Archives de l’auteur : admin

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 3

 

Sur l’écueil, la mer
le bleu et trop
de livres.

Tricot de peau de laine jaunie.

Arrive un groupe de jeunes gens du coin
quatre garçons
quatre filles
les surhommes les surfemmes.

à jamais, je reviendrai, pour cette même et identique vie, dans le plus grand et aussi bien le plus petit

Ils viennent sans cesse,
adversaires redoutables,
signifier notre fin,
la fin du vieil homme
à la plage.

Ils ont un ballon et ils jouent.

Insouciants, nous écrasent,
avec leurs peaux mordorées,
leurs muscles,
leurs chairs
– chair des garçons – chair des filles –
beaux, beaux,
inexorablement beaux et jeunes
et ils nous écrasent,
nous, nos tricots jaunis,
nos slips de bain trop larges,
nos vieilles jambes blanches
et nos yeux flétris.

Usant du ciel comme chemin
de la mer d’argent comme une lame
du soleil comme un regard.

Inlassables, ils reviennent.

Nous enfoncent loin dans le sol,
sur la terrasse d’un restaurant,
où tous les tentacules,
tout le vin blanc frisé,
n’échappent pas à
l’écume.

“l’essence du péril s’abrite en retrait”

 

suivant

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 2

 

Dans les roches se dessinent – d’elles-mêmes – de nombreuses figures, tantôt nobles et majestueuses, tantôt grotesques et misérables, tantôt monstrueuses, tantôt d’une affligeante banalité.

Quelle est leur raison d’être, sinon qu’on les décrive banalement ?

*

Toute la virulence de l’onde, qui se déchire en mille vagues, selon plusieurs régimes de forces (différents d’intensité, comme de directions, de couleurs et de formes)

*

Lorsqu’on se voyait, après, dans la glace, dans le miroir, on observait les différents coups de soleil. Parfois, si quelqu’un avait gardé son tricot de peau, de peur de l’insolation, il pouvait constater cet effet manifeste du tissu, à savoir que le soleil avait comme concentré ses efforts sur la charnière entre la couture du tissu et la peau nue.

 

Cet effet de l’impensé ne laissait pas de l’étonner.

*

Et les volutes, virevoltes et fracas [illisible] des arrachages des vagues, quel pouvait être leur lien avec les strates tortueuses, les obturations, les sutures, les ruptures, les cannelures des veines de marbre dans les chaos du schiste ?

*

Le vieil homme observe son contemporain, en slip de bain rouge, qui entreprend sa troisième baignade. Il devait avoir le même âge, peut-être était-il plus vieux. Sa peau était orange de soleil et il avait de belles dents ; une coiffure de cinéma. Assurément il paraissait plus jeune que lui-même. En meilleure forme. Et plus apprêté, au regard, au galet, à l’onde fraîche, au monde.

Le vieil homme, blanc, très blanc, se pelotonnait derrière ses chaussettes un peu délavées. Il méditait sur les brûlures qui ne manqueraient pas de lui venir sur les ailes du nez.

*

Enfin le chien ramenait le bâton.

Mais si le bâton allait dans la mer c’était encore mieux. Il se jetait en elle avec un évident plaisir.

Mais sans bâton, il n’irait pas dans l’eau – elle me fait remarquer. Il ne sait pas jouir de l’eau en soi.

Son rapport avec l’eau, le bâton et la main est mystérieux, mais il est moins mystérieux que sa soumission naturelle (on dit fidélité).

Le chat est plus un “connard” – elle me dit – et moi je le comprends mieux. Je ne vois pas ce que les gens trouvent à dominer ainsi le chien, ce rapport de dépendance, ce jeu de dupes, ce regard qui supplie.

 

suivant

Eric Darsan | MIC (Made In China) MAC(H 3/3): French déconnexion

Eric Darsan

Né en 1975, Eric Darsan est écrivain, critique, nomade, et membre actif du Général Instin. Il publie textes et articles dans diverses revues littéraires en ligne (remue.net, Poezibao, Sitaudis, La vie manifeste, etc.) ainsi que sur son site personnel, avec un intérêt particulier pour l’édition indépendante, la littérature contemporaine et expérimentale, poétique et politique. Il est l’auteur du Monde des contrées, paru en 2016 aux éditions Le Tripode et illustré par les 400 coups.

«Mais pour revenir à mon sujet, que j’avais presque perdu de vue, la première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels.» (Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire).

Roulements d’yeux, de tambour : les enfants uniques s’avancent par deux. Une jeune fille se met à chanter : les femmes-oranges reprennent leur air/souff-l-r-e(nt), sans masque, entre deux nénuphars. Des bouquets de jonquilles encadrent le drapeau, porté comme un linceul par mille hommes marchant au pas comme un seul. Vu du sol, la terre est rouge plus que sienne. Autour du portrait de Ma(k)o®, le défilé devient carnaval — folklore : vélos & chapeaux chinois, danses populaires & hommes d’affaires. Figurines de carton-pâte, lâcher de ballons plastiques par milliers qui empoisonnent l’atmosphère. In-conscience/-toxication massive, collectiv(ist)e. Entracte, poudre aux yeux/nez étiquetée Made in China.

Hon se débat dans son sommeil. Dans son esprit s’est déroulée la plus stupéfiante des fêtes. Un culte du/au progrès, fait fête populaire où se sont co(n)fondus, l’espace d’un instant, Nouvel An chinois & Sacre du printemps, nat-ion/-ivité, & mille fleurs & chars & tigres & dragons. Li&s par des milli€rs/milli(¥)ards/myriades de rubans. Animée par toutes les composantes de la société sous le regard médusé de dirigeants qui ont su renouer(,) avec leur âme d’a-u/-ntan(,) les vertus virtuelles d’une fiction dont tout le réel a été expurgé. A cette fin : une (d)ébauche de moyens sans fin, un programme pour la jeunesse, un divertissement enfantin — Much Ado About Nothing [beaucoup de bruit (Hon traduit d’ados) pour rien]. 

«J’étais furieux de n’avoir pas de souliers; alors j’ai rencontré un homme qui n’avait pas de pieds, et je me suis trouvé content de mon sort.» (Proverbe chinois).

Cette nuit de Chine (n.f. : Pays de rêve où l’étranger cherchant l’oubli de son passé dans un sourire a retrouvé la joie d’aimer), les spectateurs (genre pas déconstruit), l’ont partagée avec ses acteurs. Comme un divertissement à leurs conditions respectives — (dé)ca(la)ge, de verre, doré(e), sans frontière. Même confiné, Hon le sait bien : où que son regard s’égare (séjourne, voyage), les personn(ag)es rencontré[e]s parviennent toujours à exercer certaines libertés qui leur permettent de tolérer la contrainte. Comme si toute résistance offrait une consistance à l’adversité. C’est une grande consolation & un grand désespoir à la fois. De voir cette condition humaine partagée & de se dire qu’il y a toujours plus contraint que soi. 

