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Aurélien Barrau & Mathieu Brosseau • Cause

10003116_613872105358140_1146890352_nAurélien Barrau est astrophysicien et spécialiste de cosmologie et relativité générale ; il est professeur à l’Université Joseph Fourier de Grenoble, ainsi que — entre autres — chercheur au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie du CNRS. Il travaille également sur des philosphes dont plus particulièrement Dbrosseau_icidanscaerrida, Nancy, Goodman.

Mathieu Brosseau est bibliothécaire à Paris où il s’occupe du fonds poésie et écritures contemporaines. Comme poète, il a publié dans de nombreuses revues de poésie. Il anime la revue en ligne Plexus-S depuis 2006. Il vient de publier le recueil Ici dans ça, aux éditions du Castor Astral.

 

 

 

 

 

Y a des trucs qui naissent, on ne sait pas pourquoi. Comme le Christ par exemple ou les virus. C’est le bris des liens, tu vois ? Les singes…

 

L’acause. La forme sans contours mais poussée…

Quand il ou elle bifurque en je. Mon clinamen. L’œil s’ouvre… poussée. On ne sait d’où. Mais ça pousse. Comme plante sans rien dessous. Dans cette insisterrance désespérée, sans insistance.

 

Quand ça jaillit, quand ça gicle, quand ça fuse. Ça tombe ou ça remonte mais toujours le même moteur innommable, juste un bruit ou un souffle, un goût d’accord.

C’est dur l’ingénuité. Il conviendrait d’être naïf. Comme un roi. Ça stridance les immondes. Ça crie là-bas, en moi. Ça royaume les frontières sans être vu, ça se forme mais ça ne se voit pas. Puis ça s’interrompt de mouvement pur. Ça se voit ne plus avancer. Ca s’incline sur.

L’acause accuse toujours un peu : le temps, la série, l’enchainé. Ça se relie. Il lui faut du rien. C’est dur de défaire le vide, de s’enrubanner de vacuités denses. C’est dur une défaite après une victoire et ce n’est pas Narcisse qui cause, c’est juste une chute, une chuite ou une cuite.

 

Penser spontanément serait un a-bris de Un. Se délier de son horizon ou l’avaler pour ne plus voir. Pas devant. Faire centre sur ses bords. Disséminer la singularité. Il faudrait inventer du continu. Il faudrait compter plutôt que vivre. Vivre, c’est la vouivre, c’est chaîne, forcément.

Ça n’a rien d’impossible, pourtant, d’être la frontière, le contour. Ça n’a même rien d’improbable. C’est juste ailleurs. Juste être avec rien autour.

C’est dans le jouir de la chute. Peut-être que l’orgasme, hein, Marie ?

C’est dans l’atemps de la latence, la mémoire numérique. Un, deux, trois, compte les jours qui te séparent de ta naissance…

C’est dans la vase de la langue, aussi. Le souvenir du bris. Dans cette boue de mots qui déphrase. Répété cent fois, le mot « boue » perd son sens. Perdre sa cause, si d’aventure le sens provoquait le réel. Il y a beaucoup place ici, dans le royaume. C’est immense. Sur quoi s’adosser quand il n’y a plus de frontière ? Sur ce morceau de pierre, ce tas de terre, ne plus être vu, sous terre. Il faut faire bord un peu partout, être la frontière pour y remédier. Des bribes de limbes pour soutenir et effondrer. Sans testament, ça c’est une crevure. Et pourtant.

 

Il y a des fractures pour briser les saccades. Pour demeurer dans le commencement de. Pour s’assoir dans une si rassurante instabilité. Délice du précaire. Apparition, disparition.

Voilà où ça (dé)mène : déchirure spontanée des peaux de mondes, à l’intérieur de l’œil.

La peau du serpent de feu toujours déjà résiduelle. Il mue. Désactualiser le virtuel. Insister contre-temps. Si tu t’adosses au mur et te mets à rêver : tu crèves. Se terrer dans l’angle est un appel aux démons, sans le savoir, les pages sont reliées, le livre est fait, tu es fait.

 

TU ES FAIT, QUAND CA MURE.

 

Quand l’acause s’en mêle. Ça change tout. Tombé d’un rien, et on ne parle pas de prétendues libertés.

La brèche n’a rien d’une fêlure. C’est l’arracher qui chaotise. Et c’est l’instable qui incise. C’est là que ça s’interrompt, encore, de survitesse. Ça s’attend dans l’écroule. La rencontre perce, une flèche en travers de la tête, pas cupidon, non, non. Quoique Marie-Madeleine…

 

Au lit, à cause d’un virus étrange que seuls les singes attrapent. Personne ne comprend, au zoo, on m’a dit : « c’est l’histoire d’un atome ».

 

C’est figé comme un photon qui se temps. Ça se pelure.

Spontanément c’est un son. Puis un ton. Un rythme. Bientôt une résonance, un écho. Ca retimbre. On apprendra plus tard que c’est une musique atonale. Il n’y a que ça. Le reste est guirlande-sur-frontières.

Et la fugue fuit. Quand je deviens.

 

Puis ça creuse. Alors on compte dans le sous-terrain. Combien de kilomètres avant ta mort ? Combien d’heures avant ta tombe ? Tu comptes à ma place car on a la même vie, les étoiles sont des nombres mais il ne faut surtout pas l’apprendre. Chut ! On grignote des nombres, on équationne, le sublime est ma frontière. OUI ! LE SUBLIME EST MA FRONTIERE, l’idée, la chose est chair parce que molle sans être liquide. On se gave de purée mécanique. On s’excède de déterminisme. On se gave les oies du corps. On se remplit le bec et les poches de graisses. On se trace. On se renouvelle. Les recettes de cuisine connaissent des variations. On s’enivre de pareil. On se même. Mais quelle est la cause de la variation ? Le sublimé pourrait venir de là. Dans une équivalence. La variation de la cause. Puis ça disparaît.

