Jian • Contrespaces (de la rémanence) (1) • fr. 1-5

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.

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« Nous sommes sans nouvelles de nos ancêtres. Nous nous sommes arrêtés ici- Sans nous connaître nous nous rassemblons- nous échangeons nos souvenirs de guerre- nos plaies ne sont pas les mêmes elles se cicatrisent- nous ne sommes pas seuls »
M.Pleynet

« Le « Un » est ce qui autorise le moins l’union, fût-ce avec l’infiniment lointain, à plus forte raison la remontée et la confusion mystique »
M.Blanchot

A-t-on jamais rien vu d’autre que des énergies qui se condensent et des soleils qui se consument ? Avec, de temps, à autre, révélateurs sonores de ce tissage ininterrompu, sur lequel on a les yeux grands ouverts sans rien suffisamment y remarquer, un monde qui choit et s’éteint, un astre qui soudain éclate.
F.Jullien

« Lorsqu’une voix ou une musique est interrompue soudain, on entend à l’instant même autre chose, un mixte ou un entre-deux de silence et de bruits divers que le son recouvrait, mais dans cette autre chose on entend à nouveau la voix ou la musique, devenues en quelque sorte la voix ou la musique de leur propre interruption : une sorte d’écho, mais qui ne répéterait pas ce dont il serait la réverbération »
J.-L. Nancy

« Mais si l’ouvert devant nous n’est pas le temps ni l’avenir, qu’est-il donc ? »
P. Sloterdijk


Avertissement : Autant le susurrer d’emblée,  la langue présente ici se veut expérimentale.


Nous partons d’un monde dévasté, parcourus de  mots usés contribuant à le faire tenir. D’où la maladroite tentative d’opérer des écarts de langage, qui tentent un tant soit peu d’ouvrir le sens à l’inappropriable, en charriant de folles eaux.

« Ici, comme ailleurs, il faut nous refaire une langue… »

Si la « déconstruction » nous est encore vive, c’est en deçà de son affadissement cool, comme une manière de donner du jeu aux assemblages vitrifiés, pour laisser jouer entre les pièces un possible d’où ceux-ci procèdent mais que, par là même, ils recouvrent.

Guérir la langue blessée, anémiée,  en la rechargeant de significations nouvelles, étrangères, barbares, en la revitalisant, en la réénergisant.

Un vocabulaire se cherche, de nouvelles narrations émergent.

Nous ne pouvons plus nous réfugier dans un discours antédiluvien pour parler cette contemporaine région aphone.

Cela peut agacer. Cela agacera. Nous ne pouvons faire autrement.


Le temps de la fin du monde commence.

Et ce commencement de la fin… ne fait que commencer.

Contre l’hystérie chronologique du capital, emprunter un temps qui nous manque, dans la nuit des temps, dans la nuit canine : soit ce qui vient après la fin de l’Histoire. Un temps qui ne soit plus corseté d’avance par sa linéarité, son irréversibilité ou sa finalité.

Une chronolyse, un souffle qui  échapperait au régime de la dette ou du donné, de l’emprunt ou du rachat.  Espacement plutôt que dépassement

Un espace d’extrême faveur, simplement, dans le vif, de nouvelles partitions.

A la limite du mythe, un passage. Une offrande. De la jointure, le jeu d’une ouverture.

Faire correspondre l’échec de tout un mode de vie avec la fin d’un temps, mais sans doute aussi avec la fin du temps. Entrée dans quelque chose d’autre que l’Histoire.  Par de multiples canaux, en de mystérieux sentiers néogènes.

Un grand écart, un long détour que nous sommes, où commencement et fin se rencontrent, dans la mansion terrestre. Façons de relier le monde, et de s’y attacher.

Le en-commun qui nous partage

(Im-manence du Monde, per-manence de la Terre)


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1)

Des signes pressent, partout, tout le temps, étouffés. Des bruits, des tremblements, des ravages de notre espace vital, notre lieu d’être, notre sol comme-un.
De l’indéfinissable, ces secousses appellent une mémoire et une langue, une sémiose. Biologique, géologique: des alertes, des surprises d’inconscience.

Ce monde est malade de conscience, malheureuse, aplanie, privatisée, planante. Percevoir, recevoir ces signes qui transitent les sens, nous branchant aux courants de fond qui travaillent la Terre et son habitation. Im/expressions. Décider en conséquence, en effets, loin de toute volonté volontariste. Un grand bricolage, ou une nouvelle alliance.

Hors d’une logique du choc ou de la transgression, con-cevoir une révolution.

2)

D’inédits plissements font corps, de nouvelles affections. Des signes sont captés, dans un monde largement désaffecté, entre la prison et le chaos. Ils demandent des réponses bien en deçà de toute question. Le mot  même de « nouveau » est usé jusqu’à la corde. Disons : d’exception.  A même ce début de la fin, guetter l’occasion polychronique, comme cette rencontre précaire entre des germes en dormance et l’atmosphère ambiante. Une énergie cinéthique, dans l’ordre intensif. Un tiers-inclus opérant d’autres relations-avec, d’autres pactes ou cooptations.

3)

Cette mnésie consiste à oublier activement l’ « histoire des vainqueurs » et à l’anhumaniser. Raccorder les canaux du passé le plus refoulé avec ceux qui remettent le monde en circuit, en en redistribuant le sens et l’insensé. Ouvrir une péri-ode, une odyssée nouvelle : prendre la vitesse de l’Histoire et, la devançant, annoncer par nos tourbillonnements anastrophiques les grands cataclysmes qui viennent (qui sont donc déjà là : catastrophes).

Béance active, vacance, laisser-être ouvrant le branle aux formes-de-vie par ses tours, détours et retours multiples. A l’instar des motions  cardiaques : systoles- diastoles marquant par leur rythme le caractère révolutionnaire de l’existence.

4)

On nous dit que tout circule, mais la stagnation est patente : univers carcéral, claustration généralisée, inconscient verrouillé, séquestration totalitaire, pure captivité, réclusion de chaque instant et en tout lieu : plus d’Eden ni d’île miraculeuse,  plus d’ailleurs ni de lendemains qui chantent.  On a marginalisé l’espace même de notre vouloir vivre.

Il s’agit bien de se réapproprier les fluctuations secrètes qui circulent encore quand tout semble arrêté, dans l’agitation perpétuelle. Que l’effet offensif de notre refus ne surplombe pas sa vivacité fabulatrice.

5)

Contre la distance critique, notre décision vient de et dans l’extrême proximité distale.
La Critique de ce monde par les  asociaux intégrés que nous sommes nourrit la capacité à y stagner : radicalement hétéronomes, pratiquement, à la mesure même de notre autonomie idéalisée.
Individu mytheux, communauté hypnotique.

Différemment et après la déconstruction de telles abstractions, il est question de reconfigurer un sensible en bataille, en discord perpétuel. C’est-à-dire de nous attaquer pratiquement à l’atteinte des conditions de possibilités de la vie même, à sa capacité d’altération.

Il est ici question du « subtil », de la vie qui passe entre les mailles du filet. Une pratique de l’insauvable, le nom d’un silence dont personne ne peut reproduire l’événement.

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