Merde in France (Masque à gaz ciao bye bye). Hon se réveille en sursaut/sueur. Alarmé comme toujours par les faux-/non-événements(, )d’ici, d’ailleurs, Hon a (ap)pris l’h-/H-istoire. En marche (what else TINA ?), les commentateurs du cru (distants) ont vu ce qu’ils voulaient savoir, et Hon l’a relayé. Cru dur comme (la dame de) fer que la démonstration de force des soldats t-/v-êtus de plastique (Made in China) était destinée à l’étranger, rien de plus. Faux : [s-/c-hips, plan(e)s, t(h)anks :] think different® : à travers le tigre, au-delà du papier (tue-mouche-moustiques-rats-moineaux), c’est la vie toute entière, quotidienne et planétaire, que vise, verrouille et t(o)u(ch)e le capitalisme autocratique et sa tentation totalitaire, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. 

Sous le couvert de la démocratie, la république autoritaire réécrit le passé, subvertit le langage, (con)fond sphère publique et privée, intime, surveille et punit sous l’égide de son leader omnipré(sid)ent qui. Instaure une économie de guerre tournée vers la survie («du jambon, du fromage : des choses concrètes» (Ma(c®)o(n)). Invite à «enfourcher le tigre» plus qu’à chevaucher le dragon, salue Salut (Xi, dit Ma(k)o Moulage®), avec lequel il partage en direct milli(¥)ards et masques au nez des Etats désunis d’Europe et d’Amérique, teste technologies et loi de sécurité avant de les appliquer chez lui. Nie l’universalité des droits, cantonne celle des devoirs à la maison. Sous sa tutelle, la pirotechnie est toujours avenir : entre transhumanisme et collapsologie, elle a de beaux jours devant elle, et nuit(s). 

«La bombe atomique de l’esprit fait exploser la bombe atomique de la matière.» (Ma(k)o®)

Hon se lève pour de(/d’un) bon(d). En avant/arrière, c’est toujours pire qu’ici, à ce qu’on dit. Pour en avoir le cœur net, il faudrait abandonner cette idée au logis, voir ailleurs s’il y est, mais Hon ne s’en va pas (monsieur). En l’an pire de l’empire hexagonal, où l’absurdité contagieuse dépasse l’imagination asservie, Hon ne pense pas (monsieur) : Hon s’Assimil®, répète commente revote con(sta)te. L’ennemi, intérieur, est partout le même, sans qui nulle contrainte ne pourrait s’exercer : police, milices, armées, drones et balles impopulaires qui défilent pour la Fête des fantômes et défigurent les figurants. Hon est très conscient, manifeste, mais ça ne change rien. Par crainte de l’action directe et de la violence subie ou infligée, Hon n’y va pas assez, n’ose pas («Oser lutter, oser vaincre.» souffle Ma(k)o®). 

Hon parcourt les journaux, les réseaux, qui ont tant glosé, se sont tant gaussé des chiffres, ont tant et tant. Traité de l’efficacité de leur traitement avant de l’appliquer aux leur(re)s. Compté sur l’amnésie et le contrôle des populations, ali-/dé-mentant tour à tour les rumeurs de complot et le racisme ambiant. Hon se souvient de Wuhan, «la ville la plus française de Chine», berceau de l’industrie et de l’épidémie de zoonose qui co-vide désormais les villes avec l’appui des autorités. Debout devant son frigo fabriqué par des esclaves Ouïghours et rempli d’animaux morts, Hon, attiré par un magnet, décroche la carte postale reçue il y a des mois où figurent deux jeunes filles, un vieil homme en vélo. Entre eux/deux âges, un autre personnage d’origine asiatique consulte son mobile au pied d’un monument d’architecture soviétique. 

Hon retourne la carte, comme au jeu de memory, s’attend à découvrir Beijing, survole et lit : «Je t’écris de Tiranë, Shqipëria, au cœur des Balkans. Le Musée National Historique, avec sa mosaïque monumentale, est inspirée du réalisme socialiste. A sa droite, le Palais de la Culture a été achevé par des architectes envoyés par Ma(k)o®. Entre les deux, le building de l’hôtel international communiste. Derrière moi, l’hôtel de ville fasciste. A sa gauche, une mosquée et une tour ottomane restaurée par la Chine. La place Skanderberg, héros de l’indépendance, a été rénovée par un cabinet français dans une vision européenne de la capitale ». Hon repose la carte, sépare mentalement les images décrites, les mélangent à la manière d’un puzzle, tout s’ajoute, mais rien ne s’agence avec ce qu’Hon a apprit. 

«La critique littéraire et artistique comporte deux critères : l’un politique, l’autre artistique.» (Ma(k)o®) 

Pour comprendre quelque chose, quelqu’un, quelque part, il faudrait toujours commencer au lieu de finir par. Deviner qui est Hon, qui on est et d’où on parle, qui s’a-g/l-ite, but(t)e sur les m-aux/ots. D’une expérience/perception par essence fragmentaire, presser un réel ré-(/)un(/)-ifié d’apparaître à travers la profusion de ses réalités toute(s) relative(s), malgré la confusion et la sidération, la fascination et l’impuissance qu’elle(s) génère(nt). Appliquer au H de l’Histoire, aux aléas de l’actualité, le traitement pro-pédeu-/-phylac-tique d’une critique littéraire qui distingu-/analys-/erait l’effet des faits, (dé)li(e)rait pensée et l’action, praxis et poïèsis. Sortir du mauvais rêve/sort de la dialectique, des crises qui nous séparent, divisent, substituent l’avis à la vie, pour aspirer à la (dé)construction, entre critique et création, vers et fruits, remède et poison, d’une po-é/-li-tique digne de ce nom. 

En attendant, tant qu’Hon ne parviendra pas à s’extraire, Hon n’aura rien vu, com/-ap-/-pris, ou plutôt si :  tout ça c’est du chinois, vu d’ici. 

Crédit photo : ©Huang Gang, 16 Mao (résine peinte), 2005 

Eric Darsan | MIC (Made In China) MAC(H2/3): Hong-Kong correction

Eric Darsan

Né en 1975, Eric Darsan est écrivain, critique, nomade, et membre actif du Général Instin. Il publie textes et articles dans diverses revues littéraires en ligne (remue.net, Poezibao, Sitaudis, La vie manifeste, etc.) ainsi que sur son site personnel, avec un intérêt particulier pour l’édition indépendante, la littérature contemporaine et expérimentale, poétique et politique. Il est l’auteur du Monde des contrées, paru en 2016 aux éditions Le Tripode et illustré par les 400 coups.

 

«Tous les réactionnaires sont des tigres en papier. En apparence, ils sont terribles, mais en réalité, ils ne sont pas si puissants. A envisager les choses du point de vue de l’avenir, c’est le peuple qui est vraiment puissant, et non les réactionnaires.» (Ma(k)o®)

Face à la place de la porte de la Paix céleste, Hon poursuit sa (m-/)v-is(s)ion, aperçoit sous/sur le portrait du Grand, la figure du Petit Timonier, concentré (petimonier), menant son équipage, qu’il avait bien (du courage). Censuré, hors-champ/-cadre (derrière, avant, le feu d’artifice(s) final) : le montage (financier), l’explosi(ti)on (médiatique), le mélange (d)étonnant, fondu/soudé de la dictature politique et de l’économie ultra-néo-libérale dans une Chi(na)mérique(,) union démocratique et sociale. La fusion d’un réel et d’un virtuel omniprésent€($),d’une vision unilatérale centralisée, (dé)formée, d’un capitalisme rouge qui n’a gardé du communisme que l’Etat : moins l’ordre que le pouvoir, (con)testé par HK. 