 

***

 

Ça s’eau. C’est humide de traces. On est là. Embué de signes, dans la gueule, cette gueule. On se met à courir. Très vite. Mais on reste immobile. C’est l’os. Presque désemparé. Les feuilles glissent. Accélèrent encore. Le vent. Puis la chute. La forêt s’est élevée (visage sur les racines), retournée (suivie presque instantanément par le ciel), saccadée (heureusement : la mousse). Longtemps. Jusqu’à la branche. Cinglante avant même d’avoir frappé. Elle approche, elle résiste à la pression de la peau. Elle se pose sur sa lèvre. Elle ne le blesse pas. La forêt s’est figée. Nous ne savons plus qui bouge, qui bat, qui meurt.

 

Un trou. Noir. Un trou de bête, forcément noir. Un trou évident, évidemment noir. Le tunnel se glisse autour de lui. Doucement cette fois. La terre frotte ses épaules. Elle rampe. Elle se blesse, un peu. Elle perd des bouts. Elle noircit (encore). Des radicelles blanc (mais noirs) se mêlent un instants à la texture maintenant terreuse de ses cheveux. Son corps est devenu marron (mais noir). Ça avance toujours. La galerie. Ça s’élargit un peu. Il respire mieux. La taupe. Il est heureux (il l’entend). Elle a peur. Il s’hypostasie. Elle veut partir. Elle panique. Une griffe près de son visage. Vers sa lèvre. C’est très rapide. Désordonné. Il esquive. (Par hasard). Tout ce qui ressent a des yeux. Les regards décrivent. C’est peut-être ça, la vie non-retournée sur elle-même.

 

La forêt revient, plus basse. Un arbre descend. Ses mains ressentent une écorce de plus en plus fine. Moins de mousse. Trop de lumière. La cime vient. Les racines sont très loin maintenant. Quelque chose semble ne plus s’accrocher, la taupe a de la mémoire. Il n’est pas tranquille : si elles remontaient ? Peu importe. L’air bouge beaucoup plus vite que l’arbre. La mémoire danse avec les nombres. Il se demande un peu pourquoi lui ne bouge jamais. Il aimerait se voir bouger. Il n’y arrive pas. Il n’y est jamais arrivé. Pourquoi ne peut-on faire que l’expérience de la fixité ? C’est affreux. Un oiseau encore plus vite que le vent plus vite que l’arbre. La cause de la variation. Les rencontres, par série aléatoire. Il passe souvent. Un corbeau, évidemment. (Pour le bec, un oiseau-bec). Il approche. On ne le voit approcher que quand il est déjà parti. Il frôle. Il touche. Le visage. Sous le nez. Trop agile. Il ne peut pas blesser. L’arbre remonte. Plus rien ne bouge. Presque. Parfois ça frissonne. Il fait plus sombre. Ça attend. Il pleut. C’est fou ce que les gouttes bougent vite. (Mais elles devraient aller encore plus vite, beaucoup plus vite : elles tombent de si haut, elles sont si peu freinées. Pourquoi ne vont-elles pas encore plus vite ? ça devrait. C’est la loi. Ça ferait mal. Ça devrait faire légalement mal.) C’est dur d’être un esprit, c’est-à-dire de ne pas le penser. Encore moins de l’attraper. Ce ne sont pas des gouttes. Ce sont des bouts. C’est dur. C’est froid mais trop vite pour qu’il le sente. Les grêlons percent. Une violence dans la forêt. Ça troue, ça cingle, ça tue. Pas la taupe, dessous. Les autres, ceux qui rampent en surface, ceux qui marchent (certains). Pas lui, il est trop gros. Mais ça peut ouvrir une lèvre, faire brèche. Ça coupe. Ça peut. Mais non. A coté. Une lèvre qui attrape le virus qui ne se voit pas. Mais pas la taupe.

 

La nuit. La forêt marche à nouveau. Moins vite. Moins sure. Moins droite. Elle frissonne. Parfois un arbre bute sur ses mains tendues. Parfois un rat vient sous ses pas et ne se désolidarise du mouvement de la boue que juste avant l’écrasement. (Il ne tue jamais.) Parfois un champignon pulvérisé lui laisse une désagréable impression d’indolente brutalité. Mais les ronces. Comme en rhizome. Epineux monde connexe qui ne le laisse pas s’opposer au mouvement de la forêt. Haillons. Brûlure de surface. Jambes sang. Equilibre vacillé (retour, donc, au rythme de la forêt). Visage sang. Juste front. Coulure douces jusqu’aux commissures. Sommeil. Demain là. Ruisseau. Stratification. Scarification. Eau vite. Galets mous comme chair, mi-cause, mi-effet. Vent, un peu. Déréférencement. Flux laminaire. Laminant. Mal être de trop de mouvements. Contact poreux-pénétrants. Le mélange. La mélasse. Ecoulement. Ecroulement. Minéraux sur l’eau. Instables, improbables. Instant risque. Disjonction. Trop. Rien. Ça s’agite, on dirait, avant la cause…

Le voila. Ça y est.

Seul, noir, long. Lourd.

Indifférent. Posé là. Autonome. Ailleurs. Possible, c’est-à-dire, là.

Comment le bois torturé de ce piano peut-il encore supporter la présence de la forêt ? Le cintrage lui a imposé des galbes impossibles. Pourquoi n’a-t-il pas cédé ? Pourquoi s’est-il ainsi plié, courbé ? À perdre sa verticalité. Il ne gravite plus. Maintenant il résonne. Il pourrait résonner. Il est solidaire de l’immense table d’harmonie. D’harmonie ? ça ne prouve rien. Je veux qu’il sonne comme un clavecin. Je veux qu’il soit décent. Pudique. Je veux qu’il soit loin. Je veux qu’on l’entende à peine. A peine. Je veux qu’il s’étouffe de retenue. Je veux. Je veux que son nombre soit chuchoté.

