Amandine Roussin est enseignante et écrivain. Elle propose ses textes dans le blog L’au-de nous.
Enfant, j’avais peur d’être morte.
Je vivais à côté d’eux mais dans un espace qui ne semblait pas être le même que le leur, un ‘autre part’, un ‘nulle part’ que j’habitais seule parmi eux.
J’avais peur d’être morte et aucun d’entre eux ne pouvait me rejoindre tout à fait, me rassurer.
Je les observais : ils m’aimaient, me souriaient, me parlaient, ils ne m’atteignaient pourtant pas. Je ne voyais que leurs yeux vidés par quelque chose d’innommable, je n’entendais que le vacarme du silence enveloppant les sons qu’articulaient leurs bouches ouvertes. Leur peur, ou la mienne, déchirait mes paupières et mes lèvres.
Mon seul refuge était un arbre imaginaire, aux branches noires et nues, qui s’étirait en ondoyant en toutes directions. Je m’asseyais à son pied et le contact dur du tronc contre mon dos et ma nuque m’apaisait. J’étais sûre qu’il me comprenait, qu’il comprenait cette peur insaisissable et indicible ou plutôt que, privés d’un langage commun par nature, de la possibilité même d’une parole échangée, nous nous comprenions par nature, par ce contact seul du tronc sur mon dos.
J’ai grandi et oublié l’arbre.
La peur, j’ai accepté avec le temps sa présence. Je lui ai fait une place quelque part à mes côtés ou en moi, jusqu’à ce jour où elle se mit brusquement à crier et résonner avec une violence inconnue dans mon ventre devenu creux et dur. Elle s’épancha de longs jours, se diffusa dans tout le corps, bouleversant ses frontières, le traversant de toutes parts.
Aucune présence, aucune pensée ne pouvait l’occulter.
La lecture seule.
Le dernier homme m’apaisa.
D’abord par l’isolement total qu’il m’imposa. Contre lui.
Le silence enveloppant et rassurant qu’il installa.
Puis ce langage sans mots, fait de mots mais sans nommer, sans dire. Cet effleurement précis, par touches concentriques, de ce que je savais présent depuis toujours sans le savoir. Cet affleurement continu et doux de ce que je sentais au plus intime sans que cela n’apparaisse pourtant distinctement, sans le déflorer.
Une reconnaissance de ce qui est inconnu sans nécessité de le connaitre.
Un rapprochement.
Une main, qui ne prend rien, ne donne rien, qui s’approche et vient frôler l’autre main, la main de l’autre, insaisissable et toujours là.