une nuit j’ai rencontré instin, à la lumière de mon écran
il avait plusieurs voix et plusieurs histoires
un autre jour j’ai vu sa tombe au cimetière montparnasse. il faisait beau et j’ai vu le vitrail
j’ai vu aussi la tombe d’adèle hinstin et bientôt j’ai su : qu’adèle et adolphe n’étaient qu’une seule personne, tantôt homme, tantôt femme. d’où me venait ce savoir ? depuis j’ai oublié l’histoire
chacun a ses morts
je pense souvent à instin désormais
parfois je parle avec sa voix
je n’imagine pas que je suis lui, j’essaie de savoir ce qu’il ressent : ce que l’on ressent lorsqu’on est un général qui, mort, continue de vivre, d’errer, sans chercher rien de précis. j’aime qu’il n’ait aucun but
j’aime surtout qu’il ne soit pas vraiment mort
chacun a ses morts
le militaire d’instin est pour moi plutôt d’opérette. la guerre n’est pas ce qui le définit mais une péripétie, dans laquelle on peut puiser. ou la métaphore d’autres luttes. instin n’est pas un guerrier. il n’a jamais rien gagné. il continue de vivre en vain
instin n’a pas de visage
parfois je vois bien sa silhouette, il est de haute stature, avec un grand manteau, un pas traînant, il tangue vaguement,
il est parfois une ombre enveloppante
instin ne veut rien dire — c’est aussi en vain qu’il parle. mais il est une persistance
j’aime qu’il ne soit pas mort
parce qu’il y a une tombe qui porte son nom, instin diffère d’un personnage de littérature. instin est hors de nous, hors de tous ceux qui écrivent à son propos/ l’écrivent/ le font vivre et proliférer comme « projet ». instin, de par sa tombe, a un pied dans l’histoire, mais aussi un pied dans notre présent : il a ce lieu, au cimetière montparnasse, paris 14ème, et depuis ce lieu, ça rayonne
mais comme instin s’écrit sans h, il a l’autre pied complètement ailleurs, il n’a plus figure humaine, il est fiction et prolifération, il est libre, livré à celui qui voudra bien s’en emparer — sans exclusivité
instin n’oppose pas de résistance
mais il échappe : instin n’est pas vraiment mort ni vraiment vivant, ni vraiment fictif ni vraiment réel, ni vraiment hinstin ni seulement instin
instin n’est pas vraiment
ça rayonne vraiment dans tous les sens
son cas incite à se pencher sur d’autres cas similaires — sur d’autres manières d’inventer des morts qui ne le soient pas vraiment, de parler avec les esprits
le chasseur gracchus est une forme d’instin, à moins que ce ne soit l’inverse
instin est réversible
il ne se termine pas.
à l’instar de shiva, dont il est paraît-il un avatar, il a les yeux mi-clos, et plusieurs bras