Il y a trop de notes. Une octave de plus. Pas où il faut. Pas à gauche. Pas pour la basse. Pas si grave. Qui pourrait vouloir d’une octave au-delà du do-8 ? C’est insensé. Insane. Justement. Juste. Qui voudrait de cette bête et de son hurlement ? Les territoires ne sont pas fait pour ça ! Il faudrait un no man’s land pour l’accueillir, ce bruit rauque.

 

Pas de couvercle. Pas besoin de cette inclinaison ridicule du concert. Ouvert vers le haut. Il oriente. Perméable. Pas dénudé, juste découvert.

Fin pourtant. Comme élancé. Allongé. Etendu. Loin. Je veux que les chevilles –lieux immondes de torsion et d’achèvement– soient loin du clavier. Qu’on ne les voit plus, qu’on oublie ce qu’elles endurent. Chut, pas de nombre s’il vous plait : la musique, ça regarde devant car ça se devient.

Ils sont proches. Ils se frôlent. Il voudrait jouer mais ne pas le toucher. Il voudrait jouer avec sa pensée. Avec le poids de ses loques d’idées. Il voudrait parler la langue sans mots et prononcer des notes sourdes. Ne surtout pas chanter. Il voudrait qu’il n’y ait plus d’air entre les cordes et les oreilles. Il voudrait voir le son. Il voudrait détruire le clavier. Arracher les touches, rendre l’ivoire à la terre et l’ébène à la forêt. Brutalement. Comme on peut vouloir frapper ce qui profane. Détruire la délicate mécanique à coups de tête. Jusqu’à ce que son front –encore– garde l’empreinte. Il lui en veut d’être là, presque offert. Obscène maintenant. Il l’aurait aimé pourtant. Les boucles se succèdent toujours.

 

Il le touche. Il n’a pas la texture du bois mort. Quelque chose d’imputrescible. Une essence vibratile qui prend le temps. Une touche.

Il joue. Le Clavier bien Tempéré. Parce que ça convient. C’est ce qu’il faut. Le deuxième prélude. Désuétude du do mineur. C’est ce qu’il faut. Ça se passe bien. Devenir la règle pour l’éliminer. Il a peur. Ça se passe bien. L’éliminer. Il a peur. Pas de nombre. Ça se passe bien. Oublier. Ça sonne loin, comme il faut. Oublier. Il a peur. Ça se perd tout de suite dans la forêt. Comme il faut. Ça ne veut rien dire. Comme il faut. Il a peur. Oublier. Il pense que la pédale de forte pourrait l’aider à ce moment précis. Il a honte. Il se retient. Il a peur mais il sourit. Ça se passe bien. Il a peur. C’est trop long. Comme il faut. Ça s’écarte. Comme il faut. Ça va revenir. Il a peur. C’est là. Ça a été. Ça s’est bien passé. Quelque chose l’a précédé.

 

On doit pouvoir transposer. Rien d’audacieux. Juste quelques octaves. Juste des mots. Juste pour voir. Juste pour savoir. Pour avaler sans savoir. Du rien. Juste pour toucher les notes en trop, qu’on met dans l’oreille. Juste pour entendre, accessoirement, celles qui ne devraient pas être là mais dans la terre. Ça s’y prête. Les premiers préludes, on leur a tout fait. Ils sont là pour ça. Le mur est là. Presque avalé. On se croit plein. Mais rien, sans rien derrière. Ça dépend de l’œil. Tout dépend de l’axe du regard.

 

Il essaye. Il a peur. Oublier. Ça marche. Ils le savaient. Ça marche. Oublier. Ça s’en est allé. C’est exactement ce qu’il fallait. Dans la terre, pas de virus sonore. Des blocs sans matière.

 

Il n’a plus peur. Il se tait. Ses épaules commencent à bouger. Il met du corps. Il érotise. Il sensualise. Les fins de phrase s’enrichissent d’harmoniques. Comme une emphase. Le dernier accord retentit avec éclat. Du silence. Ça ne va plus du tout. La mémoire. Ça a cassé. La tempérance a cassé. La dernière corde a cassé. Le son. La tension était immense. Ça cingle sans faire de bruit. Il se souvient. Ça vient à son visage, l’image. Ça coupe sa lèvre. L’image coupe sa lèvre. Ça saigne. C’est mort. Ça a spontanément tué. Le Christ spontané est un singe. L’image a coupé la lèvre. Le bruit a remplacé le nombre. Les conditions du virus sont réunies. Mais l’œil devient.

Il a compris. Rien ne le précède, croit-il.

Mathieu Brosseau & Philippe Rahmy | Néant_saccage

Néant_saccage est de ces œuvres rares, échevelées, radicales. De ces œuvres dont la littérature a besoin comme d’un bûcher, d’un territoire extrême, pour insuffler en elle une urgence renouvelée.

C’est une litanie terrible, qui repousse loin les limites de l’orthonormé. C’est un texte sauvage, incandescent, essentiel. De ces brûlots qui évoluent au voisinage d’Artaud, de Guyotat. Il ne sont pas tant, aujourd’hui.

Hors-Sol est très heureuse de présenter l’intégralité du texte, dont une partie a été lue lors de “La Nuit Remue 5” en juin dernier, puis transcrite sur le site de la revue Remue.net que nous remercions, et avec elle surtout les deux auteurs, Mathieu Brosseau et Philippe Rahmny.

