Archives de catégorie : Fiction

Lucie Desaubliaux | Feu(x) souterrain(s) 1/7 : la foudre

 

Nous accueillons Lucie Desaubliaux pour un feuilleton inédit qui nous mènera de Samain à Imbolc. On est très heureux de recevoir l’auteure de La nuit sera belle (Actes Sud, 2017).

Lucie Desaubliaux écrit, pour les adultes et pour les enfants. Elle réalise aussi des performances et des installations. Elle code des sites internets, des bases de données, des jeux vidéos et des outils de cartographie ou de collaboration. Elle micro-édite des livres et des expériences numériques. Elle s’intéresse à l’agencement des formes de pensées, aux notions de travail et d’oisiveté et à la différence entre ce que est perçu et la réalité invisible du monde, en se nourrissant de différents domaines scientifiques qu’elle ne comprend pas trop et réinterprète beaucoup. Elle vit et travaille en Bretagne, seule ou en collectif : elle fait notamment partie de La Guerrière, du Vivarium et de WMAN.

 

LA FOUDRE

 

La foudre tombe quelque part en plein milieu de la mesa.

Le vieux dit : elle est pas tombée loin. Nash ne dit rien. La foudre a tiré un trait courbe du ciel à la terre, en plein milieu du paysage de Nash et du vieux. Elle est partie du plein milieu de leur ciel jusqu’au plein milieu de leur mesa. Elle a coupé en deux le monde de Nash et du vieux, qui sont assis sur des transats en toile de nylon en plein milieu de rien et de quelques bouteilles vides.

Le vieux porte un slip de bain rouge. Il crache sur le sol pour conjurer la foudre et il répète : elle est pas tombée loin. Nash crache sur le sol pour conjurer le vieux et les histoires de foudre qu’il raconte à chaque orage et c’est la saison en ce moment. Les crachats sont immédiatement absorbés par l’argile sèche, il ne reste que deux auréoles sombres et un filament de rôti de porc.

Le vieux pense qu’il est maudit, la foudre ne tombe jamais loin et elle lui est tombée trois fois sur le corps. Avec le slip de bain rouge, on voit bien les grumeaux en haut de sa cuisse gauche, l’anémone blanche sur la peau noire au-dessus de son pied, le gauche aussi, et le côté droit de sa bouche qui descend un peu plus bas sur son menton. Ce sont les trois marques de la foudre les trois fois où elle n’est vraiment pas tombée loin.

Le vieux raconte la foudre en montrant avec son index son corps autour du slip de bain. Pendant qu’il raconte il y a encore des éclairs et du tonnerre qui avalent beaucoup de ses mots. Chaque fois le vieux hausse les sourcils et hoche la tête : c’était encore vraiment pas loin. Il répète ce que Nash n’a pas pu entendre et Nash n’entend pas, il ne dit rien. Il ne regarde pas le corps du vieux, il regarde la petite fumée là où la foudre est tombée en plein milieu de sa mesa. La petite fumée est vraiment très petite, il faut regarder un peu à côté pour se rendre compte qu’elle existe, à l’Ouest de Dead Horse Canyon.

Le ciel violet craque enfin au milieu d’un coup de tonnerre et tire des fils de pluie jusqu’au sol devant la petite fumée. Le vent est Nord-Nord-Est, la pluie progresse vite vers Nash et le vieux. Ils l’entendent avancer sur l’argile qui change de couleur, la boue trempée devient rouge. Le vieux ne parle plus maintenant, il y a trop de bruit. Il bascule le dossier de son transat un peu plus en arrière, il étend de chaque côté ses bras et ses jambes. Ses bras pendent dans le vide et ses jambes reposent sur ses talons, la pluie arrive sur son corps et lave la poussière et la sueur et mouille le slip de bain qui devient rouge foncé. Nash est rentré dans la cabane en bois derrière, les bouteilles vides se remplissent ou se renversent sur le sol.

Si Nash était encore dehors il verrait que la petite fumée à l’Ouest de Dead Horse Canyon s’est éteinte

mais :

la foudre n’est pas tombée loin.

Elle est tombée sur un genévrier millénaire qui s’est embrasé. Le genévrier s’est consumé lentement et ses racines ont transmis le feu à la couche de tourbe souterraine. La tourbe a entamé une combustion lente et inextinguible qui pourrait durer des dizaines voire des centaines d’années.