Two countries, One system : Delenda Carthago et tout ça. De nouveau, Hon part, court les manuels scolaires, (pro)mu(s) par le pouvoir, voit les deux superpuissances mondiales se j(a)uger à travers leurs avatars — sociétés miroirs, truc-hement/-ages pour (sa)voir qui sera. Premier King d’Hong-Kong, nuque calée sur son oreiller à mémoire déformée, Hon rêve encore. D’histoires de cow-boys et de fantômes chinois : l’un des deux est de trop dans cette ville et tout ça. «On ne saisit rien la main ouverte» disait Ma(k)o® : depuis les guerres de l’opium et la révolte (à poings fermés, nommée) des boxers, à Hong Kong, (S)RAS de la RPC, on ex-porte/-trade à qui mieux mieux de/vers l’O-ri/-ccid-ent et vers/de l’O-ccid/-ri-ent. 

«Seul celui qui porte des chaussures sait si elles lui conviennent, et il n’y a que les gens qui peuvent dire si la voie de développement qu’ils ont choisie pour leur pays est la bonne» (Xi Jinping)

Face à la gestion impéri-euse/-ale de l’espace (con)sacré, Hon voudrait se tenir debout comme l’armée de terre (cuite) de Xi(a)n, mais Hon peut seulement. Lever les yeux et entrevoir, dans cette obscure parasomnie infantile et militaire, en lieu et place de l’heur-e/-t du réveil, deux dates et leur commentaire : 1949=>2019 : décalage, horreur. Hon gît, dort, sombre, songe que, malgré toute sa bonne volonté, le sursaut de Hong-Kong est encore rêve d’unité, émeute des boulettes de poisson, naïf dans ses appels à la Communauté Internationale. Hon s’indigne, du World Dream répond : il n’y a pas de CI. De là, exhorte HK à abandonner la dépendance et la fascination. En vain : là-bas comme ici, le régime d’exception confirme toujours la règle.

Enrichissez-vous, disait un autre Deng, un autre Xi, et si le rêve chinois (Zhongguo meng) n’est pas l’américain dans sa way of life (ce rêve bleu, je n’y crois pas, c’est merveilleux), il le concurrence à sa façon : c’est un songe intérieur dont le veilleur se veut gardien. Camps d’internement, de rééducations, persécution des minorités, interdictions de manifester, liquide marqueur, yeux crevés — chaises du tigre, assise chez les Dragons. Les hauts fonctionnaires, pour pallier à l’indignation, comme partout parlent économie, poétique du panoptique octroyant à l’argent une valeur morale — individualisme communautaire et autres contradictions (l’économie n’est jamais solidaire) initiées par la lignée des Ma(k)o®. 

Big Brother/Da-da/-ta : vidéosurveillance & censure, contrôle & crédit social : il n’y a pas de diplomatie du Jinping-pong (Nixon in China), aucun jeu possible : juste un grand vide, un filet et des balles : : : (Made in China). La poudre aux yeux du Ma(k)o® original contenait déjà en creux la drogue et le poison, l’opium du peuple, l’obéissance comme religion. Le pinyin de Xi Jinping n’est pas né de la dernière pluie, le jump de Jinp pas un saut dans l’inconnu, mais la poursuite du Grand Bond en avant et de la Discipline confondus. Le régime dur(e), donc le régime ment. Amitié immortelle, décorée. De chrysanthèmes, de poignée de m-/n-ain(s). De Kim à Xi — R(D)PC. Au même moment, dans le Port aux Parfums, un étudiant est abattu.

«Voyez, n’étaient-ce pas des tigres vivants, des tigres de fer, de vrais tigres? Mais, en fin de compte, ils sont devenus des tigres en papier, des tigres morts, des tigres en fromage de soya. Ce sont là des faits historiques.»

Le tyran, revenu à sa place par la magie de la télévision, déplace le curseur et regarde le doigt en haut ^ à droite > en bas v a-vant/-rrière, carré(,) noir de militaires, a/o-u pas. Bruit blanc => Une femme crie, d’autres lui répondent <=Bruit blanc. Le regard fixe(,) l’une(,) fixe l’autre. La caméra(,) la diagonale. Figée, dans la ligne de mire, chaque femme en blanc de la rangée. Égale dans son rang, commande un mouvement, reine dupliquée formant un échiquier (é)mouvant sous le regard soudain (é)m(o)u(ssé) d’Hon qui, relayant un scoop, participe((,) présent,) à sa viralité : HK se coupe, coronavire (un temps, soit peu) la Chine pour raisons sanitaires — «L’homme n’est pas une marchandise comme les autres», disait l’homme au Kärcher®. 

Leçon de confu-sion(-/cia-)nisme : travailler + pour gagner + que la somme des parti(€)s. Au pouvoir, on vise l’immunité diplomatique par l’intoxication massive d’une population m-/n-assée, (dé)classée, à la lutte détour(n)ée. Avec le virus, le net et la rage sont muselés, endigués effluves et flux. Tendu, à force de se laver les mains & la conscience, boule à z & tabula rasa, Hon ne distingue + rien (ne) réagit + (ne) s’en-f(o)uit +. Du rêve de la réalité, les chaînes de (super)production libellent l’imagination par-delà les frontières. Apparition encadrée du Grand Timonier : le Vrai, Ze Dong (l’autan, du levant), format portrait. En contrebas, en faux-col Ma(k)o®, dé-/en-touré de ses sbires, Xi [(sou)rire en croiX :-z] relance le coup d’envoi. 

Femmes-oranges (rouges & jaunes, dégradé(es)). Détonations, tirs et bottes : échos. Les soldats, sans se défiler, (en)filent la trame du roman national, le regard vide, a-/lobo-tomisés. Un moment de répit et c’est reparti, comme s’ils s’apprêtaient à ré-envahir le Tibet, la Hongrie. Coup d’œil dans le rétro(-action) de la voiture à f[r]ic(tion) de la doublure Ma(k)o® : cascades, tonneaux, de documents d’époque. Ailes volantes, chasseurs à géométrie variable, avion(-)[s, ]cargos. D(‘)assault®, Elbor et Getbo. Loopings, loupes et coupés, oiseaux de bois (mu yuan) conçus à des fins/par défunts militaires, pour mettre l’ennemi aux abois, émettre aux alliés et assimilés, ®épandre en boucles é-t/rr-atiques — la répétition comme équivalent du spectacle. 

Crédit photo : ©Huang Gang, 16 Mao (résine peinte), 2005

Eric Darsan | MIC (Made In China) MAC(H 1/3): China collection

Eric Darsan

Né en 1975, Eric Darsan est écrivain, critique, nomade, et membre actif du Général Instin. Il publie textes et articles dans diverses revues littéraires en ligne (remue.net, Poezibao, Sitaudis, La vie manifeste, etc.) ainsi que sur son site personnel, avec un intérêt particulier pour l’édition indépendante, la littérature contemporaine et expérimentale, poétique et politique. Il est l’auteur du Monde des contrées, paru en 2016 aux éditions Le Tripode et illustré par les 400 coups.

«Chose vraiment étonnante et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter puisqu’il est seul.» (Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire). 