Néant Saccage, vide à combler, baiser de la reine, je m’escalade en pensant à toi, que te dire sinon ton absence, à redire mieux,

A redire avec d’autres mots, quelle idiotie vaine – dira-t-on – pour mieux nous distraire de la vacuité des espérances vaines,

Néant saccages, pour tuer et retuer, les boîtes d’allumettes, les boîtes à sous, les boîtes crâniennes, je me profile vite, je m’arrête,

Je me sais dans un recoin d’espace vierge, je me tue, il paraît que cela est bon, je me délice dans un espace à contempler,

te donner ma parole, m’engager à te respecter et à te servir en tout et toujours, à te consoler, à te protéger du mal, à te demeurer attaché dans les bons et les mauvais jours, dans la prospérité et la détresse, dans la santé et la maladie, à te rester fidèle jusqu’à ce que la mort nous sépare. Je me lie à toi sans l’église de merde, ni la république corrompue, je me lie comme la foule se rassemble et se disperse, innocente de la putréfaction des corps et de l’affirmation de soi.

Mourir d’aventure dans un espace clos, mourir d’aventure dans une vie à soi, les sois pour se reconstruire,

Je me profile vite et m’arrête, il paraît que se trouvent là-bas la sphère de l’accomplir et la maladie de l’action, celle qui déphase,

Boîte crânienne, roulette russe, je t’aime, hasard de ceux qui n’en font pas, je ne suis pas le hasard de ceux qui font,

La délié, la touche, par le devenir, maladie du devenir, néant_saccage, tu vois les immeubles en face, ils sont là pour te devenir, ils sont là pour t’extraire d’une solitude à démettre,

je réponds à ton amour. Je suis le hasard de ceux qui font, remplaçant ce qu’ils perdent par quelque chose de plus précieux. La répétition me permet d’imaginer le temps, l’accumulation me donne l’espace. Néant saccage et le courage ténébreux mutilé jusqu’à la tête. L’indice et l’argument d’une loi élémentaire. Bruit à peine formé, roulement métallique d’un store. Je veux et j’ordonne ce gris uniformément sanglant entré par les yeux avec le pouvoir d’élire, et la rage folle instaure cette plus proche dureté, l’intelligence sans rien, une profondeur solide de limites, et l’agression de tout contre soi.

Néant_saccage, par en bas, par en haut, par le vide à devenir, je me crois fort, il paraît que c’est le temps qui m’agit, qui m’agite,

Que faire en désespoir de cause, je n’ai pas de cause publique, je vous hais, tant qu’il me paraît ridicule de vous vivre, singe savant,

je suis d’un intérêt, presque nul, je me digère en autant de cause à devenir, c’est la marche des monstres,

Nous nous effondrons, dans la peur, le peu, je me voue aux informes tonalités de l’être,

Je suis en demeure et me dis : meurs à chaque instant de verre, tu as les os qui craquent, tu as le nombre qui flanche, tu as l’idée d’un parasite de l’action…

Je t’offre ma vie sans l’anecdote de vivre… Le langage de la présence physique n’existe pas… Je rêve d’une écriture absente à la parole qui ne perde rien de sa rectitude et de son innocence en se parjurant. Je suis le parasite de l’action et de l’accompli, l’ennemi acharné de Zarathoustra, Dionysos, Wotan, de la puissance, de la facilité du cri et de l’émotion

Dont il faudrait se débarrasser, tu as l’idée, j’ai la marche, celle du cœur, je vous aime, par dessus les élans, mais que faire de l’amour délié,

Et puis la peur, le peu de temps, l’excuse du temps présent, que faire d’elle en ses actions, il y a une maladie de l’action, celle de n’être pas

la destruction de ce qui était destiné à durer, ce peu de chaque jour qui assure la survie de l’espèce. Il se peut que ceux qui auront survécu, les créatures de l’émail de chiottes rôdant vers le dôme, vers ceux occupés à manger, à lire les Essais de Montaigne, vous vous rendez compte, cette tenue de cols blancs, de machettes perlées aux griffes, aux cuisses et ces putains à museaux, de ces cages à voix serrées de colliers où pend la gourmette du cadavre, l’orteil raide, noir, onglé dans le pot à fraises, remuant pour les éclopés le spectacle de la rage au prix du caviar, la rage à la carte breloquée de putes plus propres que l’égout, disent certains, ou plus connes, ou simplement affamées, celles-là non plus ne résistent pas à la tentation de se faire du bien, qui n’est rien qu’un peu de pétrissure d’asile, tandis que les autres, ceux dont on annonce l’arrivée imminente, les sauveurs, se font attendre et que les putes s’empiffrent, c’est leur excuse, on peut leur pardonner, l’appétit, il faut en avoir dans le ventre pour commencer à faire des phrases, il faut en avoir dans le bide avant de foutre, il y aurait alors cette salle qui serait la réplique de ce qu’on appelle poésie et tout ça, il y aurait les lustres, ce fond de cale avec huitres sur boulevard fouetté, cette parole que je te donne aussi, cette façon de jurer, de te jurer fidélité, il n’est pas question qu’elle se tienne à distance de l’image qui frappe les esprits à défaut de frapper au portefeuille cette faune vautrée dans la distraction qui veut qu’on lui en mette plein la vue, qui en veut pour son fric, tu relis Dos Passos et tu piges, tu vises ces gus à cul plat, le froc baissé, le pli dégagé derrière les oreilles, tu vises la danseuse aux cuisses de banque, et en face, lorgnant le buffet en vitrine, ces débarqués d’Argentine, de Chine et d’Ecosse, tous ces rouquins huilés flairant la bonne occase au coins des boulevards, déboussolés, se foutant sur la gueule avec les mecs du coin, ceux de Gentilly descendus en traversant les étangs de la Bièvre, un panier de glace sur l’épaule, tu vises le tableau quand le bourgeois rentre de le l’opéra, une grognasse sous le coude, et puis, soudain, le peu, le peu, la peur serait entrain de lire les essais de Montaigne, cet essaim désespérant l’esprit humain. Je n’aurai de paix avant que toutes les abeilles aient été noyées dans la fontaine, et, avec elle, la société terrifiée par le démon. Il faut du temps pour changer la vie en histoire. Il faut encore plus de temps pour que cette histoire descende au niveau de la rue. Je n’ai d’autre parole que sociale.