La marche d’un feu de tourbe est inexorable

à l’Ouest de Dead Horse Canyon,

la température va monter à 345°C sous 95 centimètres d’argile

le feu va progresser d’un à deux mètres par semaine vers le Sud

il va longer Posey Creek

dans dix-huit mois il passera invisible entre les deux transats en toile de nylon

jusqu’à la cabane en bois dont il enflammera les fondations en pin

la cabane disparaîtra dans la nuit personne ne la verra brûler

le vieux et Nash seront repartis après leur saison de rangers

et le lendemain matin

un chien jaune

viendra renifler le carré de sol noir qui a poussé pendant la nuit

en plein milieu de sa mesa.

 

Suivant

 

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 12

 

Il a fallu passer par là
le train, la poussière
le fracas, le contact
et puis l’eau et le soleil

Mais le résultat est là.

Deux cents feuillets jetés
aux crabes
et cent de mieux réhabilitent

La maison.

Ailleurs.

Il faut quitter.
Pour revenir.

 

La dame ne l’a plus vu, une fois la valise bouclée il s’est hâté vers la gare. Il s’est juré de revenir. Il a inventé la vacance d’esprit (Geistesabwesenheit), comme une espèce de chambre forte (Tresor), ou mieux, d’antichambre de ce qui risque de se produire (Veranstaltungvorzimmer). L’écriture risque de se produire.

Aussi toujours quelque chose est possible, pour autant qu’on lui laisse la place, la place réservée, la vacance.

Telle est l’invention de l’été, son échafaudage laborieux – sa fragilité d’insecte-instant.

Être ce n’est pas être en continu, mais en pointillé, le simple fait de la mort comme du sommeil en attestent. Ces vacances – naturelles – servent à ressourcer le moteur. Dans notre vie sociale et économique, dans notre vie intellectuelle, nous autres humains, qui n’avons pas la main sur les saisons ni la course des astres, nous pouvons toutefois aménager ces plages dans l’ordre du langage, c’est-dire dans l’ordre du récit et du poème, c’est-à-dire dans le mot.

Telle est la plage que j’ai entrepris d’écrire.

 

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 11

 

Le lendemain de la soirée chez le podestat, la poisse : la gueule de bois.

Le philosophe a pensé que se baigner dans l’eau fraîche (sinon pire) produirait une espèce de choc sanguin qui le guérirait instantanément.

Il n’en fut rien. Nager, même, les jambes froides, relance le mors de tête.

Il se résolut alors que seul le soleil le plus piquant, celui du zénith (qui approchait) serait le seul à même de l’apaiser, de dé-tenir les tenailles.

Pas de Traminer de 13h ce jour, quand les autres se dirigent nonchalamment vers le primo piatto-secondo piatto-contorno-dolce-e-caffé, le philosophe reste comme une tortue sur le caillou. Il néglige les attentions et balaie les invites, il explique qu’il dort un peu.

Sur la pierre, dont il a conservé la surface moins brûlante pour la cure sous sa serviette, c’est tout comme s’il agrafait chaque blessure, chaque point de la douleur, chaque nœud, chaque bleu du corps et de l’esprit de manière à l’arracher en fin de cuisson, à l’abandonner au cul de la fonte.

Il devient la tortue. C’est comme s’il pénétrait la roche, ou que celle-ci en quelque sorte le tamisât, tamisât son corps, tout son être.

Lorsque après s’être endormi, il put constater l’étendue des dégâts du soleil, le mal de tête, en effet, était passé.

 

suivant

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 10

 

Cette année, la pension ne fait plus les repas :
la vieille mère qui était la vielle fille est trop fatiguée,
elle tremble comme une feuille.
Le mari est inopérant, devant l’écran.
Les casseroles débordent et les verres tombent à terre.
Et vice-versa.

C’est embêtant, il faut toujours trouver un endroit,
beaucoup chercher,
avant le bon.

Celui-ci ne fait que les apéritifs, spritz patatine,
remugle de Saxe,
triste,

Celui-là seulement les petits pâtés de pain
garnis, mais ce n’est pas
ce que j’appelle
un repas.

Il y a bien l’autre, en retrait,
c’est même pas mal, sur la place,
qui dirait une autre ville,
loin des mers,
dans un faubourg naissant,
biais,
mais qui est un peu cher.

