C’est pour savoir où je vais que je marche.
Goethe
Je sentais en marchant mes pensées se bousculer comme un kaléidoscope – à chaque pas une nouvelle constellation; de vieux éléments disparaissent, d’autres se précipitent; beaucoup de figures, si l’une d’entre elles persiste, elle s’appelle “une phrase”.
Walter Benjamin
retour sur une variation initiale
sans chemin sans issue
depuis l’intérieur du langage
elle est au secret
dans le squelette de la langue
elle veut se reconnaître
elle veut tenir sa promesse
vouée à la répétition
elle prend le chemin du retour
elle se reparcourt
métamorphose son passé
l’écho lui porte assistance
reconduite ainsi
jamais présente
sans cesse revisitée
chaque fois remise en jeu
toujours déjà là
toujours à venir
rongeant le présent
tourment d’une pensée aussi fuyante qu’obstinée — infiltrée dans la langue
dans l’attente d’être imaginée
inconcevable à la raison
hors de vue
elle vient à toi jusque dans ta solitude
enlace ton rêve
à nouveau —
à nouveau je poursuis une figure nouvelle
toujours la même
enveloppe d’un certain néant
sans cesse réactualisée
elle revient
dissemblable
engendrée dans l’artifice
une flexion de voix la compose
tout en elle doit être plaisanterie et tout doit être sérieux
tout offert à cœur ouvert et profondément dissimulé
le calme de ce visage aux yeux fermés, replié vers son dedans, mourant de manière quelconque, il se rend vers l’amanthis, vers la douceur du repos
l’expression étrange de sa simplicité
ce visage gelé dans l’image semblait dire : « je viens te faire don de mon malheureux corps »
[puis j’y accolais comme au hasard une image que j’aimais,
ce crayonné de visage aux paupières closes m’ouvrait un sens
que j’avais rejoint malgré moi, dont je ne m’étais jamais éloigné,
dont j’héritais, dans lequel j’étais immergé…]
quelle confiance accorder à ce visage ?
ici-même les morts ne sont pas en sûreté…
le louvoiement parfois soutenu par le souffle d’une image
« celle qui resplendit en marchant »
ou l’idéa de un volto
longtemps rêvé
un sentiment de visage affleure
un miroitement paré de lettres
rêverie dangereuse
d’une présence inondée de lumière
irradiation soudaine
submergée sous l’éclat de la manifestation
lumière éclatante d’une image
mémoire d’un éblouissement
elle se cherche une demeure précise
tente de faire vision
dans le commerce verbal
elle gît là
la force secrète
mise en réserve
cachée dans ces traits morts
l’image perçante
tenue par une distance infranchissable
intouchable dans sa limpidité
– et qui crois-tu, tes yeux ou mes paroles ?
pas une présence
mais l’effet d’un centre suractif inapparent
respiration du fantôme de l’idée
l’étrange visite convertie en paroles d’image
accentue l’intensité de son incohésion
soutient l’intensité qui l’excède
tu ne sais pas encore de quel nom l’appeler
mis en fable, elle se détourne, elle glisse à la surface
versatilité infinie de ce corps sonore
jamais rencontré
jamais oublié
étrange blancheur, cireuse en vérité, de ce visage beau comme une peinture
l’avancement de mon regard dans ce visage s’effectuait aux
dépens de la certitude, je m’aventurais désormais dans une
profondeur incertaine, rêvais des liens innombrables, incertains et
je formais des créations toujours nouvelles
le visage se décomposa et fut presque aussitôt remplacé par un
autre
l’écoulement incessant d’une forme dans une autre
pas de visage mais une cavalcade de visages, de brouillards
de visages qui se métamorphosent et dont seul le regard persistait,
deux trous noirs qui ne cessaient de me fixer
ce n’était pas tout à fait le silence — c’était bien proche — plutôt une rumeur, un murmure qui cognait, renvoyait à des bribes endormies, végétatives, à des restes engourdis, de sensations recouvertes, enfouies
par effraction
retour de l’inanimé
les cailloux poussent
j’ai le devoir de veiller sur eux
comme une vacillation l’éclat du mot ouvre l’espace
on n’a beau dire
on ne voit pas
ici — il n’y a pas d’image arrêtée, il n’y a pas d’image (J. D.)
les cailloux poussent
un monde ancien remonte
ce visage frémissant
ce visage craquelé
aux couleurs passées
vu de profil
privé de regard
son indifférence nous maintient à distance
l’émotion composée
s’octroie une signification
parfaitement vide
l’apparence d’un sens
la pensée-son
brisant les fils
parfaitement folle
le progrès régressif de la pensée
pas de retour circulaire mais une avancée en spirale – un cercle virtuel qui se dédouble et monte sans jamais se réaliser
ce qui arrive ici n’arrive jamais
ce qui échappe à la parole passe par la parole
la parole œuvre ce qui l’excède
— ce que je dis, je le tais
elle touche à peine le sol, accueillie dans le dire la vision fugitive n’a pas encore revêtu la forme d’une sensation
sans relief ni matière
suprêmement ancienne
elle n’est rien de neuf
elle reprend
des gestes oubliés
secrètement réglés
l’écho révèle ce qui l’institue
sans voix — je puise dans la réserve de paroles, je m’immisce dans une parole déjà dite, me glisse subrepticement dans le préexistant confié en héritage — nous écrivons toujours sur de l’écrit
le braconnage de la pensée — entrelacements de phrases dont les accidents ne cessent de se fondre les uns dans les autres
avant la pensée — la nuit
après la pensée — la nuit
Cette entrée a été publiée dans Chroniques, Général Instin's not dead, et marquée avec pierre antoine villemaine, le .