Violence pour permanence, il paraît que d’autorité, il n’y en a qu’une, une pour parfaire la voix, une et unique voix de l’être en demeure, je me violence, je vous violence, il y a des actions pour se taire, des fantômes pour se faire, l’urgence du témoignage, ce qu’il faut pour être, on dira que les fantômes, et bien, ça sert à ça,

Ça sert, bien heureux de la multitude, à dire ce qu’il y avait avant, pendant et après, un sablier, quoi, Néant_saccage, pour se faire, violence dans la boîte, dans l’espace qu’elle contient, dans l’espace qu’elle détient, souffre en surface, une boîte d’urgence, un truc à part, une solution dans laquelle se dévide toute violence,

Je me sens heureux, je me sens joie parmi vous, pour vous, j’ai la joie laiteuse, une solution du devenir, tu te trouves parmi les autres, en suspens, j’ai la violence sèche et aqueuse, une pourriture de l’être

Un glacier devenu, in extremis, une boue infâme, faut-il paraître pour mieux se retrouver ? Casse, casse des miettes, casse des chiens, casse des vipères et des venins, casse Casse des gueules cassées, casse la frontière des anges, casse ce qui te sépare, casse la vipère d’ange, casse et relève-toi

Casse et saccage les territoires du vide remembrés, casse et puis récupère les adieux au drame, l’action pour se faire, dis adieu à ce qui te fait, dis adieu à la cassure, ne te souviens plus de rien, ne te souviens plus, ne te souviens, ne te, ne

Néant saccage

je te cherche, nous avons la mort lente et le nombre. A la question « où vas-tu ? », ça répond invariablement « à l’explosif ! à l’intégral ! », une tiédeur liquide, longtemps couvée, maintenant expirée, divisée par trois coutures, gant sur l’asphalte, se détachant par lamelles ou terrasses d’un vert tendre de rizière. La promenade s’achève ici, au pied de ce muret, sur une impression de déjà-vu et dans un silence absolu, jusqu’à l’embouchure. Je n’ai de parole que sociale. Tracking automatique des ondes radio. Toi, tu as des choses à dire, je le vois bien, tout le monde sent que tu en as gros sur le cœur, c’est pourquoi je te donne ma parole, c’est pourquoi je resterai à tes côtés quoi qu’il arrive, vide, creux, absolument disponible, envers et contre tout. Mais il m’est impossible de te répondre, alors je me soûle devant la télé qui me pompe, qui m’aspire, vide, creux, la peau du ventre piquée sur les vertèbres battues par le flot visuel et sonore.

Homme de vers, tu sortiras de tes combes, de tes pantalons pour mieux t’asseoir, pour mieux te distraire, il faudrait qu’il y ait un arrosoir pour t’extraire l’eau qui te gangrène, et te repousse, et te vitupère,

Enfant, tu disais avoir un père, tu disais qu’il était possible de s’éloigner du centre,

Aujourd’hui, tu signales qu’il n’est plus possible de se détacher de la gravité,

Dieu est gravité sauvage, et le vide a ses fonctions,

Partielles en états d’âme, que faut-il faire pour se joindre à la danse des prieurs sauvages,

Enfant, je m’économisais dans un puits sans feu, un distraire sans poche, un accoudoir du vide, une poche fermée,

Une accusation des sphères de l’accomplir, homme de verre, tu te casses, fragile, pour mieux t’accomplir,

Et tu meurs, homme de vers, jusqu’à ce que les vers te démangent, en contrepartie, d’une peau qui se disloque,

Un appareil digestif, une apnée dans l’air de mourir, une apnée aérienne, je meurs de mourir, à chaque moment de

Vive action, celle qu’on ignore, sur la plume d’un destin à recouvrir, une plume d’oie, un morceau d’éponge,

Une cassure sur les os du corps, je me mets à la place du serpent de mer, je me mets à la place de tout un devenir,

Je m’aime dans ce travestissement des sphères,

Celles qui n’ont pour devenir, que celle de la connaissance, un puits sans feu, un organe sans voix, je m’imagine sans voix,

Un soir à la campagne, dans un morceau d’éponge, une pluie de feu, un intra-extra qui me figure, je parais être sans voix,

Elle est cassée jusqu’à l’aube, elle est ce devenir torride, que seuls les paysans sauvages ont su porter, elle est mes os,

Ce poids d’os, cette marmaille, cette enfance, du puits sans feu, cette excroissance, ce vouloir indistinct,

Je veux, je veux, te vouloir dans le puits sans feu, je veux, je veux,

Je veux, je veux t’apparaître comme une vipère céleste, celle forme la voûte, je veux, je veux te retirer l’immondice de tes poches,

Nous sommes tous des immondices de la parole, nous nous côtoyons, nous nous centrons en autant de sphères sauvages,

Il y a autant de connaissances, qu’il n’y a de vous, il y a, il y a autant de peur qu’il y a de peu, la peu, la peu, la peur,

La délié, de morts et de travestissement, je m’aime dans le décor céleste des immondices de la santé,

Celle qui se targue de devenir, l’être en suspens, l’apparence de celui qui se dénoue, la prière, la seule,

L’apparence du visage, celui qui obtempère, celui qui dit, la voix, la voix épaisse d’avant la sphère,

Et si ta voix prenait l’apparence de ta connaissance, qu’y aurait-il à démarquer dans le registre des âmes ?

