Le Général Instin réunit sous son nom les fondements d’une littérature d’après la disparition de l’auteur : le texte vestige, fragment, sa transmission par citations, par évocations, par interprétations, gloses, variantes qui donnent naissance à tout un réseau de versions parallèles et successives, à une littérature spectrale en somme, le doute essentiel sur l’idée d’original, d’identité établie, de « leçon » de référence, autrement dit d’autorité.
C’est au point GI du Général Instin que le plus actuel de la littérature se joint à l’archéologie, en rendant actifs dans la création des textes nouveaux les grands problèmes de l’étude des textes anciens tels qu’analysés par Luciano Canfora dans son ouvrage critique de la critique textuelle : Le Copiste comme auteur, traduit de l’italien par Laurent Calvié et Gisèle Cocco, Anarcharsis, 2012.
Dans cette discipline, on appelle « archétype » la version de référence, reconstituée à partir des différentes citations et copies disponibles d’un texte dont le manuscrit autographe a disparu. Le Général Instin est la manifestation du paradoxe de l’archétype : né de ses variantes, il est considéré comme leur origine.
Le Général Instin délivre le livre du livre et donne au texte une existence matricielle : verticalement, une constellation de récits autonomes, qui sont chacun une archéologie exhumant des fragments vestiges de textes antérieurs pour les assembler dans un texte et un sens communs, et qui sont chacun publiés dans un contexte propre, une revue, un ouvrage collectif, une plaquette, une communication orale, etc. ; horizontalement, le tout suit un même fil, forme un ensemble, compose un livre, publié de façon disparate, dans lequel chaque conte trouve sa place dans une entreprise archéologique plus vaste, celle du projet d’une conférence sur l’autorité commandée en 1903 au général Instin par le Ministre de la Guerre pour la formation des élèves officiers.
Le Général Instin réalise de toutes les façons possibles cette observation de Luciano Canfora : « le texte que nous lisons est toujours en définitive l’œuvre du copiste ».