Ce matin, je suis parti à Elínes,
Je ne veux pas aller à Elínes, je veux aller à l’endroit que des gens appellent Elínes. D’ailleurs c’est peut-être Robía. Le nom est la forme, il suffit de prononcer le même nom pour croire que l’on parle des mêmes choses. L’endroit n’est pas le lieu, l’endroit est plusieurs lieux. Elínes est plus qu’un lieu ou un pays, c’est un conte qui s’écrit à chaque fois que j’y vais, un sillon nomade.
A Elínes, le ciel est de la couleur que vous le souhaitez : bleu pour certains, violet pour les oiseaux, rouge pour les serpents. Un sourd croit qu’il est vert et un aveugle préfère ne pas le voir. Tous les restaurants sont du cœur et toutes les journées sont des femmes. Là-bas, les gens n’espèrent pas vivre éternellement, la place viendrait à manquer pour toutes ces générations immortelles, ils préfèrent avoir des enfants. Le même prénom n’existe pas. Nous écoutons beaucoup, nous avons compris que les oiseaux font pousser l’herbe sur nos toits. Le nombre de jambes est aléatoire, le sucre un poison. Les poissons de la rivière ne sont pas hermaphrodites. Le luxe est une punition que l’on agite avec le vent, c’est une paresse poussiéreuse. Les bêtes ne sont pas bêtes, les mots sont des phrases. Les tournesols sont des clochards desséchés. Le rire est une épluchure de la peur : la différence entre ce qui est et ce qui pourrait être. La mouche est une étoile filante symphonique. Les prédateurs sont des parasites. Des rues changent de nom.
Elínes n’est pas un effeuillage du réalisme, ce n’est pas un cafouillage romantique. Elínes n’est pas une utopie. Elínes ce n’est peut-être pas comme cela, mais certainement pas comme ceci. Elínes, c’est ce que nos yeux refusent de voir, c’est la cicatrice de notre pensée, c’est la blessure de l’infini, c’est une fleur dans un grand vase cassé.
Ce soir, une rêverie suit Elínes,
tandis que le livreur de pizzas livrait du soja, le mangeur de pommes croque le dernier pépin et une souris déposera un escargot sur le quai Saint-Lézard.