Il faudrait un ascenseur pour te porter vers les étages. Et quel pourrissement d’âme pour supporter la santé ? Le père des larves, la reine des fournis, dorment sous la terre, au bord de l’étang. Qui songerait à leur donner un nom ? Je suis le Fils de Dieu et je demeure à nouveau parmi vous. Pourtant, vous restez sans amour, car j’ensevelis ma parole dans une terre désolée. Même celui qui aura semé en Dieu, ne moissonnera que de l’humain ; et quand je mourrai, mon Père disparaîtra avec moi, et toute chose avec nous — je suis venu rompre mon serment, mais mon Père ne veut pas votre mort ; c’est pourquoi il m’a fait une peau de verre, pour qu’en me voyant, vous puissiez Le voir à l’intérieur de moi, et pour qu’en me frappant, vous puissiez me détruire ; ainsi l’Ange exterminateur que Dieu vous envoie est aussi le plus vulnérable des hommes — ma loi est l’absence de loi, ma justice l’absence de justice — vous venez armés de pierres et repartez en pleurs — plus rien n’est bâti, ni défendu ; vous ne portez plus Dieu, ni en esprit, ni en parole. Qui se prévaudra d’une quelconque autorité et s’avancera pour prendre la parole, qui prétendra imposer sa loi ou agir au nom de l’idéal, qui se voudra donneur de leçons, détenteur du savoir, montreur de merveilles, me trouvera en travers de sa route, porté par les réquisitions secrètes de ceux qu’une injustice insurmontable, qu’une naissance disgraciée, qu’un manque d’amour, de talent ou de forces, réduisent au silence. Parler est une tâche sacrée que l’écriture couronne. Devoir, peur, famine, peu importe la raison qui pousse une créature à mordre. L’écriture pourchasse les méchants, et les frappe avec une égale violence, combattant le mal intérieur et extérieur qui les corrompt de vouloir, comme de faire régner, l’ordre. On ne devient pas écrivain, on naît affublé d’une corne à la place du cerveau, pour éventrer les gens.

Des pâleurs indistinctes, des angoisses fulgurantes, au sein des trous sans faille, une alerte donnée par le feu,

Misère de l’arrogance, misère de la sépulture, misère de l’endroit qui te donne pour vivant

Encore

Et s’il fallait se mourir, pour mieux vivre d’arrogance sauvage, j’utilise le même lexique que le vers disgracieux,

Je suis en phase avec le démon des sphères, celui qui souhaite la rechute des alcools forts,

La prégnance des indélicates prières de la conciliation, je m’aime en désespoir,

Je m’aime, si je peux m’inscrire en défaut parmi vous et vos dieux, en minuscule, parmi les toits du monde,

La peur, la petite, la croix, je ne suis pas croyant, je suis ce qui me détermine, dans un contour de voix,

Une petite peur, un tic de s’apercevoir, je m’aperçois, je me tire dessus, tu armes, tu cibles et tu tires,

La balle commet ce crime de l’adultère, ce crime, ce peu, cette peur, ce corps qui s’agace dans les territoires du vide,

De l’agence des territoires du risque, ce corps qui s’émeut en désespoir de cause, il n’y a plus de cause,

Je suis un mécréant, un sauvage, je bois, je tue, je salope dans ton ventre, je gueule et m’immondice,

Je transfère les qualités à mon double sauveur, je parle et me tue, je me tire, je tire cette femme entre les essieux,

Je m’ennuie et me tire, je bois l’eau des rivières creuses, je casse tes actions,

Dans une action bien criante, mes eaux de verre, celles qu’on ignore, mes eaux de verre, celles qu’on traverse

A coup d’étalon, celui qui paraît au-dessus des vagues de l’accomplir, je me tue, je rigole, d’action en action,

Il y a le lieu des âmes mortes, il y a le lieu de hémisphères froid, froid, froid, comme dirait mon père,

tu m’aimes ?

Au centre des centres, tu m’aimes, à chaque soir démembré, à chaque soir détroussé,

Je m’aime dans le paradis, des eaux qui claquent et disent ce qu’il me reste à vivre,

Tu dénombres ? Tu comptes, il me faut un compteur.

Néant_saccage, courte paille, il me faut un arrosoir pour mieux te distraire, carrefour des mondes peuplés, Néant_saccage, je massacre le néant du dire, pour mieux faire,

A qui tue tue, à qui mieux mieux, tire de tirer, fabrique l’action d’avant l’accomplir

Il y a toujours un devoir qui s’accomplit, une promesse qui se réalise, toujours la promesse,

On dit que, quelque part, réside la fleur d’avant-naître, celle qui d’action se forme en ventre et en ventre,

On vitupère les poissons d’organes poisseux, sexe long de la charité, tu veux que je te donne ?

Il y aurait une pitié qui s’organise, il y aurait un carrefour à traverser, une vie à vendre, tu veux que je te donne ?

Oui, je veux. Que ce mariage me tienne, me garde, m’enchaîne, me chienne, me chaîne, m’assène le fond, les bords, les angles, les clous, les coups et qu’il m’aliène le sort. Je vois la terre promise, la mienne, la chienne, la chaîne, la haine, la peine et le squelette du non-moi. Un nom se promène ou vole ou s’évapore, donne-lui apparence légère, insecte ou gémissement. Donne-lui vie, je le ferai durer.

Quoi ? Un poisson d’argent, une vente d’armes, des actions qui t’autorisent, tout se forme et se transforme dans l’autorité,

Sauvage d’avant-naître, qui te graisse l’essieu ?

Qui de toi ou de moi, parfait son origine, comme autant de nombres à compter, à recompter, sans foi, mille moi ?