C’est un rêve/®éveillé, un mirage sans nuages, une hallucination collective entre amor fati et fata morgana qui s’anime. Le dess(e)in à miner d’un monde dyslexique, unilatéral (Ernst Mach) et (multi-(/)-bi-)polaire qui s’agite. Arrête : grand-angle, écran(,) (de) fumé(e) : autour d’une maq-/bag-uette(, )magique(s), le(s) plan(s) s’en-/se dé-chaîne(nt)/-roule(nt), se succèdent, superbement réalisé(s). Mis(e) en scène — Hon assiste, h-/éb-ahi/-été, fasciné par le faste et l’absurdité, au défilé militaire à/devant son poste. Par lui, personnage et spectateur d’un feuilleton télévisé et littéraire, se (dé)li(e)ront ici l’imaginaire et la réalité. 

Hon () signifie livre, mais aussi pays : à travers le premier, (H)on (celui d’où provient la parole) connaît le second. Hon n’est pas chinois, nippon (日本), mais français (souvent le f-/F-rançais mélange, con-fus/-fond). Tel Télémaque (celui qui : est loin du combat/combat de loin pour la fin du combat/à une fin lointaine), Hon se projette Mach 1 dans ce micmac (La superposition d’une multitude de petites perturbations crée une grosse perturbation qui augmente considérablement la résistance). L’odyssée suit son cours, la téléma®chie se poursuit, que nous suivrons en plissant les yeux, dé(-)/con-centrant notre regard.

«Lorsque des nuages ont assombri le ciel, nous avons fait remarquer que ces ténèbres n’étaient que temporaires, qu’elles se dissiperaient bientôt et que le soleil brillerait sous peu.» (Ma(k)o®)

Le buste du Président Salut (Xi) salue (sans les bras : droits, serrés le long du buste : pas au pas/garde à vous, mais comme plâtré), aussi oscille la tête en pâtre avisé. Comme un Ma(k)o Moulage® mal(a)[ ]pris, le bas du corps coulé dans sa. Gang(ue) automobile, dodu dodelinant du. Chef, (mais pas trop,) (os)cillant, clignant des yeux, Xi Jinping, répète à qui (?) mieux mieux un mot qu’Hon comprendrait s’il parlait vraiment. Chinois, le ciel est bleu (papillon de papier, passe affolé un cerf-volant), les nuages ont été chassés grâce à l’argent (en pluie) de la géniale ingénierie (pluviogénie) offerte au petit peuple des pairs qui crie (ô génie!). 

Et, haut, le soleil brille (bis repetita), libéré de la pollution grâce à la fermeture temporaire des usines. Pas un bruit/pli. Loin des parapluies nucléaires, entre la porte (men) de la Paix céleste (Tiān’ān) et sa place, sur l’avenue éternelle du même nom (Cháng’ān), Hon suit le lancement des commémorations. Blindés, missiles intercontinentaux et appareils (des tas) : toute une armada (venue d-e/-u pays) autorisée à la circulation au cœur de la capitale (où il ne pleut pas). Hommage au petit pair du peuple toujours plus grand, Ma(k)o Moulage®, t-/m-enace, se la joue Hong Kong Fou Fou & Mac de Macao, relance le Flow au Mic — Made in China. 

Les gens présents, en congé pour l’occasion (un quidam choisi pour ne pas faire de noise pour dix cantonnés à/devant leurs postes de télévision offerts par le parti) pour supporter la patrie, dévisagent les figurants (des visages, des figures). Visiblement peu affectés, hormis par la/le ma-ladie/-quillage qui leur ma-r/s-que le visage (rouge de honte/colère/joie — flush blush flash back lash). Masse atomisée dont l’image n’apparaît jamais aux côtés de l’armée ou du gouvernement, mais toujours. En marge(,) des manifestations — «L’unité est source de force» dira Ma(k)o® le Petit (quand l’eau est calme, il arrive de confondre l’aval et l’amont). 

«Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant.» (Ma(k)o Moulage®)

Le vent d’est (Dong Feng) dans l’ivresse désarme ses voiles (ou l’inverse) intercontinentales. Le drapeau rouge, jeté comme un filet dans un vivier au début de la liesse, apparaît en incrustation. Héliporté, flottant au-dessus de parallélépipèdes rectangles — pierres de sucre, dominos (Sims City, Beijing Say(s)). Théorie (diffraction/multiplication/mosaïque) des JO (divers et dettés, futurs et passés) qui se pose là (Hon on a vu/voit venir, déjà). Devant la tribune, (H)on sourit, salue Salut (Xi). Casquette vis(s)ée sur la tête puis ®abattu€, avise les chars apparus, comme constitués de blocs — peinture camouflage pixelisée façon Lego®. 

Marques déposés®, modèles siglés — JL-2, H6-N, DF-100/-41/-31AG. Avec ça des têtes, pleines comme des citernes, nucléaires à l’envi(e). Tout est si grand que c’en devient tout petit. Hon pense à Noël, songe qu’il pourrait s’agir : d’exemplaires de jouets répliques fac-similés de démonstrations, maquettes en rangs serrés comme le persil plastique sur les étalages des bouchers. Les petits soldats les longent, le port de l’uniforme, d’arme et de tête au carré², caméras au front, embarqué(e)s dans une reconstitution destinée à réinterpréter au futur un rôle et un scénario inlassablement préparés et répétés pour être joués par le passé.

A l’arrière-plan, un panneau de promo-/liquida-tion (tout doit disparaître) du régime porte (en rouge & jaune et 4X3) la mention 70. 1/Soit le temps écoulé entre le 1er Ma(k)o® et ce 7ème (VII, dit XI,) Ma(k)o Moulage®, qui s’est offert pour ses 7 ans la mandature illimitée. 2/Soi-e/-t encore, l’âge du petit livre de vinyle (soft cover). Du rouge qu’Hon lit sous la pluie (résiste à l’eau, pas au régime, qui le fit détruire pour mauvaise influence) au petit blanc, au petit jaune. Le QI entre deux thèses, Hon est comme saoul, fou, secoue ce sommeil de papier mâché, se (dé)livre et se (re)plie à l’infini in-octavo (8). Dans son sommeil, la fièvre. Empire, il ©r-ê-è-ve… 

Crédit photo : ©Huang Gang, 16 Mao (résine peinte), 2005

 

Clémence Dumper • Mythologies 6. Le crépuscule de l’idiot

Nous ouvrons l’année avec Clémence Dumper., que nous retrouvons. Née à Nîmes en 1978, formation de Lettres Classiques, enseignement, et écriture quotidienne. Après avoir vécu à Porto, Milan et Nîmes, elle vit désormais à Budapest, en Hongrie, où elle se consacre essentiellement à l’écriture. Après des débuts littéraires dans des revues comme Rouge Déclic ou des festivals comme celui de Mouans-Sartoux ; elle a publié son premier roman, Débandade, aux éditions Philippe Rey, en 2014.

 

< Précédent Suivant >

 
“Ah! Si seulement tu pouvais entendre, parler, et me dire où il se dérobe à ma force! Aussitôt sa cervelle écrasée coulerait çà et là dans la caverne, et mon cœur se consolerait des maux que m’a faits ce misérable Personne!”
Homère, Odyssée

 

Il a deux yeux, comme vous et moi, et il ne semble en avoir qu’un tant sa vision du monde est monotone, monocorde, sans autre possibilité que ce lui seul pense. Et il pense assez peu. Et il pense assez mal. Toujours dans un seul sens, unique et invariable. Fermé pourrait-on dire.

