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Oliver Rohe • Ma dernière création est un piège à taupes

Avec le recul qui sied au retard plus qu’à la prudence, Hors-Sol lit et commente des livres qui sont parus parfois il y a longtemps. La pile ne cesse de croître, des livres qui restent à lire. C’est amusant car on pourrait penser que plus on en lit, moins il nous en reste à lire ; or c’est l’inverse qui se produit ; c’est un travail infini, alors nous avons laissé de côté la pression du marché et de la chronique facile.

Rohe • Rohe • Ma dernière création est un piège à taupes • Inculte 2012

Intense et bref, le texte d’Oliver Rohe est l’adaptation de la pièce radiophonique AK-471. Le texte intrique le destin de l’arme la plus fameuse au monde et la vie de son inventeur, Mikhaïl Kalachnikov, de sa propre voix (en italique) ou plus ou moins mise en fiction, le tout dans une Russie en perpétuels soubresauts, malgré le manteau impeccable des bouleaux et de la neige.

Ce dispositif efficace, mené avec précision et brio, évoque également les échos du monde globalisé dans lequel nous vivons ; il est bien certain que ce petit texte, d’abord destiné à la radio, tient haut la main les promesses qu’il n’a pas faites. On serait dans l’erreur de lui conférer plus d’ambition que celle d’une texte bref (mais intense) destiné à la radio.

Ceci établit, on pourra enfin lire le livre qui est d’une efficacité narrative évidente.

L’hiver, par un chemin chaque fois identique et emprunté par lui seul, il se rendait à pied au collège du village voisin. Il pénétrait à l’aube dans la forêt enneigée, sinuait parmi les ifs et les grands mélèzes, longeait la lisière du bois, longeait les lacs et les étangs gelés. Il aimait la façon dont son corps se rétractait pour se défendre contre le froid, les fissures qui parfois menaçaient les surfaces vitrifiées. (16)

Dans ce cadre précis, la vie de Kalachnikov est celle d’un enfant plus ou moins solitaire, fasciné par l’ordre des machines.

En ces temps-là cruciaux pour la formation de l’esprit il observait avec constance et ravissement les systèmes mécaniques sommaires, les poulies, les manivelles, les courroies, les engrenages. Il regardait, il enregistrait. Les frictions, la fluidité, les poussées, les tractions. Et par une journée de tempête polaire qu’on imagine de tous les diables il a enterré son père mort de fatigue et d’amertume. (18-19).

Et si les machines le fascinent, il en sera autrement de la nature, qui est cruelle et pleine de mort. Lorsqu’il fuit le camp de déportés, il retrouve son village natal, transformé depuis son départ. « Quand elles changent, avait-il pensé, il faudrait que les choses changent de nom. » (22).

Il ferait donc changer les choses, il inventerait l’outil qui améliorerait les imperfections de la nature, qui rectifierait les injustices. Ce destin est exceptionnel : ce paysan fils de paysan, au contact permanent de la nature, va produire un petit objet qui va se diffuser dans tout l’empire soviétique et au-delà et après, jusqu’à aujourd’hui, portant loin de son créateur son nom dans le monde entier : Kalachnikov.

L’AK-47 né de la bataille de Stalingrad, des plans quinquennaux et de l’ouvrière coiffée d’un fichu sur un champ agricole était plus qu’un fusil efficace favorisant un certain rééquilibrage des rapports de force sur le terrain militaire, il était le symbole brandi par l’exploité contre le capitaliste, par l’opprimé contre le colonisateur, plus largement par le faible contre le fort, il était l’étendard planétaire de la justice immanente et de la libération. (36-37)

On suit notre technicien qui, à ses heures perdues, écrit des poèmes, élève sa famille et imagine toutes sortes de systèmes contre les nuisibles, insectes, ou rongeurs, ou autres. Pendant ce temps, l’Union Soviétique s’affaiblit, et bientôt elle s’écroule. L’arme AK-K7 est sur tous les fronts mondialisés, après la Guerre Froide, sans plus le charme libertaire avec lequel elle avait été conçue et peut-être, utilisée.