Qui ? Il faudra faire la part de l’origine, Néant_saccage, je casse mes vitres et me remplis d’aube froide, je me mort, à travers ce qu’il reste de nombre,

Il faudra compter l’origine et percevoir ce qu’il reste du naître, ce qu’on en voit, ce qu’on en imagine, ce qu’il reste des nombres, sablier des neiges chaude,

Je me corps dans l’abstinence, je me transbahute, loin des corps, il y a une réalité qui s’imagine loin de moi, dans la pâleur des sois imbibés, d’alcools et de manques, de fortes doses de transport,

D’urgence, on m’accompagne à l’hôpital, c’est le lieu des transfères, j’accompagne la bête, celle d’abstenir,

Je t’aime de me désirer, y a t-il un accord à parfaire ? Balle dans tête, néant_saccage, bête noire, boîte crânienne, il se peut que nous n’arrivions pas au bout du jeu,

Il se peut que nous fassions le jeu des témoins, ceux qui ont vu et disent par silence, par touches de silence, appuyés.

Sur le front du crâne, je me vitupère, salope, singerie, signerie,

A en produire des signes

Je n’imagine plus parler en ton absence. Néant saccage. J’implore ton aide.

Néant saccage, il y a des meurtres organisés par les bons soins de ma femme, ma peau de femme, mon ignorance, mon obscur devenir, ma femme, ma mie, mon angle, ma morale,

Que puis-je pour toi, je te montre le scarabée, la sauvage bête d’accomplir, il y a un drame de l’action, vous le savez

Comme Dieu, d’être toujours en retard sur la Parole, Dieu est un monstre et nous le montrons je m’aime de désespoir, je m’enquiquine sauvage,

Il me paraît insignifiant de contrefaire les béances du signe, je me singe, et toi tu te parfais,

Je me signe et toi tu te travestis, tu t’escamotes, sec, en ta demeure, celle de l’être, c’est toujours une demeure, celle de l’être, c’est toujours un mourir précédé d’un dé,

Non d’un dé à coudre mais d’un dé de hasard produit par le vent des signes,

Signe des enchantements, parfait produit de la Beauté, celle qu’on ignore, la déjà sue, la pauvre beauté, la minuscule, la peu, la peur de la beauté, la sauvage dans la sauvage, tu me dis des mots d’amour,

Tu me dis : TOI, je te dis qu’il est encore un signe précurseur, c’est l’action antérieure, l’action que recouvre cette présence de la mémoire,

C’est pourquoi il demeure nécessaire de s’écrire, ventre au vent, perdu d’âme fleuri, dans un temps qui n’est plus, dans l’avance du temps, le soi se pénètre de langues neuves,

C’est la verge, c’est la vulve qui détient le secret de l’apesanteur, c’est elle qui finalise le coefficient de toute marée, ô lune, combien je te hais,

C’est la pénétration dans l’action qui m’émeut, et me chante, c’est la pénétration dans le nom de l’avancée, dans l’action, c’est le dard à la place du crâne qui me tonne,

M’est-il plus nécessaire de t’entendre ou de t’écrire ? Ma parole est sans semence, la vie plus certaine que la mort. Par texte, j’entends la forme définitive d’une expérience qui, à supposer qu’elle soit possible, définit le cadre strict dans lequel un événement unique est amené à se reproduire.

La vie se casse au profit de l’écriture qui se casse – la suite, dont je sens qu’elle demandera un engagement personnel que je veux différer aussi longtemps que possible, cherchant mon lieu dans la rage d’emboîter les événements réels dans la folie de raconter, sans avoir besoin d’en venir au fait, ni de me demander si une succession de mésaventures peut se trouver théâtralement liée aux décisions importantes d’une vie, si le flic de l’autoroute que je suce chaque mardi et jeudi sur le parking de l’aéroport, si le prêtre qui m’a violé derrière le projecteur super-8 durant les cours d’instruction religieuse, dans cet institut pour gosses de riches, vingt-cinq ans plus tôt vers le même aéroport, si le russe qui m’a étranglé en se branlant dans mon oreille et que j’ai fini par poignarder, si le professeur de mathématiques appelé à mon chevet alors que j’étais alité pour des mois, qui rythmait mes récitations à coups de langue, peuvent expliquer de manière convaincante, c’est-à-dire sans recours à la psychanalyse ou à la poésie, mon besoin de violence.

Multiplication à l’infini, pour te dire, pour dire la croissance de tes cheveux dans l’abîme du temps, multiplication des organes dans ceux que l’on ne sent plus, à l’intérieur, à l’intérieur du territoire du vide, je m’en veux

Il paraît, qu’à l’inverse, nous aurions pu recevoir quelques dons de ce qui n’existe plus, un peu de mémoire en échange d’un peu d’organes, c’est chose faite, c’est chose dure, c’est chose crue, c’est chose d’ivoire, c’est chose excellente,

Il paraît que nous aurions pu prévoir le désastre avant de le survivre, il y a quelque chose qui me chagrine dans le train des choses, sur le chemin qu’elles prennent, leur sinuation, leurs contours et ce qui les font

Néant escape

Par ce trou, quiconque se montre tel qu’il est, doit être appelé animal. Nous sommes les chiens de nos voix intérieures, elles nous tiennent dans l’illusion de choisir et nous jettent d’impact en impact, de défaite en défaite. Contrairement à toi qui travailles à ton salut, je n’ai d’autre parole que sociale. Je ne sais pas quelle chose est excellente, je ne connais pas ma condition, ni mon rang sur l’échelle des valeurs. Ce que j’ai reçu en matière d’organes ne suffit pas pour faire un homme. Limites au-delà desquelles soi devient autrui.