Les pensées de Paul Iphème se limitent à trois éléments: la violence, la paranoïa, la haine, sainte trinité absurde d’un esprit limité.

Paul est un homme, et se rapproche pourtant d’un animal, basique, qui ne réfléchit pas, qui ne tolère pas l’autre, en a peur, et qui refuse d’agir autrement que selon les règles que lui-même s’édicte.

Le monde tourne, certes, mais il ne tourne pas comme Paul le voudrait. Le monde tourne mal, donc, à ses yeux – à son œil dirons-nous. Paul ne supporte pas ce que les autres affublent du nom inique de MODERNITE.

Paul ne supporte pas la façon dont le monde tourne. Paul supporte peu de choses finalement et se retrouve, la plupart du temps, assez seul.

Paul aurait pu être un très bon dictateur. Paul aurait pu être un très bon “débatteur” dont est friande de nos jours la société.

Pour lui qui n’a qu’un œil dans sa tête, le monde ne devrait fonctionner que par binarité. Les races sont inégales. Les sexes sont inégaux. La force et la faiblesse jamais ne se rejoignent. On ne peut être que dans un camp. La nuance est une absurdité handicapante, presque autant que la tolérance, qui mène, d’après lui, l’être humain à sa perte.

Paul ne supporte pas l’altérité. L’autre, cela n’existe pas pour lui, cela ne mérite pas d’exister ou – il sait se montrer magnanime – cela doit rester, simplement, à sa place.

La société va mal, Paul le pense très fort, Paul le pense très mal. Tous ces étrangers qui arrivent, à ses yeux, ne sont personne. Toutes ces nouvelles lois, qui autorisent la décadence, le mariage entre deux sexes identiques, l’adoption par les couples contre nature, tout cela n’existerait certainement pas dans un monde dirigé par Paul. L’avortement, la parité, la procréation médicalement assistée: tout dans le même sac, tout à gerber, à lui faire faire des cauchemars dans ses nuits solitaires.

Le divorce, déjà, il était plutôt contre. Car on ne défait pas ce qui a été noué. Cette théorie rejoint sa vision de l’étranger: quand un peuple existe depuis des siècles, il n’est pas bon que d’autres sangs viennent le diluer.

Qu’ils restent chez eux, même s’ils y meurent? Oui, trois fois oui, car c’est ce que Paul appelle le destin. On ne fuit pas son peuple. On honore son peuple. On ne le mélange pas à d’autres qui viendraient faire tourner autrement un mode de vie durement établi !

Paul hait les étrangers, déteste les pédés, méprise les femmes et conchie les nouveaux penseurs qui rêvent – les cons ! d’une société égalitaire. L’égalité, c’est bon pour les bobos. Le cerveau de Paul, finalement, s’apparente à un petit pois hargneux.

Paul se sent incompris. Forcément. Paul se sent en avance sur son temps, ou bien d’une autre époque, d’un âge d’or où l’homme, le vrai, n’avait pas peur d’en être un. Il se pense trop intelligent. Il se pense maudit, entouré d’incapables qui ne comprennent rien.

Paul n’est pas dictateur – il aimerait. Paul n’est pas chroniqueur télé – il adorerait.
Non, Paul n’est rien. Une masse de chair, de muscles et d’ignorance.

Il rumine devant sa télé. Il râle contre tout. Il change de trottoir lorsqu’il croise un arabe, le jour. Le jour car, la nuit, Paul devient tout puissant, il sort en ville et déambule sans but. Sa stature imposante le protège. Il en est fier.

Paul erre dans les bars. Il boit. Beaucoup. Il aime s’enivrer de bon vin bien français (il a découvert, il y a peu, horrifié, l’existence inepte de vins australiens). Il boit jusqu’à plus soif et, une fois qu’il est bien saoul, Paul Iphème va traîner dans différents quartiers, pour casser du pédé ou de l’arabe, ou tout ce qui ressemble de près ou de loin à un autre.

Il toise ceux qu’il croise, ces êtres décadents qui hantent, la nuit, les grandes villes en perdition.

Et, de temps en temps, il parle à un de ces êtres – improbable rencontre entre un intolérant ivre et une âme perdue. La discussion s’engage, la nuit, bien plus facilement, comme si l’ombre facilitait le dialogue entre langues étrangères. Il s’engrène tout seul – l’alcool aide bien les choses. Il
commence à crier et une cruauté animale se faufile dans ses veines. Il est pourtant un homme. Un monstre tout autant.

Paul est ce que l’humanité peut pousser le plus loin dans l’inculte barbarie.

Il est en somme la bête qui repose en chacun d’entre nous. Chez lui, la bête est vive.

Ces êtres à qui il parle, la nuit, dans les rues de la ville, il finit par les tabasser. Poings, tête, dents: tout son être devient arme. De son pied à la force décuplée par la fureur, il écrase des mâchoires inconnues contre le bitume. Il aime les craquements que font les os brisés. Il aime l’odeur du sang, impur, qui coule de leurs blessures. Il massacre, il étouffe, avec sur les lèvres un sourire satisfait. Oh! Qu’il aime ça! Vraiment! Dans ces moments obscurs, il se sent compris – par lui seul.

Il arrive parfois que la victime meure. Face écrasée. Souffle coupé. Alors, sans vraiment être maître de ses gestes, de ses pulsions, Paul s’agenouille lentement et commence à croquer dans le corps mort.

Il faut voir son visage alors, son menton plein de sang, ses dents qui poignardent ardemment la chair encore chaude. Il faut voir son regard, ses deux yeux fous habités d’une lumière que seule la sauvagerie peut faire luire ainsi. Il est tout sauf humain. Il est une bête haineuse dont la soif de
suprématie ne s’étanche jamais. Il est le loup vorace, la hyène furieuse, chimère aux multiples pelages que plus rien ne raisonne. Bouffer l’autre, car l’autre ne doit pas exister. Scène crépusculaire, cannibalisme urbain.

Puis il rentre chez lui, repus. Il s’endort tranquillement, rêvant d’un monde meilleur, régi par ses seuls codes, heureux et soulagé d’avoir ôté de la surface de la terre un nuisible, un être infâme. Rien de religieux. Rien de philosophique, vraiment. Une pensée unique, qui est tout sauf pensée.

Paul ferme ses deux yeux. On pourrait dire, tant est obtuse sa vision, qu’il n’en a pourtant qu’un. L’œil de Paul n’est peut-être que le reflet douteux du pire que nous portons, chacun, en notre sein. Un œil rond comme le monde. Qu’il serait bon, un jour, de crever violemment.

 

Clémence Dumper • Mythologies 5. Matricide pastoral

Nous ouvrons l’année avec Clémence Dumper., que nous retrouvons. Née à Nîmes en 1978, formation de Lettres Classiques, enseignement, et écriture quotidienne. Après avoir vécu à Porto, Milan et Nîmes, elle vit désormais à Budapest, en Hongrie, où elle se consacre essentiellement à l’écriture. Après des débuts littéraires dans des revues comme Rouge Déclic ou des festivals comme celui de Mouans-Sartoux ; elle a publié son premier roman, Débandade, aux éditions Philippe Rey, en 2014.

 

< Précédent Suivant >

 
Descendant de la famille maudite des Atrides, Oreste tue sa mère et son amant afin de venger son père assassiné par eux. En assumant son acte, en méprisant le remords, Oreste devient libre.