[I]l écrivait à nouveau des poèmes.
Sur le caoutchouc, la fonderie, les soudures.
Sur les femmes. (53)

A observer la description érotique de la page 61, scène du montage de l’arme, on commence à saisir l’enjeu textuel ici mis en branle. Kalachnikov est un créateur. Ce texte, en plus de nous raconter le destin exceptionnel d’un personnage donné dans une époque donnée, ce texte nous déporte sur la question du rapport entre le créateur et son œuvre. Sans glisser béatement vers une interprétation métaphorique des couples Kalachnikov/AK-K7 vs artiste/œuvre, on peut à tout le moins en déduire une certaine position, presque esthétique, sans doute faussement éthique, du technicien.

Elle était magnifique dans ses lignes et ses proportions parce qu’elle était en tout point conforme à ce qu’il avait imaginé, à ses croquis et à ses travaux préparatoires, parce qu’elle était la réponse parfaite aux réclamations des soldats sur le champ de bataille et à l’hôpital, comme une matérialisation unique de leur parole collective, et bien plus que cela : de leurs humeurs secrètes, de l’expression de leurs visages, de l’état de leur corps, de tout ce qui excédait les possibilités de la parole et échouait en dehors du territoire de la langue. (61)

Le livre en somme interroge non seulement les conditions de possibilité de la création mais aussi (et surtout) l’espèce de concaténation, enfin l’espèce d’évidence qu’il peut exister entre un objet (fut-il artistique ou militaire) et celui qui le conçoit. Le livre peut-être dénonce cela, que l’œuvre en aucun cas, comme ce fut le cas dans l’esprit de Kalachnikov, n’est là pour répondre à un besoin précis, n’est là pour combler un manque ou contenir une béance (cf. 71 et 72). C’est d’ailleurs le renversement étonnant de l’usage et du rôle de l’arme magique, l’arme investie de missions mystiques. Et nous citerons à cet effet les dernières pages du texte, qu’on pourra résumer par le poème de Kalachnikov, aussi :

J’ai tout pesé scrupuleusement
Dans la vie et je n’ai plus d’appuis
Mon cœur ne bat plus normalement
Mon corps entier est engourdi.
Je suis déjà comme enterré
Autour de moi tout se défait.
(68)

Pour le poète comme pour l’ingénieur, un monde sans frontières, un monde sans idéal, ne peut autoriser le bon déroulement du travail et de l’ouvrage. C’est un monde alors fait d’inquiétude, et quelle pourrait être l’œuvre qui puisse y trouver refuge ? Et de quel esprit malade ?

À observer maintenant une carte répertoriant pour nous les usines de fabrication, les arsenaux et les centres de stockage, les zones de conflits et les routes officielles ou clandestines de la distribution des armes, de ces quelque cent millions de Kalachnikov certifiées ou contrefaites inondant le marché mondial, sans qu’aucune réglementation et qu’aucun contrôle sérieux ne vienne encadrer leur circulation, leur circulation libre et effrénée, à observer les trajets compliqués et les circonvolutions de ce flux incessant de Kalachnikov sur le marché, il devient encore plus aisé de comprendre que ce fusil d’assaut imaginé par un paysan russe bientôt centenaire n’épargne aucun continent et aucune région, que sa dissémination forme un réseau d’échanges de plus en plus dense et touffu, à l’image de n’importe quelle autre marchandise d’envergure planétaire, d’une boisson gazeuse, d’un téléphone mobile ou d’un produit immatériel. Cette œuvre de colonisation méthodique, de maillage serré et systématique que l’on observe sur la carte noircie et surchargée peut donner de prime abord une impression vertigineuse d’unification du monde, comme si la circulation de la marchandise avait reconfiguré notre géographie globale pour en faire une surface plate, lisse et monochrome ; mais cette impression est évidemment fallacieuse, parce que la marchandise AK-47 ne travaille au contraire qu’à la fragmentation permanente des territoires, à leur fractionnement en portions, en parcelles toujours plus réduites sur le modèle de la guerre civile infinie — et ainsi chaque ville, chaque quartier, chaque pâté de maisons et chaque immeuble peut pour des raison aussi diverses qu’irrationnelles faire l’objet d’une fixation en territoire, d’un territoire à occuper, à surveiller, à défendre, c’est-à-dire d’un débouché potentiel pour les fusils d’assaut AK-47. (82-84)