Tu veux t’en sortir, de ta condition, tu veux t’en sortir, de ton antre, de ton carrefour, pieds de grue, tu veux t’en sortir, il paraît que tu veux t’en sortir,

Sortir de soi pour faire du moi ce qu’on n’advient pas, pour faire de soi ce qui advient ‘malgré’, pour le soi le devenir, un rien tambouille, un rien croquemort, un rien esclave

Je sors, je parcours les villes lunaires, pas une personne, pas un chat, une ombre, un chien, une tuerie, je chante ce qui me tue ou me tuera, je me réjouis de cela, on dit que la mort y a fait des petits, des petits de la mémoire

Je sors et m’échappe, il paraît qu’il y a des vases clos, qu’on peut en sortir pour en retrouver un autre, de vase en vase, de source en source, de fontaine en fontaine, il paraît qu’on peut en sortir par le silence ou le vacarme de l’eau,

Le silence de l’eau qu’on effraie, le silence de tout un royaume, le silence qu’on peut aimer, le silence amer, le silence qui nous charge, et que l’on charge d’une amertume qu’il faut impérativement décevoir, une amertume qui ne va pas de soi

Le vacarme de l’eau qui se défile, qui coule, dans la fontaine et se rechute et se claque, je lui dis d’aller parler au vent, de lui dire ce que l’eau a sur le coeur, ce que l’eau ne permet pas de faire, je dis à l’eau de se parler à elle-même et de se tutoyer

comme chaque fois que je me dédouble, pas moyen de redresser, je me vois en toi comme je me vois enfant à Brooklyn où toute cette histoire de violence a commencé à cause d’un pigeon, d’un moineau ou de n’importe quoi de blessé traînant sur le trottoir, expliquant le reste. Il y a toujours un reste, sautant d’un programme à l’autre, cette viande psychique qu’on ne peut faire taire, carcasse de répulsion murée là, avec le sentiment d’exister, le sentiment du corps, la place, le poids des organes, la rondeur de l’esprit qui les voit et qui les palpe, le crépuscule magnifique à cette hauteur de connerie, l’eau jaune dans laquelle toutes ces familles sont en train de se noyer, l’eau jaune, sans métaphore, la pisse vraie, la vie simple. La vie des gens simples qui ne parlent pas la langue de ceux qui écoutent l’émission, de celui qui leur fourre un micro sous le nez.

Un homme baragouine quelque chose en espagnol : avant on vivait pauvres, maintenant ce sont les maladies, la grippe porcine sur la route fédérale 140, direction La Gloria, les cuves, l’épicentre, le premier malade, Eduardo, douze ans, son fils adoré, il ne sait ni chanter, ni rien de spécial, mais il a guéri, il cumule le porcin, l’aviaire, l’humain, la combinaison qui a permis au virus de muter, de percer la couenne du cochon aux abords de l’odeur des cent mille porcs qui sont abattus avant l’âge de six mois, de percer la peau de ce gamin qui n’a pas l’âge de mourir, qui n’a aucun talent particulier sauf le foot peut-être, et l’éloquence, cette éloquence qui trouble ses parents, il faut voir à quoi ils sont habitués, cette platitude sous un ciel fin de bêtes, il utilise des formules mouvantes, module, va dans les coins, les pleins, les déliés, rien d’exceptionnel, trotte, c’est toute la langue qu’on entend, pareil que les insectes, il n’est pas celui qui invente, il y va, les autres existent, lui non, juste noir, luisant, doré, il bifurque, avorte, mais n’hésite pas, le geste sorti chair, partout sur son terrain, enfin ce n’est pas pour ça qu’il s’en est tiré, maintenant assis au bord des cuves, cinq ou six millions de porcs, mais aujourd’hui le peuple se soulève, le peuple c’est trop dire, les habitants, quelques uns, à peine, l’indifférence, la peur, trop fortes, ils ont été frappés, intimidations et tout le bazar, mais plusieurs villages ont participé à la résistance dans l’enceinte des cochons crevés, différente de celle des excréments, dit Don Vincente, le père, voilà comment on économise les frais d’un incinérateur, l’ami. La putréfaction s’infiltre, mouches et chiens errants, le gouvernement prétend, mais je ne comprends pas ce qu’ils disent. Elles sont scellées, ces cuves, huit mètres par trois, remplies d’innombrables cinq cent cadavres de porcs dans chacune des fosses, tout s’infiltre, la nappe à dix mètres de fond, la fosse à cinq mètres, alors… Nos enfants, d’ailleurs, la pourriture et le gouvernement, sur les berges des seringues. Gaz, ammoniaque, hormones, antibiotiques, lagons d’oxydation, les résidus solides sont déversés dans les champs, le reste s’infiltre. Il y a toujours un reste. Autrefois, avant l’implantation, tout était sain, dit le père, normal quoi, on se flinguait pour des causes justes, parce qu’on ne supportait plus le goût du pain au raisin, des trucs du genre. Mais maintenant, putain, maintenant. Le ministre avait expliqué sans aucun doute, les prélèvements comme veut l’OMS, cinq cent personnes, les prélèvements, il me semble, je crois.

On plie. On salue. On s’en va.

Tu veux sortir de la prison, tu veux, tu veux, il y a des trombes d’eau qui se faufilent, doucement, à l’encontre des vagues, il y a des gouttes de pluie qui se libèrent, des larmes qui se défont,

Que je disjoncte ? Que je perde la tête, la frileuse, la perle, la scansion, que je perde un câble, une nausée sur ma tête, une référence ténébreuse, si je disjoncte c’est pour mieux vous définir, Madame, pour dire du vous et du toi, pour me parfaire d’ignorance, tu m’entends ?

Que je disjoncte ? Pourquoi pas, pourquoi ne pas, pour le néant_saccage, pour la frime, pour la firme, pour en découdre, pour ne devenir qu’une note en bas de page, que je disjoncte pour la malle, pour casser du vide, être un casseur de néant……………………………………… un remplisseur