 

Le sang sur les mains, il ne s’en souvient pas. Ou plutôt, ça ne l’affecte pas. La chaux efface tout, les cris comme les corps.

Du sang de folle. Du sang maternel. Il est né de ce sang et il renaît dedans.

Ses grands yeux suppliants, ça ne l’affecte pas. Ni chaud ni froid. Elle aurait souri, l’effet était le même. Le sang et le regard ne hantent pas ses cauchemars, pas plus que ses souvenirs d’enfance avec elle, puisqu’il n’en a pas. Bébé, il est parti pour ne revenir qu’adulte. La mère voulait cela car elle ne pouvait pas perdre son temps à élever son premier enfant.

On ne tue pas sa mère, mais les bêtes féroces, on est autorisé. Les proies le remercient.

Ces cons de villageois le gratifient gaiement de grands sourires désormais. De grands sourires reconnaissants, complices. Ils sont comme des enfants dont le tyran est mort. Heureux et presque libres. Car il a au fond de lui l’intime conviction que ces imbéciles, trop friands de soumission, trouveront vite un autre joug. Ils ne peuvent vivre sans.

Alors il les laissera à leur drôle de vie, faite d’infériorité voulue, de prison désirée.

Ce qui l’inquiète le plus, mais de loin, comme ça, c’est sa sœur, il le savait d’avance. Trop soumise. Trop imprégnée de la toute puissance de cette ignoble femme. L’être humain est modelé de telle sorte qu’il renâcle souvent à savourer sa liberté. Trop de vertige. Trop de champ des possibles. Alors que la petite cage dans laquelle il se meut, dans laquelle il se ment, présente tout le confort d’une vie d’écolier. Un cadre bien rigide et un rythme immuable qu’on suit docilement. Et croire obstinément qu’une autorisation supérieure, souveraine, sera nécessaire pour franchir des limites invisibles. L’homme a besoin de ça. Ce constat le désole. Besoin d’une dictature ou d’un État papa. Besoin qu’un autre nous montre la voie qu’il nous faudra. Et croire avec ferveur que cette voie est nôtre.

S’illusionner sans en souffrir. Emprunter cette route, cette vie, sans même contester, sans même réfléchir. Filer droit. Rassurés.

Le sang du beau-père, il ne s’en souvient pas. Cet amant abruti. Qui voulait être roi à la place du roi.

Le village. Sa seule réputation, désormais, réside en cette affaire. Sinon, il s’agirait d’un village banal. Pas de légende obscure si ce n’est, bien sûr, celle de sa famille, maudite et dangereuse. La famille Atray…

Mme Atray mère a fait taire tout le monde lorsque son cher époux fut retrouvé mort, écrasé par une vache. Il s’agissait bien sûr d’un parfait accident, auquel personne n’a cru, excepté la police. Oui messieurs, une vache est tombée, en passant la barrière. Une vache, ça se pousse, surtout à quatre mains.

Il était cinq heure du matin, un vêlage arrivait. Monsieur Atray y était allé seul et Madame dormait, épuisée par une migraine tenace. Quand Madame s’est levée, deux heures trente plus tard, elle s’est précipitée vers la ferme, soucieuse d’un danger qu’elle devinait déjà – mais il était trop tard. La vache agonisait et Monsieur était mort. Madame Atray avait l’air triste quand elle racontait ça, vraiment. Pourtant, tout le village savait.

Madame et son amant, E. Giste, avaient tout préparé. Cachés dans le foin après une longue étreinte, ils avaient certainement surgi – aucun témoin possible – et poussé de toutes leurs forces la pauvre bête sur le pauvre homme. De toutes leur forces, de toute leur rancune.

Et, dans la froide nuit de la campagne profonde, nul n’avait entendu le curieux bruit du crime.
Tout le village savait. Tout le village taisait ce qui ressemblait bien à une sombre vengeance, par peur des représailles. Car la famille Atray, enfin, surtout Madame, dispose d’un pouvoir tel qu’on ne s’y frotte pas. On tient trop à sa vie. Pauvres bouseux soumis!

Alors tuer cette pute ne fut pas douloureux.

Tous ces cons lui sourient ou lui font des clins d’œil. Ils aimeraient bien que lui, le fils tueur, devienne leur nouveau roi – mais il préfère partir: les rois ne sont pas libres. Il laissera sa sœur, complice par la pensée, innocente de ses mains, se morfondre infiniment dans un remords filial.

Faut croire qu’elle aime ça. Elle crachait sur sa mère et pleurera sa mort.

C’est une femme, malheureuse, qui est restée bébé. Elle a besoin de cage. Elle a besoin de joug. Il la laisse à sa peine qui demeure incurable.

Il règne dans le village une forte odeur de merde. Des mouches sombres apparaissent, colonisent les lieux. C’est l’odeur de leur couardise, le fumet répugnant de leur propension à se soumettre sans broncher. Ça pue et ses narines, tout son être, ne le supportent plus.

Le fils assassin va commencer à vivre. Sur son propre chemin. Pas pourrir dans ce bled. Pas moisir dans la faute. Être en vie.

La liberté l’affole et l’attire comme le vide. Pas de sang sur les mains. Pas de crime dans la tête. Seulement la plénitude de l’être qui existe, diaboliquement libre de chacun de ses actes.

Un adulte. Un individu.

 

Clémence Dumper • Mythologies 4. Fils de

Nous ouvrons l’année avec Clémence Dumper., que nous retrouvons. Née à Nîmes en 1978, formation de Lettres Classiques, enseignement, et écriture quotidienne. Après avoir vécu à Porto, Milan et Nîmes, elle vit désormais à Budapest, en Hongrie, où elle se consacre essentiellement à l’écriture. Après des débuts littéraires dans des revues comme Rouge Déclic ou des festivals comme celui de Mouans-Sartoux ; elle a publié son premier roman, Débandade, aux éditions Philippe Rey, en 2014.

 

< Précédent Suivant >

 

“ … il est doux de perdre la conscience de ses malheurs.”
Sophocle,
Oedipe Roi

 

Joe lui avait pourri la vie depuis sa plus tendre enfance. Même si sa mémoire ne pouvait remonter jusqu’à sa propre naissance, ses premiers souvenirs étaient empreints de violence autant que de crasse et de désamour. Il pouvait jurer sans ciller que, même bébé, il n’avait connu à sa mère que trois aspects : saoule, sale, terrifiante.

Les premières années de toute vie sont telles que l’enfant aime instinctivement sa mère – l’enfant cafard doit bien aimer sa génitrice. Les brûlures de cigarette, les premiers coups, la négligence : tout cela ne l’avait pas empêché, au début, d’éprouver pour cette femme une sorte d’affection naturelle.

Elle le laissait chialer dans ses couches souillées de merde. Elle oubliait une fois sur deux de le nourrir. Elle le réveillait en pleine nuit en gueulant, ou lui en collait une quand il avait la mauvaise idée de vouloir dormir avec elle. Plusieurs fois il était sorti de son petit lit et avait vaillamment marché sur ses pattes potelées, avant d’escalader le grand lit puis le corps bouffi de sa mère. Il était assoiffé de câlins, de caresses, de douceur, de quelque chose qui lui aurait fait comprendre que vivre n’était pas une tare. La main sur sa face venait contredire ce rêve.

