Né à Angers en 1971, Jolyon Derfeuil s’est d’abord découvert une passion pour la poésie dès l’adolescence, au sein de l’atelier théâtre de son lycée, reprenant des textes de Raymond Queneau pour les jouer sur scène. Il découvre aussi Pierre Reverdy, Antonin Artaud et les poètes surréalistes. Dans la foulée, il fréquente plusieurs ateliers d’écritures et intègre la rédaction de diverses revues… Après des obligations malheureusement militaires, il entre à l’université d’où il ressort avec une maîtrise de lettres modernes et surtout l’envie de faire des films. Il réalise un premier court-métrage, « L’homme qui sentait les livres » qui obtiendra le grand prix du festival du film artisanal de Joyeuse en Ardèche.
La suite de son parcours s’illustre dans l’associatif, l’écriture de scénarios, la réalisation de films ou de clips mais toujours dans un esprit d’indépendance sans pour autant délaisser l’écriture poétique.
De 2005 à 2010, il anime entre autres des émissions de radio consacrées auSlam et au cinéma sur la radio angevine alternative « Radio G » et fait des improvisations poétiques en direct dans une autre émission dédiée au Free Jazz. En 2012, il crée son association, les « Films d’Albert ». Depuis 2016, il intègre le Collectif du Printemps des Poètes d’Angers ou il crée des performances poétiques mêlant textes et vidéos comme « Poèmes & Pixels », « La Tignasse » ou « La gorge ».
Filmographie sélective : « l’Homme qui sentait les livres » (2001) ; « Cœur à la peau dure » (2003) ; « Une pièce unique » (2012), « Poèmes & Pixels » (2015)
1. Le même en bleu
J’étais un réfugié
Dans un ciel de passe
Un dieu ventriloque
Me disait la route
Au sortir du rêve
La terre se retournait
J’étais un insoumis
Qui mourrait de faim
Avec les fantômes
Un vent bien monté
Me faisait marcher
Et les mots toujours
Etaient les premiers
J’étais dans un mauvais rêve
Où de lents miroirs
Reflétaient le soir
Un oiseau sur l’oreiller
Me regardait parler
C’était avant la mort
La vie des paupières
J’avais comme survivant
Mon chien d’étoile
Compagnon précoce
Qui pissait sur mes silences
Et l’odeur me remontait
Comme la mémoire
Revenait par la pluie
J’étais un petit garçon
A l’école des poux
Un maître buissonnier
Me faisait la leçon
Et j’apprenais à courir
Pour devancer l’aube
2. Murmures de secours
Pas d’orage ce matin.
Mes oreilles dans l’embuscade du silence.
Dernière dédicace du jour, sur une route de campagne
Celle qui glace et glace encore
Même à midi pile.
Sur ce territoire qui n’est plus le mien
Un futur peut-être, jettera l’éponge.
En route vers de nouveaux canaux.
Des récifs et des coraux de terre Gravent dans ma bouche
Le vœu de la soif ou de la corne.
Je ressuscite le vieil instinct des hommes.
Un ciel blanc tourmenté de corbeaux
Eclaire les ruines de mon ancienne urbaine.
Comme la solitude est propre
Pendant le corps immobile,
Celui que j’ai défait de mon ombre solaire
Et refait sous les rayons de lune.
La langue tourne à vide.
Projet de viande, sons des papillons Un peu d’enfer pour revivre.
Maintenant je suis un minéral.
Je suis l’eau de la sueur
Qui débordait mes tempes.
Ultime livraison de l’humanité
Avant la mort du temps.
Je peux pleuvoir sur un champ de blé
Et penser infiniment.
C’est une planète désertée de ses poètes,
De ses milliards de rimeurs fous,
Une planète ravie de ses nerfs…
O mortels, morts de chaud,
Vous pouvez croire et être crus.
Moi, j’écris en marchant
Car c’est le début de l’exil…
Je décrète
Une solitude de combat Et le renfort des oiseaux.
