programme de réformes et de consolidation budgétaire → en vue du versement de la troisième tranche du prêt accordé au Portugal → = → 8 milliards d’euros sur les 78 milliards de l’aide globale → mission → destinée à évaluer les progrès réalisés par le Portugal dans le cadre du programme de réformes et de consolidation budgétaire qui conditionne cette aide → il déclare → le Portugal → does not need more money to address its debt burden → je → ne pense pas que le Portugal ait besoin d’un montant plus élevé que les 78 milliards de dollars → je → suis convaincu que ce n’est pas nécessaire → je → serais contre l’augmentation de ce montant → quelques ajustements → techniques → sont nécessaires → mais → aucun ajustement majeur → I → can’t say we would be in favour → of → less efforts → or → more money → les objectifs → doivent être respectés → ce n’est pas → simple pour ce pays → dans lequel → il n’y a pas que des riches → mais aussi des gens qui déjà avant ne s’en sortaient pas très bien → et qui → risquent maintenant de souffrir → particulièrement fort → des effets de ces mesures d’austérité → we → are very happy → with Portugal’s efforts.
 
 
 
Puis. Ernesto boit un verre et deux et trois avec Vince Parker dans un bar d’expatriés occidentaux. Vince Parker → est professeur de philosophie, économie, anthropologie et insertion sociale au lycée français de Shanghai. Il finit en ce moment une thèse sobrement intitulée : L’épopée / entre domination et romance / une dialectique & basta. Ernesto intervient demain en fin de journée dans l’une des classes de Vince Parker pour une conférence tout aussi sobrement intitulé : Pile ou face avec port de cravate obligatoire. Coté pile : Émancipation en milieu marchand. Côté face : Je porterai une cravate vert fluo. Vince Parker a soudain une idée → si tu veux demain on peut faire un duo d’enfer : moi je fais le gros connard, et toi tu fais le bisounours, ça peut déchirer. Okay.
 
 
 
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de François Baroin → ministre de l’économie → + → des finances → + → de l’industrie → pour le gouvernement de la république française → + → le visage de Xavier Bertrand → ministre du travail → + → de l’emploi → + → de la santé → pour le gouvernement de la république française → + → le visage de Valérie Pécresse → ministre du budget → + → des comptes publics → + → de la réforme de l’Etat → pour le gouvernement de la république française → + → porte-parole → du gouvernement de la république française → + → le visage de Bruno Le Maire → ministre de l’agriculture → + → de l’alimentation → + → de la pêche → + → de la ruralité → + → de l’aménagement du territoire → pour le gouvernement de la république française → tous les 4 → chargés de l’exécution du décret n°2011-1480 assurant la transposition de la directive 2009/127/CE → du Parlement européen → + → du Conseil européen → modifiant la directive 2006/42/CE → = → en ce qui concerne les machines destinées à l’application des pesticides → pour l’essentiel → ce décret précise les règles qui doivent être respectées pour la conception → + → la construction → des machines → destinées à l’application de pesticides → afin que → celles-ci puissent être utilisées → + → réglées → + → entretenues → sans exposition involontaire de l’environnement aux pesticides → = → définition des équipements concernés → + → obligations des fabricants → + → règles de maintenance → + → etc. → ce décret → procède également à l’actualisation → + → à la mise en cohérence → d’un certain nombre d’articles du code du travail → relatifs à → la conception → + → la mise sur le marché → des équipements de travail → + → des moyens de protection.
 
 
 
Puis Ernesto dans le salon chez Caroline et Vince Parker. Caroline Parker → est encore au travail. Caroline Parker → travaille tard → le soir → souvent. Caroline Parker bosse dans l’événementiel haut de gamme. Vince Parker : le bas de gamme n’existe pas.
 
 
 
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage d’Edgardo Andrada → ancien gardien de but de la sélection argentine entre 1961 et 1969 → il apprend → la demande de son arrestation pour avoir pris part à l’enlèvement → + → au meurtre → de deux opposants de la dictature argentine en 1983.
 
 
 
Et maintenant → tout le monde au lit. Vince Parker conduit Ernesto jusqu’à sa chambre. Une chambre sous les toits, juste au-dessus de l’appartement. Parfaite pour conférencier sujet à mélancolie passagère.
 
 
 
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Lutz Bertling → président d’Eurocopter → il relit encore une fois le document notifiant l’obtention de la déclaration de conformité de la configuration opérationnelle finale FOC de l’hélicoptère NH90 dans sa version de transport tactique TTH.
 