Michel Woelfflé | Leçons de ténèbres


Michel Woelfflé est écrivain, vidéaste, performer. Il participe à de nombreux projets de création dans la rue et autours d’évènementiels. Lisant Blanchot depuis fort longtemps, il nous propose une approche du Très-haut.


1,

Etait-il tard ?… On me voulut dans l’ombre.

Mon visage était-il cette loi ? J’y demeurai pourtant. Je le sentais qui y prenait place. Mes mains ne pouvaient toutefois entièrement le parcourir. Posées sur lui en maints endroits longtemps elles hésitaient. Sous elles, ma chair mon miroir. Et toute chose touchée le devenait. Miroirs oui chaque chose chaque être dans lesquels je voyais se former entre ombre et lumière, la chair. L’impossible aveu de la chair.

Salle d’attente où se défient corruption et fécondité.

Mes mains laissaient libre source au temps. Lignes, os, sang. Entretiens que les miroirs refusent. Jour après jour elles cherchaient la fidélité, mais le temps ne peut promettre. Langue de silence et de nuages. Derrière lui mon visage. Immobile. Horrifié. Découvrant son impatience à envahir mes traits. Mes mains lui appartenaient. A la longue pourtant, elles entrevirent la diversion. Je les vis préférer quelques traces sur les murs. Des relevés, des doutes. Avides de ces pierres s’effritant sous la connaissance. Elles escroquèrent ma pensée jusqu’au grognement.

Elles vidèrent ces murs. Leurs légendes apparurent. Je crus bientôt apercevoir les reflets d’un feu, des lambeaux de mémoire depuis bien longtemps, peut-être peu, sans nom. Sans mot près de mes lèvres. Sans danse. Je tremblais énormément. Tout était suspect. Pendant ce temps je marchais moins ; puis peu. J’exagérais. J’exagère sans doute.

Lorsque l’ombre sembla se désintéresser de moi, mes mains sans hésitation regagnèrent mes poches. Serrèrent le vide. Qui eut pu les croire et que savaient-elles ? Les hommes étaient là dit-on, et certainement on me les montra : un soleil de bras, de jambes qui s’agitaient. Très proches semblait-il. J’approchai encore. Qu’advint-il ?

Leur loi me suivit lorsque je m’éloignai. Pourquoi ? Disparut-il quelque chose avec moi ?… Je parlais seul. J’entendais seul. “Rien n’est. Disparais !” L’ombre et la loi se mimaient. Entre eux le souvenir de ma chair refusée me poursuivait dans l’oubli.

… Je m’absentai, oh Je m’absentai ! Je crois bien que jamais je ne parvins au monde. Je restai enfoui là où ma mère n’accoucha jamais. Jamais je ne me connus. Jamais le monde. Jamais la vie, jamais la douleur. Jamais jamais. Jamais fut ma vie. Je devins ignorant. L’absence disparut de mon nom.

Pourtant on crut me voir. Certaines fois en certains lieux certains se crurent mes amis et témoignèrent m’avoir aperçu. Se souvinrent d’actes où nous étions mêlés. Ils en vinrent à me montrer des photographies. J’apparaissais être un homme, souvent jeune regardant au travers de fenêtres un monde invisible. La belle preuve ! J’écartais des rideaux, rien ne pesait dans ma main. L’image semblait attendre. Respirais-je ? Aucune photo ne le montrait. Personne ne semblait s’en souvenir.

