Nous somme très honorés d’accueillir pour l’été une série de Guillaume Vissac intitulé t. Guillaume Vissac est auteur et éditeur. Il est l’une des valeurs sûres de la littérature à venir. Il publie ses textes ainsi que son journal et une traduction quotidienne d’Ulysse de Joyce sur son site Fuir est une pulsion.
A suivre tous les jeudis.
pas d’animaux dans ces canciones tristes
Elle rejoue la chanson dans sa bouche. L’écran est déchargé la chanson passe par sa propre bouche. Elle chante pour nous, elle nous joue la parole en chantant. Elle enlèvera ses chaussures et pieds nus sur la table elle chantera pour nous tous mis en meute autour d’elle (une meute de nous sages). On se tient chaud les uns les autres en l’écoutant chanter. Quelqu’un a voulu savoir ce que les mots veulent dire, elle est restée silencieuse très longtemps après ça. Après le chant, je veux dire. Elle regardera dehors venir battre le vent. C’est nuit, c’est là, c’est pigments. De la crache charbonneuse pleine de fibres et douceur. Oui, de la douceur. Pigments d’une mine de cuir lignite pleins de reflets d’oursins. Elle est revenue à nous enchevêtrés en nous pour le chaud. On voyait ses pieds là sur la table. Elle dira : c’est une histoire cette chanson, une histoire triste. Une de ces canciones tristes. Quelqu’un a demandé mais il n’y avait pas d’animaux dans ces canciones tristes. Il fallait qu’elle traduise tous les mots mot à mot alors elle prend du temps à l’articulation, à chaque forme, chaque avance de la bouche. Elle dit que quelqu’un dit les choses dans la chanson, que c’est quelqu’un qui observe la fin du monde des hommes qui viendra dans cinq ans alors il (elle reprend sa respiration sa salive et ses yeux dans le vague de la nuit, attirés par la vitre, vont de là à là en quelques secondes pas plus) alors il met dans ses yeux le plus de choses possibles pour les vivre avec lui. Il y a eu un long, un super long silence, il y a des longs silences entre nous (je dis nous pour ne pas dire eux), elle s’appuierait sur ces longs silences-là pour reprendre pieds en elle. Elle dit qu’il y a des larmes dans la chanson, des sons, des airs, des jeux, des visages et des corps de toutes sortes et de toutes les provenances, et il y a du malheur et de la haine, aussi, et il y a de la joie et des émotions vives, aussi. Je crois qu’on peut dire ça, dit-elle, il y a des émotions vivantes. À la fin, on ne sait plus trop à qui la voix de la chanson s’adresse, comme on ne sait plus bien à qui elle, qui est devant nous à partager pour nous, enchevêtrés là pour le chaud, la parole, elle s’adresse également. Quand elle nous regardait les yeux plongés dans l’aube de nos yeux tendres à nous c’était pas vraiment nous qu’elle voyait… Mais je dis nous pour le chaud, c’est vrai. Quelqu’un voudra savoir comment se termine la chanson, ou plutôt non : quels sont les derniers mots du chant qu’elle chante. Elle répondra sans doute. Avant ça, elle doit prendre une longue respiration dehors, dans les reflets lignites. On a mieux dormi cette nuit-là dans le chaud. On avait le chant dans le nez en plus de la parole, ça nous a tous tenu au corps.