 
 
À demain.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
09.11.2011
http://www.abcbourse.com/marches/suez-envt-debut-de-construction-d-une-usine-a-wuhan_220822_SEVp.aspx
http://www.boursier.com/actions/actualites/news/suez-environnement-contrat-d-usine-de-traitement-des-eaux-industrielles-en-chine-458093.html
http://www.suez-environnement.fr/groupe/gouvernement-entreprise/conseil-administration/jean-louis-chaussade/
http://www.ovimagazine.com/art/7908
http://www.europaforum.public.lu/…/2011/11/jcj-portugal/
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024772526&categorieLien=id
http://travail-emploi.gouv.fr/textes-et-circulaires,1651/archives-des-textes-et-circulaires,2329/annee-2011,2069/decrets,2077/decret-no-2011-1480-du-9-novembre,14162.html
http://www.djazairess.com/fr/infosoir/133915
http://www.maritima.info/actualites/aeronautique/marignane/1705/eurocopter-l-helicoptere-nh90-franchit-une-etape-decisive.html
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Eric Pessan † Ainsi de suite

La balle se fraie un chemin dans l’os, fore son tunnel rouge, avance avec obstination, perce, creuse, déchire et brûle, ouvre un couloir obscur dans ce qui ne devrait jamais se découvrir ; la balle s’amuse parfois à ressortir aussi vite qu’elle est entrée, elle va se perdre dans le tronc d’un arbre, contre une pierre ou frappe un autre homme, mêlant les sangs et les souffrances ; la balle joue d’autres fois à ricocher interminablement dans le fouillis des organes et des muscles et des liquides et des chairs, touillant et malaxant la pâte à modeler du vivant qui cesse de l’être ; à moins qu’elle n’ait prévu d’exploser sitôt entrée dans le corps, éparpillant le peu qui reste, excavant, découpant des pans d’anatomie dans lesquelles un ambulancier pourra glisser le bras, déchaussant les dents et retournant les épidermes, mettant à nu la confusion des organes. La balle tue net le Général Instin, emporte son visage, ne laisse rien d’autre du crâne qu’une coquille fracassée de laquelle quelques matières ont jailli et éclaboussé les boues alentours.

Le Général tombe, lentement, comme tombent les hommes au champ d’honneur, dans un geste ample et tragique, que d’aucuns jugent magnifiques et d’autres scandaleux. Il s’abat.

Puis il se trouve une main pour l’écrire, pour rassembler les lambeaux épars, recoller les copeaux, réajuster chaque éclat de l’os avec la patience de qui fait un puzzle. Tranche à tranche, quelqu’un le reforme. La main qui écrit le Général n’a ensuite qu’à décider qu’il se relève, n’a ensuite qu’à écrire le mot souffle ou le mot respiration pour que le Général se remette à vivre, à avancer dans la mitraille, à faire deux pas de plus avant qu’il ne soit de nouveau fauché par un obus, que ses membres disloqués volent au loin, qu’il ne reste rien d’autre de son abdomen qu’une guenille souillée. Voici le Général transformé en un clin d’œil flamboyant en bannière de la défaite, piquée au sol, dérisoire et grotesque. Le Général Instin vient de mourir, encore.

Et encore passe un écrivain qui a la patience d’inverser la trajectoire de l’obus, d’attraper dans la nasse d’une phrase chaque shrapnel, de les coaguler en masse métallique, de renvoyer l’obus dans la gueule du canon d’où il sera déchargé, convoyé par camion dans un entrepôt puis acheminé à l’usine d’armement où on le désassemblera pour en faire des lingots de métaux et des barils de poudre. Et le pauvre Général se réassemblera : os à os, tendon par tendon, muscle à muscle. Le moindre centimètre de ses viscères sera recollé, ses organes seront patiemment rapiécés, son uniforme ravaudé. L’écrivain inscrira le mot souffle sur son front et le Général s’élancera jusqu’au jour où il mourra dans son lit, jusqu’au jour où un auteur écrira dans son carnet que le cœur du Général n’a pas cessé de battre, jusqu’au jour où le Général se relèvera de son lit parce que la paix et l’oubli lui sont refusés, parce qu’un peu partout des écrivains et des artistes lui offrent la vie, l’animent, agissent sa silhouette épuisée, replantent inlassablement la graine de sa légende, et ainsi de suite.

Vincent Tholomé † Instin et moi

je pense, je pense intensément que, nos têtes sont des usines folles

et

nos têtes produisent intensément, dans leurs fabriques, des fumées folles et des nuages, sans consistance, de guêpes et d’abeilles folles

et

je pense intensément que, cette production sans consistance de nuages, sans consistance, et d’essaims d’abeilles ou de guêpes est, généralement, sans conséquence dans nos vies et dans nos nuits parce que tout cela se dissipe dans l’air,

ou

dans le vide,

ou

le néant,

et

tout cela est aussi intensément léger qu’une fumée d’usine ou qu’un nuage parce que nous avons souvent à faire et qu’intensément nous faisons chose sur chose