Un jour on me tendit un petit portrait où j’apparaissais inquiet. Etait-il possible que je le sois, je n’avais rien connu. L’étais-je pour cette raison ? Il était difficile de le croire, ma pensée à chaque instant refusait toute objection. Tous aimaient cette image où ils croyaient enfin pouvoir saisir cette douleur qui ressemble le plus à l’homme. Je la multipliais et la fis distribuer. J’en gardais une que je fis agrandir. Pourquoi ? La regarder ne m’offrit aucune réponse. Etait-ce moi ? Je ne respirais toujours pas. Peut être moins.

L’attente est une des formes répétées de l’absence. Elle nous confie aux hasards. Elle tisse une inquiétante foi… elle défigure l’infini d’un visage. Les portraits distribués montraient cette habitude. Ce fut mon sort. Cette vision de moi qui s’étirait comme un reptile. Cette inquiétude sur ce visage que tous s’entichaient à reconnaître, leur fascination, tout m’effaça du monde. Que voyais-je ? Tous pourraient vous le dire désormais.

Je vis soudain un chien. A terre j’aperçus cet animal qui suivit un ange. Cet ange était-il l’invisible souffrance délivrée ? Entre deux mots je pressentais. Je devins ainsi. J’étais et je n’étais pas. Le principe aveugle du chaos. Quelquefois un hoquet dans la bouche d’un homme.

Notez bien que tous ces phénomènes sans m’attrister ne me plaisaient guère. J’eusse voulu parfois aimer. Qui s’en souciait ? On me désirait comme un rêve. Le compagnon d’un rêve. Un simulacre. J’étais chargé des espaces que la solitude refuse. Désespoirs… qui me souffla ce mot multiple ? Il fourmillait de rêves. De magnifiques fourmis au demeurant cruelles et efficaces ne s’interrompant jamais, dévorant ce qu’elles étaient.

L’ennui me poussait au songe. Je me défiais d’être un chien perméable à cet enfer. L’ennui me plaisait. Visiteur immortel. Les damnés que je rencontrai nourrirent le chien et s’échappèrent avec lui. La pitié d’aboyer me fut refusée. Eux, des damnés ! Je fuis. On me rattrapa, on me peignit. Paré de couleurs et de masques, on me cloua. Parfois on me brûlait. Je ne brûlais pas. On me jetait à l’eau. Je ne coulais pas. Pourtant je ne nageais pas. Je ne me sauvais pas non plus. On fit cela maintes fois. On montrait mes bras vides. Mes mains seules. Ouvertes. Photographies. Ces anciennes processions de l’absence me refusaient toute métamorphose. Mon rêve demeurait. Il obstruait ma mort. Est-ce ainsi ? Qui portait mes apparences ? Qui devinait à ce point mes formes et les recouvrait ? Et d’ailleurs qui faisait ce rêve?

Le rôle de chien me plut. Je sentais le scrupule. J’accourais à la peur, je me défiais de l’innocence au point de la suivre sans cesse. Je la sentais proche des oublis que la mémoire jalouse. Ainsi avais-je ce maître ? Qui n’en a qui ne veut exister ?

Je me roulai dans la morale, je l’affichai. Je la reniai. Je mentais à nouveau. Ce fut sans importance. Vraiment, tout chien doit apprendre cette vertu s’il veut rester fidèle. J’adorais cette vérité. A vrai dire toute chose inutile. Qu’y avait-il d’autre ? Je voyais des hommes : que faisaient-ils ? Ils étaient sans pouvoir et avides. Ils étaient ainsi. Ils voulurent me l’apprendre, mais apprend-on à un chien autrement qu’à obéir ? Ma peau de chien tremblait mais aucun mot connu ne calme cet océan. J’avais mépris d’une chair qui n’était pas la mienne. D’un sang sans parole. Un chien doit mordre s’il veut savoir. J’étais né au milieu de leurs tourments, incapable d’avoir peur et pourtant ne comprenant qu’elle.