Petit à petit, en grandissant, il avait appris à la désaimer, à se prémunir contre sa haine infernale. Il avait rapidement compris que les larmes ne savaient pas attendrir mais exaspérer la haine maternelle. Alors il avait arrêté de pleurer. Même quand il avait faim. Même quand il avait mal. Tout le temps.

Le premier mot qu’il prononça fut « Papa », ce qui lui valut une monumentale fessée. Car l’ivresse décuplait sa force – elle était encore jeune. Là où les autres avaient une mère, il ne disposait que d’un amas de chair malveillante qui empestait perpétuellement le whisky et qui dégoulinait d’injures. Il avait limité le contact physique au strict minimum. Il avait étranglé sa faim de douceur et, au fil des ans, il avait en quelque sorte apprivoisé cette folle, s’en tenant le plus à l’écart possible. Il se persuadait qu’il n’était pas sorti d’elle – on s’arrange comme on peut avec
le réel.

Chaque heure en sa présence faisait grandir en lui la volonté inébranlable de se venger un jour. Cela restait silencieux, bien loin sous la peau, docile animal qui savait patiemment attendre.

En voyant les parents des autres venir les chercher à l’école, il avait bien compris l’envers du décor : les mères ne sont pas toutes des créatures abominables, les pères existent parfois. Le sien, elle lui avait toujours raconté que c’était un connard, un lâche, un triste sire. Il l’avait engrossée un soir de fête et s’était barré comme un déserteur – il n’avait jamais su qu’elle était enceinte de lui, ce qu’elle omettait bien de dire. En riant, car cela lui arrivait parfois, elle racontait qu’elle lui avait vomi dessus après leur étreinte, comme si elle savait déjà qu’il ne méritait pas mieux. Elle n’avait, depuis lors, été touchée par aucun homme.

L’enfant l’avait crue au début. Ce salopard de père servait de creuset à tous les malheurs de sa mère. Il s’était par la suite prudemment détaché de cette idée : avant ou après lui, cette femme devait demeurer impossible à aimer. Aussi se jura-t-il de n’en aimer aucune et jeta discrètement son
dévolu sur les garçons.

L’école ne se passait pas trop mal pour lui. Il prenait soin d’avoir l’air normal, de planquer les bleus, les marques rougeâtres de brûlures sur ses bras. Personne ne se souciait qu’il soit en manches longues été comme hiver.

Il trouvait mille excuses à l’étonnante absence de sa mère au réunions, aux kermesses, à tout événement qui réclamait normalement une présence parentale. Elle travaillait la nuit, ou elle était malade. Il lui créait ainsi, pour les autres, une vie héroïque de mère sacrificielle. C’était
toujours ça de pris.

Cependant, Joe était tellement imbibée d’alcool que son cerveau ramollissait. Elle semblait avoir loupé la croissance de son fils. Aussi continuait-elle à le bastonner régulièrement au moindre prétexte sans se rendre compte qu’il devenait un homme. Ceci causa sa perte.

Le soir de ses dix-huit ans, il eut l’audace folle de lui signaler que cette date était celle de sa naissance. Il était dix-sept heures, elle était déjà ivre et il la regarda dans les yeux en prononçant la remarque provocante.

– Joe, c’est mon anniv ! Tu as oublié, comme toujours !

Elle resta un temps interdite dans son vieux fauteuil élimé, parsemé de taches de diverses natures, ce qui laissa à son fils tout le loisir de l’observer en détail, comme s’il voulait incruster dans sa mémoire rétinienne l’image pitoyable de cette femme déchue.

Ses cheveux sombres et gras pendouillaient dans son cou, dessinant de sinueux ruisseaux noirs dans les plis graisseux de sa chair blafarde. Sa bouche semblait inexorablement entraînée par la chute, vers le double menton. Ses yeux bouffis ne traduisaient qu’une vague et lointaine surprise, ainsi qu’une forte alcoolémie. La chaleur était plomb, ce 4 août unique. Il regardait avec un dégoût habitué son corps flasque à travers le débardeur blanc sale et lâche qu’elle portait et qui laissait voir d’autres plis, d’autres méandres d’une peau qui n’aimait plus rien, si ce n’est l’alcool et a violence. Elle était en culotte et ses jambes à peine pliées ressemblaient à deux cierges mous. Cette femme était cireuse. Il ne pouvait même pas avoir le réconfort facile de se dire qu’elle avait dû être belle dans sa jeunesse. Elle était née monstre : voilà la certitude qu’il avait cruellement acquise au fil des ans à son propos.

Les vapeurs de bourbon faisaient luire son visage, et c’est d’une bouche liquide qu’elle articula difficilement les mots – qui se ressemblaient étrangement à chaque anniversaire manqué.

– J’aurais dû te faire au dessus des chiottes et tirer la chasse ! T’es bien un connard comme ton père !

Avec de lourdes difficultés, elle se leva, affreuse poupée de cire plus proche du Golem se mouvant mollement. Il la regarda s’approcher et prendre la bouteille presque vide qu’elle vint lui fracasser sur la tête. Il sourit – elle resta bête.

Il avait remarqué depuis longtemps l’angle tranchant de la vieille cheminée en marbre et, de toutes ses forces, de toute sa joie enfin aperçue, il poussa cette femme la tête la première vers cette arête saillante.

Il était grand et fort, et il n’était pas saoul. Il la poussa avec sa masse physique venue se superposer à une haine viscérale nourrie depuis presque toujours contre cette étrangère.

Ça ne fit pas beaucoup de bruit. Corps flasque et chute molle. Elle n’eut même pas le biais de crier. Le sang était beau.

Maman est morte aujourd’hui.

Il eut pour la première fois un sourire extatique et sincère.

Josiane Caste était morte chez elle, ivre, victime d’une mauvaise chute et, vu son état ces derniers temps, le fait n’étonna guère le reste du monde. On en vint même à plaindre son pauvre fils adolescent qui l’avait trouvée décédée en rentrant chez eux, le jour tragique de ses dix-huit ans.
Il put enfin vivre. Rencontrer des gars, jusqu’à celui-là, plus âgé certes, mais tellement idéal. Viril. Intelligent. Excellent baiseur. Coup de foudre immédiat.

Ils sont ensemble depuis deux ans. Ils parlent, rient, vivent. Comme des fous.

Au détour d’une conversation, et plein de la curiosité si propre à sa jeunesse, lui vient une question saugrenue.

– Tu as déjà été avec une femme ? – sourire amoureux de l’autre. Bof… Il y a une éternité, je devais avoir ton âge. J’ai essayé pour voir, même si j’avais déjà mon idée. J’ai du mal la choisir car c’était la plus timbrée de toutes ! Pas très jolie avec ça, mais bon, pour essayer, je m’étais dit que ça suffirait… J’te dis pas le fiasco. Total ! Elle était tellement saoule quand je l’ai baisée, elle m’a gerbé dessus à la fin, ça a achevé de me dégoûter.

– Ah ah ! Quelle expérience ! Comment s’appelait cette merveille ?

La lenteur de la réponse n’ôta rien à son horreur. Le temps se dilata, rejoignant cette drôle d’éternité qui pare les grands moments, les pires et les meilleurs. La bouche de l’homme aimé articula l’atrocité et le jeune homme, heureux depuis peu, libre depuis son crime, vivant comme un roi légitime une vie méritée, n’eut alors qu’une envie, étrange autant qu’irrépressible: se crever les yeux.