et

tout cela demande une intense et folle concentration et, tant que nous faisons intensément et follement chose sur chose, nous pensons qu’il n’y a rien d’autre dans nos têtes alors qu’il se produit sans répit dans nos têtes, et intensément, de folles nuées de fumées légères et sans consistance et des essaims de guêpes et d’abeilles virevoltantes dans l’air

et

tout cela ne demanderait pas mieux, de temps en temps, de sortir un peu, de prendre l’air et de se décrasser les poumons, or, ça ne se fait pas tout seul, ça demande un sérieux coup de pouce, parce que nos têtes sans coup de pouce produisent d’intenses nuages et de folles guêpes, rien d’autre, c’est en tout cas mon cas, c’est ainsi que je fonctionne, ma tête, comme toutes les têtes, produit d’intenses et folles nuées de guêpes et, sans coup de pouce, c’est tout ce qu’elle fait,

et

ma tête produit, coup sur coup, d’intenses et folles productions qui naissent et disparaissent sans conséquence l’une après l’autre et sans répit, et toutes ces intenses et folles nuées d’usine s’enchaînent sans répit l’une après l’autre sans lien et sans liant

et

il me faut, personnellement, quelque chose pour que, tout à coup, cette production intense et folle sorte un peu et devienne consistante, c-à-d prenne corps devant moi, sous mes yeux, et devienne un objet un peu dur et un peu consistant, et Instin est une excellente manière, à mes yeux, pour que, personnellement, quelque chose se produise et prenne corps hors de moi, parce que Instin est comme un aimant, quelque chose qui attire à lui les guêpes et les abeilles produites intensément dans ma tête

et

Instin est un récipient vide, sans consistance,

et

Instin ne demande qu’à se remplir de toutes les fumées produites intensément dans les usines folles de nos têtes

et

Instin est un piège, apparemment vide et sans conséquence, qui capture les fumées intenses et les essaims d’abeilles

et

Instin est un de ces appareils de capture qui capte intensément les abeilles intenses et les guêpes qui, comme des folles, filent tout droit dehors et prennent joyeusement corps et soudainement consistance

et

c’est pourquoi j’aime Instin et que, de temps en temps, j’écris pour Instin parce que Instin est un piège et que, personnellement, j’ai besoin de piège pour écrire un peu de temps en temps et je profite alors d’Instin pour écrire et laisser aller devant moi des fumées qui, sans Instin et sans piège, seraient, certes, des choses intenses et folles mais ne seraient, d’abord et avant tout, que des choses inconsistantes et insignifiantes et filant droit, à la vitesse de la lumière, ou à peu près, du grand vide au néant.

Delphine Bretesché † L’haleine sacrée du Général

Interdiction absolue de Le regarder
avait aboyé l’Aide de Son camp
interdiction absolue de Lui adresser la parole
les yeux baissés sur Ses bottes j’avais pratiqué l’examen à tâtons.
J’ouvre une petite parenthèse sur cette spécialité bien particulière
qui outre doigté et méthode demande un sang-froid et une dextérité extrême
je ferme la petite parenthèse.
L’Aide de Ses camps déposa entre mes doigts tremblants l’auguste chair.
Chez mes patients ça respire fort
à cause du trouble de la peur
chez le Général rien
je tendais l’oreille
rien.
Sauf
oui
dans le creux de ma main
sur ma paume émue
la souple verge respirait.
L’haleine sacrée du Général murmurais-je.
Je pratiquais l’examen
enivrée du parfum de ce souffle.
Depuis
mon nez
au creux de cous anonymes
mon nez
hélas
chérissons le souvenir.

Pacôme Thiellement • Nous sommes tous des hypocrites

Nous aurions souhaité inviter Pacôme Thiellement pour d’autres motifs. Lorsqu’il a publié cet article sur son profil Facebook, nous lui avons immédiatement demandé l’autorisation de le reprendre — ce qu’il accepta bien volontiers — et nous l’en remercions. Quelques jours après les ‘évènements’, il nous semble utile d’opérer un pas de côté critique sur les faits, leurs causes, leur réception.


Nous sommes tous des hypocrites. C’est peut-être ça, ce que veut dire « Je suis Charlie ». Ça veut dire : nous sommes tous des hypocrites. Nous avons trouvé un événement qui nous permet d’expier plus de quarante ans d’écrasement politique, social, affectif, intellectuel des minorités pauvres d’origine étrangère, habitant en banlieue. Nous sommes des hypocrites parce que nous prétendons que les terroristes se sont attaqués à la liberté d’expression, en tirant à la kalachnikov sur l’équipe de Charlie Hebdo, alors qu’en réalité, ils se sont attaqués à des bourgeois donneurs de leçon pleins de bonne conscience, c’est-à-dire des hypocrites, c’est-à-dire nous. Et à chaque fois qu’une explosion terroriste aura lieu, quand bien même la victime serait votre mari, votre épouse, votre fils, votre mère, et quelque soit le degré de votre chagrin et de votre révolte, pensez que ces attentats ne sont pas aveugles. La personne qui est visée, pas de doute, c’est bien nous. C’est-à-dire le type qui a cautionné la merde dans laquelle on tient une immense partie du globe depuis quarante ans. Et qui continue à la cautionner. Le diable rit de nous voir déplorer les phénomènes dont nous avons produit les causes.