Je compris leur dieu. Un chien qui voulait les aimer. Ils appelaient la soumission, je ne préférai rien.

Ce dieu se dressa un jour devant moi, qui peut le croire ? Il me toisait, orgueilleux. Semblable à d’autres les bras ouverts… Paradoxes et ressemblances ne m’émeuvent pas. Je soupirai. Derrière lui le ciel. Toujours plus vaste. Plus simple.

Je l’écartais. J’écartais leur ciel. Je vis le monde. Je lui dessinais un ciel qui venait de moi. J’occupais ce ciel qui m’occupait. Je riais. Qu’avais-je donc tant attendu ? Je ne le sus jamais. Je revins à ce qui fut mon nom. Je revins à l’absence. Puis à la vie.

Un petit soleil neuf descendait le fleuve, j’avançais sur le seuil. Le deux mille deuxième hiver d’un matin inconnu. Désormais je connaissais mes rêves. Mes rêves ne quittent pas mes yeux. La fatigue de les avoir portés, sauvés des nuits, descendait le fleuve là-bas… Je ne fermais pas la porte. Qui l’avait close ?

J’écrivis que je la connaissais.

Je le lui écrivais mais je ne parlais pas d’elle.

Je sus que ma mémoire confluait à l’ombre.

Alors j’entendis.

“Ta bouche était ce puits où se jettent les morts. Pierres qui tarissaient tes sources. Tu honorais le désespoir. Tu sais désormais que la solitude a toujours un passé qui combat l’amour. Ta chute est celle des larmes refusées. Crois en cette source qui te revient.”

./..

2,

Maurice Blanchot n’écrit pas. Maurice Blanchot n’a jamais écrit aucun livre. L’écriture est à Maurice Blanchot ce que le coquillage est au bernard-l’hermite. La pensée de Maurice Blanchot habite l’écriture comme si celle-ci était une coquille vide. Ecrire c’est habiter, c’est mettre en mouvement une forme vulnérable. Mais c’est aussi, hélas laisser une trace. Alors il y a le recours à l’ombre. Crayonner, meure le plus d’ombre possible sur la lumière des mots. Retourner aux ténèbres originelles. Celles qui ne connurent point la lumière. S’enfoncer dans les profondeurs sous-marines, faire de la coquille de l’écriture la protection nécessaire pour s’enfoncer vers les lieux qui ne connurent aucun corps, aucune image, aucun mot, aucun son. Les lieux sans conscience que les mots de la conscience ne supportent pas. Cette profondeur est absence. Absence à tel point qu’elle ne connut pas le chaos. Ici la matière de l’homme est toute matière. Sans aucune trace, sans aucun espoir, sans aucun désespoir. Ecrivant Maurice Blanchot libère la première trace de vie, l’ombre jusqu’à ce que ne subsiste plus que le doute, ou l’efface si il s’avère que prenne forme un visage qui lui ressemblerait. Rien ne doit apparaître qui puisse situer l’horizon de celui qui écrit. Rien ne doit faire miroir, car tout miroir est écran. Ce n’est pas le ciel qui suggère l’infini. Il n’y a pas de ciel.

Ainsi Thomas pénétrant l’eau et nageant – comme le rameur, sans ramer – libère nos angoisses en n’en ressentant aucune. Là encore la perméabilité de l’être lui permet l’expérience consciente de la fusion. Se pose la question de l’instinct. Thomas-Blanchot est-il sans instinct de conservation ? Je ne suis pas qualifié pour répondre. Je suggère que le tigre ne se dévore pas lui-même. Que l’abeille ne vole pas son propre miel. Que la création ne refuse pas celui qui (re)vient vers elle. S’agirait-il d’une pirouette que de dire que nous sommes en elle comme un Thomas dans l’eau. Qu’écrire, (trouver sa coquille) c’est dire oui. C’est répondre à l’appel, au vertige.