3. Réfractaire
Ce soir
Ce soir, gorges pleines, oreilles internes
Ce soir, chaos et dépravation
Ce soir, restes de vertiges au fond des yeux
Ce soir, l’air bâillonne la solitude
Il y a
Un rêve coincé entre le front et le futur
Celui qui ne pourra jamais sortir de ma tête
Le jus de la douleur
Sous le volume de la musique Il y a
Dans le cœur de la ruelle
Des boîtes de bières à moitié vides
Et qui traînent derrière elles
Des sermons bavards
Et des envies de néons bleus
Sous le bitume, les mauvaises habitudes
Le corps à corps teigneux des rats de synthèse
Moi, je relève celui qui récidive,
L’apprentissage de la flemme
La flemme
Dans un club
Un contrebassiste un peu philosophe
Rêve de crever les yeux
Au manager de dieu
Ce soir, c’est le petit soir
Passé à épuiser le sens
De tous les mots de la violence
Oubliés avant demain matin
Un souffle titanesque et inutile
Pour enlever la poussière du vinyl
Et nous voilà réfractaire
Et heureux d’être à l’envers
Encore un soir au cœur de la sève
Encore un soir à mixer du rêve
Addition de saxophone et de piano
Soustraction de larves sous la peau…
Rumeur d’écume et greffe d’étoiles sur les ondes
Pour celui qui sèche les lunes et les blondes
Odeur de plume brûlée
Et de sel à moitié volé
4. Mon père avait réglé l’heure
Mon père avait réglé l’heure
Le jour
le mois
l’année
Ma mère avait réglé l’heure
le jour
le mois
l’année
Et moi j’ai tout déréglé
Allant à rebours de la montre
J’ai penché vers le sang Sentiment de ma durée
Et je n’ai rien trouvé
Dans mon ombre un enfant perdu
Qui a fait sa mue
Et un autre qui brûlé le coffre à jouets, les légos, les avions en papiers
Perdre et gagner
Téter le verbe et la violence
Tout ce qui fait sans délai
De notre vie
Un histoire
Je m’appelle Aimé, Abel, Jules
Jojo la terreur,
Je m’appelle Albert
Je m’appelle comme mon père
5. Qui a déjà eu sommeil en ville ?
Qui a déjà eu sommeil en ville ?
Moi je ne sais pas je ne sais plus Je n’ai plus la moindre paupière
J’ai vérifié toutes les pluies tombées des toits
La grêle sur les passants
La neige sur les voitures l’hiver
J’ai remonté le temps sur les trottoirs de l’errance
L’autre jour au feu, il y avait cette vielle femme qui tendait la main
Et nous l’avons laissé faire
Il y a bien des gestes d’humanité modifiés par l’ennui
Et des jardins ouverts
Mais personne ne revient en arrière
La charité ne peut pas se garer
Dans une autre jeunesse j’avais soif dans la rue
A force de courir après les autres enfants
Sous le soleil malmené des boulevards
La tête en l’air, les yeux sur de vagues statues,
Le nez plein d’une odeur de carton moisi, de vin chaud
Qui pouvait courir mieux que moi,
Tout connaître des flaques d’eau, des réverbères ?
Mais qui cache encore son sommeil sous la pluie ?
Quelle est donc cette ville vivante dans ma tête ?
Dans ceux qui passent en face de moi, quelqu’un à oublier de rire…
Mais ils se ressemblent tous.
L’un d’entre eux sera fauché faiseur de joie
Avant l’aube, la montée de la mer,
L’horrible origine des douceurs que je côtoie en souvenir
6. C’est un après midi de bruine
C’est un après midi de bruine
De sourcils tout confort ou parasite l’insouciance
Ou nos yeux sont délavés sans être fermés C’est le corps de la vitre qui ruisselle
La langue entre les feuilles
C’est pour lécher l’air sans effort
Rêves uniformes à grand renfort de crochets
Mouille un peu la paupière pour tenter l’aventure
La-haut, un coin cotonneux
Une brèche par ou passe l’arc-en-ciel
Et finir le jour comme çà
A toiser des moineaux bleus
Rigoles sur les joues : liquide de l’ennui Tu peux rougir après si c’est le nez d’un mort
Mort de joie, gouttelette qui s’apprend, qui se boit…
L’esprit récidive, sèche tout seul
Et vole une ombre en bas de la nuque L’œil finissant
Il trace le contour des nuages Avant de voir le noir
le noir
7. Night shot
Elle est tout prêt
Elle est par là j’en suis sur
L’amoureuse des mots, la poésie nocturne, la vie ici bas Je n’ai que de maigres souvenirs d’elle
J’ai pleuré pour rester dans ma chambre et la séduire Elle est dans l’air
L’air de la nuit
Ou les chats font des brouillons de chansons avec les rats Je ne vais pas la retrouvé tout de suite
Elle a un corps si intransigeant
Elle est tellement spéciale
Une petite voix sous l’oreille m’appelle
Une petite vie soufflée dans du papier
Et là je me balade de l’autre côté de ma tête
Dans quel grenier me suis-je égaré
Dans quel lit ai-je débordé
Quels sont les gens occuper à s’aimer
Dehors, ou est passé le jour de nos danses ?
Une fois j’ai rêvé que j’étais un marchand de crayons
Et qu’à mon comptoir il n’y avait que des assassins, les assassins du silence Ecrire, crisser, faire du bruit avec des lettres pour tuer le présent
Et tâtonner comme l’aveugle,
J’ai encore cette manie de faire des gestes
Et de finir mes phrases