À partir du moment où nous avons cru héroïque de cautionner les caricatures de Mahomet, nous avons signé notre arrêt de mort. Nous avons refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère. Ce n’était pas leur croyance qu’il fallait attaquer, mais leurs conditions de vie. A partir de ce moment-là, seulement, nous aurions pu être, sinon crédibles, du moins audibles. Pendant des années, nous avons, d’un côté, tenu la population maghrébine issue de l’immigration dans la misère crasse, pendant que, de l’autre, avec l’excuse d’exporter la démocratie, nous avons attaqué l’Irak, la Libye, la Syrie dans l’espoir de récupérer leurs richesses, permettant à des bandes organisées d’y prospérer, de créer ces groupes armés dans le style de Al Quaïda ou de Daesch, et, in fine, de financer les exécutions terroristes que nous déplorons aujourd’hui. Et au milieu de ça, pour se détendre, qu’est-ce qu’on faisait ? On se foutait de la gueule de Mahomet. Il n’y avait pas besoin d’être bien malin pour se douter que, plus on allait continuer dans cette voie, plus on risquait de se faire tuer par un ou deux mecs qui s’organiseraient. Sur les millions qui, à tort ou à raison, se sentaient visés, il y en aurait forcément un ou deux qui craqueraient. Ils ont craqué. Ils sont allés « venger le prophète ». Mais en réalité, en « vengeant le prophète », ils nous ont surtout fait savoir que le monde qu’on leur proposait leur semblait bien pourri.

Nous ne sommes pas tués par des vieux, des chefs, des gouvernements ou des États. Nous sommes tués par nos enfants. Nous sommes tués par la dernière génération d’enfants que produit le capitalisme occidental. Et certains de ces enfants ne se contentent pas, comme ceux des générations précédentes, de choisir entre nettoyer nos chiottes ou dealer notre coke. Certains de ces enfants ont décidé de nous rayer de la carte, nous : les connards qui chient à la gueule de leur pauvreté et de leurs croyances.

Nous sommes morts, mais ce n’est rien par rapport à ceux qui viennent. C’est pour ceux qui viennent qu’il faut être tristes, surtout. Eux, nous les avons mis dans la prison du Temps : une époque qui sera de plus en plus étroitement surveillée et attaquée, un monde qui se partagera, comme l’Amérique de Bush, et pire que l’Amérique de Bush, entre terrorisme et opérations de police, entre des gosses qui se font tuer, et des flics qui déboulent après pour regarder le résultat. Alors oui, nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les victimes d’un story-telling dégueulasse, destiné à diviser les pauvres entre eux sous l’œil des ordures qui nous gouvernent ; nous sommes tous des somnambules dans le cauchemar néo-conservateur destiné à préserver les privilèges des plus riches et accroître la misère et la domesticité des pauvres. Nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les auteurs de cette parade sordide. Bienvenue dans un monde de plomb.

Avec l’aimable autorisation de l’auteur
© Pacôme Thiellement

Eric Caligaris † Cher Général

Eric Caligaris • Instin & moi

Bout de papier passé dans la poche.
Mémoire confuse.
Liste de courses.
Non.
Pense-bête.
Non.
Script.
Peut-être.
Et je lis :
« ami de mes ennemis
confrère
chimère
astreinte
handicap
écart
armes
ressasser
gloires-défaites
tourments
fenêtre
ferventes dispositions
petite guerre
accompagné un temps


grandes espérances
entreprise
marche décisive
vu lu et su
frénésie
biographes
savamment orchestré
exhumation
restauration
accession au pouvoir
figurer toujours et encore
censé vous attendre
joliment miroiter
perspectives
tordre
obscur mais grandiose
crise, déroute, débâcle et défaitisme
contournant
adresse
ténacité
amateurs
appelés
stratagème remarquable
en appeler aux morts
soumettre les vivants
transformer
métaphore
action directe
étendard
couleurs ronflantes
bardé ou bigarré
technologie
murs
célébrations
meetings
grande galerie des glaces
cinéma de propagande
fatalement avantageuse
dupes
faits, gestes et épanchements
grandeur
pétrification
raidissement
réduction
basculements subtils
moins grandiloquent
troupes
ne jamais savoir
toute l’histoire
actes
vision
un seul homme
seul. »

Eric Caligaris
Instin et moi
28/07/2014
(enquête de satisfaction)