Maurice Blanchot écrivant ne partage pas. Le vertige, l’appel ne se décrivent pas. La durée elle-même est une toile qui capture l’univers. Au fur et à mesure de l’avancée la toile derrière nous disparaît, mais il n’y a pas de chute. Nous sommes ce point de non-retour que Kafka désignait comme étant celui qu’il fallait atteindre. Nous n’allons nulle part. L’écriture est une trace que l’œil comme un désert absorbe, que la pensée dissimule dans ses sables. Thomas immergé ne nage que pour apprivoiser notre pensée. Il mime. Il invente la mer. C’est un plasma. Celui que nous invoquons pour Dieu. Par le mot Dieu. Ici “résumé ?” par le mot livre. Les mots construisent, puis détruisent. Fluent et refluent… Repoussent la propre matière infinie de l’homme, celle qui conçoit et déconçoit la mer, l’homme. L’homme et sa nage. L’homme et sa geste. Thomas l’imposteur est un livre qui nous apprend à nager.

..

3,

Je vais l’écrire comme je le vécus, car l’écriture n’est pas faite pour expliquer. Il faut bien que les mots fracturent la pensée et reconstituent le chaos. Il faut bien que l’on soit obligé de se réveiller. Dormai-je ? Je n’en suis pas sûr. Nous nous rendons compte de si peu de choses que je ne suis pas non plus certain que nous ne soyons pas tous morts et que nous ne le sachions pas.

Je voulais qu’il m’arrivât ce que je ne comprenais pas
Je le voulais.
Mes rêves à ce propos se brisaient et cherchaient a me réveiller
Je n’eus de cesse que soulevés de toutes parts
Ils forment de ma vie des blocs du pire chaos de pensées qui soit
Mais enfin c’était cela
Je désirai le chaos – il apparut

J’allumais.
L’Oeil crevé de vitraux
L’Oeil rempli de sable
L’Oeil silice

Je me précipitai contre moi-même
Avais-je donc, besoin de tant d’ennemis ?
Mes nerfs ne sont pas faits pour la paix
Ils l’ont je ne sais pourquoi
En Sainte Frayeur

Qu’adviendrait-il s’il y avait en moi la paix ?
Ils ne le veulent savoir
Blanchot me montra cela

Mon instinct dans tout mon corps qui est au-dela de ma pensée me le commande ainsi.
Refuse.

Et ma Vie qui est au-delà de tout ce que je ne connaîtrai jamais, refuse. Obéissant à mon nerf aveugle et invisible. Despote d’une âme en fuite et qui me hait sans me connaître. Oh ! je ne dis pas que toutes ces choses ont tort et qu’il n’y a pas ça et là dans tout cela de forts beaux arbres qui guident mes pas et dominent ce qu’il faut craindre. Mais ma pensée veille au milieu d’eux. Je la vois faire le tour des troncs sitôt qu’elle s’habitue. Elle connaît les bucherons. Les hommes qui aiment les forêts d’hommes couchés.

Et les arbres regardent mes mains vides et je pense moi aussi qu’aujourd’hui est venu me voir un homme fatigué.

Je sais désormais ce qui me concerne. J’ai perdu. Mais j’ai cela. Et sinon je n’aurai rien eu. J’ai été dressé à me soumettre et ne me soumets pas. Je me soumets donc à n’être pas.

Où est donc ce dieu qui dans l’enfance me délivrait ?

Quand je jetais mon visage au fond du puits, en fragmentant les eaux sur la terre, je ne pensais qu’à ce qui allait germer
J’ai vu sur l’arbre de printemps dans le parfum de ses fleurs
Tous les chemins de la Vie