– Mmmmh… Il me semble… Attends! Elle avait un diminutif de mec, c’est ce qui avait dû me plaire, un surnom qui sonnait américain. Une folle pareille, je te jure, je devais déjà savoir que je préférais les hommes! Je ne l’ai plus jamais revue après. Putain ça va me revenir.

Un surnom de mec… Je l’ai! Oui, c’est ça ! Joe!!! Personne ne l’appelait autrement… Joe !

 

Clémence Dumper • Mythologies 3. Boucherie

Nous ouvrons l’année avec Clémence Dumper., que nous retrouvons. Née à Nîmes en 1978, formation de Lettres Classiques, enseignement, et écriture quotidienne. Après avoir vécu à Porto, Milan et Nîmes, elle vit désormais à Budapest, en Hongrie, où elle se consacre essentiellement à l’écriture. Après des débuts littéraires dans des revues comme Rouge Déclic ou des festivals comme celui de Mouans-Sartoux ; elle a publié son premier roman, Débandade, aux éditions Philippe Rey, en 2014.

 

< Précédent Suivant >

 

Dans la mythologie grecque, Circé (en grec ancien Κίρκη / Kírkê , « oiseau de proie ») est une magicienne très puissante, qualifiée par Homère de πολυφάρμακος / polyphármakos , c’est-à-dire « particulièrement experte en de multiples drogues ou poisons, propres à opérer des métamorphoses ».

 

Troisième – seulement! La voilà troisième dans le classement mondial, malgré une production très limitée qui aide à la rareté chère de la chose.

L’année prochaine elle vise la première place. Les concurrents sont rudes, Circé est opiniâtre. Saveur. Texture. Origine contrôlée. C’est ce dernier critère qui la met le plus en joie – et sa bouche se relève sur un si comique secret. Quelle origine ! S’ils savaient…

Sa production est bien moindre que le Culatello italien ou le Pata negra espagnol. Cette rareté intensifie sa valeur. Et cette saveur… unique ! Tu m’étonnes ! Légèrement épicée, une finesse qui reste en bouche, comme un parfum de noisette musquée : le palais est ravi !

Il faut qu’elle travaille la salaison. Et qu’elle choisisse mieux les bêtes. Ses critères se doivent d’être plus pointus. Elle les prendra plus jeunes désormais, car la chair est plus tendre, moins intoxiquée. Elle les enivrera avec un alcool de meilleure qualité. Absolument. Pour faire du haut de gamme on se doit d’investir !

Six mois par an, elle disparaît habilement des radars médiatiques et fait son tour d’Europe en van réfrigéré, pendant que ses cons de concurrents courent après les interviews, les articles, la reconnaissance.

Son apparence est telle qu’elle ensorcelle tout le monde, flics ou douaniers aucun problème. Elle s’en ferait bien un d’ailleurs mais c’est plutôt risqué.

Le choix des bêtes la régale.

Les italiens sont secs – peu de chair – mais fondants. Les anglais sont plus gras, un peu comme les allemands. Trop de bière peut-être. Ce qu’elle préfère, assurément, ce sont les grecs. Saveur iodée, herbale et minérale. Ils ont tout leur pays dans leur chair. Texture ferme. Un délice absolu. Un certain goût antique.

Choix de la proie. Attraction. Baise ou pas. Mort enfin. Redoutable. Ce sont les étapes d’un produit réussi.

Les six autres mois elle les fume.

Elle a toujours aimé les hommes. Elle a toujours préféré les détruire. Dans la cour de l’école au fin fond du Portugal, elle s’amusait déjà à faire pleurer les garçons. Pas facile comme challenge car, les gars, ça chiale pas, surtout dans un pays latin. Ses subterfuges relevaient du génie.

Séductrice en herbe, elle les attirait avec ses couettes sombres et ses yeux de velours. Elle jouait avec eux. Leur faisait croire que. Un petit moment. Bien croire, oui, elle était forte pour ça. Comme si les rouages de la séduction et des rapports de force n’avaient pas de secret pour une si
petite et si mignonne fillette. Alors ils y croyaient. Fiers comme Artaban d’être l’élu du jour, du mois, de la semaine. Elle jouait à la fille. Gentille.

Minaudeuse. Admirative. Inférieure. C’était là l’étape qu’elle préférait : cette séduction jouée dont les autres étaient dupes. Elle parvenait même à verser une larme quand l’élu osait jouer avec une autre. Une tragédienne née. Elle attendait l’aisance, l’assurance du futur homme bien certain du
pouvoir qu’il acquiert sur celle qui l’aime et, au paroxysme de cette aisance, de cet amour enfantin éphémère, elle prenait plaisir à les assassiner d’une remarque ignoble. L’estocade finale. Royale. Impériale même.

La petite fille a bien grandi et a eu le privilège de devenir une… bouchère !

Lors des quelques contrôles qu’elle subit avec son van, elle ne tremble même pas. La plupart du temps, un seul sourire suffit à éviter la fouille.

Lorsqu’un agent zélé insensible à son charme, ou lorsque une femme de la Police veut pousser le contrôle, elle ne craint pas grand-chose. Ils ouvrent le van, y découvrent effectivement des tas de barbaque pendus, des porcs. Les papiers sont en règle, vous pouvez passer madame. Et son tour continue. Sa quête de chair fraîche se poursuit sans encombre.

Un bar, un restaurant, des sourires, une conversation enjôleuse ; le manège se fait désarmant de simplicité, après quelques inquiétudes lors de ses premiers meurtres.

Viens on va dans mon van. Viens on boit encore pour bien se désinhiber.

Viens je te plante ma lame, bien placée. Tu saignes sans même crier, ensuqué par l’alcool et la stupéfaction. J’ai tout ce qu’il faut pour nettoyer.

Tu meurs tranquillement, tes gros yeux me regardent, toujours avec cette surprise que j’adore. Bien mort, bien nettoyé, je te traîne non sans mal du côté froid. Te voilà cadavre. Je te cache soigneusement derrière les porcs volumineux, les vrais. Et je reprends la route.

Elle ne tue pas tant d’hommes que ça. Vu la qualité de son jambon et les prix qu’elle pratique, elle n’a pas besoin de produire en grosse quantité. La routine est parfaite.

Elle rejoint ensuite son aldeia, son petit village portugais perdu au pied d’une montagne ridicule. Elle retrouve ses cochons, les vrais, ceux qui servent de vitrine. De cette race un peu sauvage et noire, dont s’occupe sa petite sœur lors de ses absences. Et le tour est joué.

Salaison, fumage artisanal. Les longs corps, elle les découpe habilement, de toutes ses forces de femme conquérante. Chaque morceau sera utilisé : ceux qui ne servent pas pour le jambon deviendront pâté, les viscères de bons boudins. Rien ne se perd dans cet animal. Elle confectionne avec amour ces mets qui sont de purs délices. Il s’agit d’un travail d’orfèvre ; elle y passe des heures, des jours et puis des nuits. Mais la passion l’habite.

La passion du travail bien fait, par elle seule. Sa sœur lui donne seulement un coup de main pour la confection des terrines, dans lesquelles les deux chairs sont mélangées, celle des porcs au sens propre, celle des porcs au sens figuré.

Elle se donne du mal et elle est sûre d’elle : la première place du classement est pour bientôt…

Les jambons Circé sont vraiment les meilleurs !