Le petit ballotin
de pâte avec la viande
bouillie aux céleris,
très chinois,
l’emporte pourtant.

 

suivant

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 9

 

Vendredi, la guigne : les méduses.

Subitement elles arrivent, subitement elles sont là.
Rien à faire, nager parmi elle
relève punition, torture.

Fragiles et délicates
somptueuses, de soie et d’éclisses
elles rendent à elle-même
la mer, son eau,
la restituent.

Les humains sortent de l’eau, puis les regardent
Comme ils les jaugent, ils les commentent
Ils les méprisent.

Êtres impossibles, les méduses
aliènent la mer.

Annexes.

À juste retour.

 

suivant

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 8

 

1.

On ne sait plus comment il a réussi à grimper sur cette dalle noire, inclinée et coupante de schiste, toujours est-il qu’elle offre un panorama comme qui dirait imprenable. Prenable ou non, la vasque formée par les écueils est simplement, apparemment, belle, féerique, plus justement mirifique, si les Nibelungen avaient pu rejoindre les rivages méditerranéennes, qui sait quels impérissables vers ils auraient gravés sur les marbres, qui sait quelles créatures auraient forgé ces paysages, et dans quel but ! (Autre chose que ces dégénérés romantiques de Kleist, Rilke et même Schelling !)

Deux grandes pierres plates, carrément levées à angle droit, comme plantées verticales, forment une espèce de paroi. Côté montagne, l’éboulement de gros blocs hasardeux présentent diverses ocelles, souvenirs de tempêtes passées, où viennent pourrir quelques algues brillantes de sel, décolorées.

À gauche un grand tablier de ce schiste majestueux et froid, avec de grands dossiers du même, où se lover, n’était l’angle trop aigu et l’arrête contondante. Toute la pierre noire schiste, régulièrement veinée de marbre blanc. C’est discrètement élégant et souvenir pétrifié, au vu des renversements de strates, de la violence des ères géologiques locales.

Toute l’eau est bleue, mais turquoise, et la mer s’enfonce profondément, à l’image de la pente de la montagne surplombant, cinq mètres, dix mètres, cent !

Toute la partie intertidale, écueils aussi partout, est couverte d’une dense et cotonneuse prairie basse à cistoseires, queues de pan ou rissoelles. Paysages d’une autre échelle : marcher doucement dessus est comme courir dans l’alpage, à peu de chose près ; s’y asseoir, regarder les nuages.

Ce ne sont pas les nuages qu’il regarde pourtant, mais la forme de l’eau. Comme eux celle-ci est changeante : n’est-elle pas du même tissu ?

C’est une contemplation aussi infinie qu’infiniment inédite. Elle appelle aussi à l’oreille, les sons des vagues, de leur fracas, et même le son qu’elles produisent lorsqu’elles se retirent, cette aspiration, et même lorsqu’elles sont loin du rivage, leur ondulé sonore, leur éclaboussure, leur voussure, leurs gargouillis et leurs épurges qui s’étranglent et s’étirent dans les cunicules de la roche.

C’est inédit, infini. C’est toujours différent et pourtant c’est toujours l’eau , la forme de l’eau, la forme de ce qui échappe à la forme – qui les épouse toutes.

 

2.

octobre
Laisser là l’eau
alors froide comme elle noircit
dans le fond du jour

Celui-ci en slip de bain
déplie sa canne à pêche et sort
depuis vingt minutes
de petits sars

L’eau est dure
bien que toujours transparente
opaque, dans le tramont

Depuis la terrasse,
un verre de traminer
seul, le regard
échoué d’angle mort
apaisé.

Eau épouse nuit.

 

suivant

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 7

 

À l’hôtel, à la plage, dans le train ou au restaurant, impossible de savoir comment et qui a aperçu ou reconnu le philosophe pour qu’il reçoive, ce mercredi, une invitation à dîner chez le podestat.

Il n’aime pas les mondanités, c’est une banalité, mais il suppose qu’il est obligé de s’y rendre – ce qui cause toute une série nouvelle de nouveaux soucis.

Le podestat habite l’une de ces villas façonnée en château féodal de la MittelEuropa, qui fleurissent ces temps-ci sur le littoral. Un château de Stauffen ou de Münchhausen miniaturisé, presque un jouet de château, en avant les histoires.

C’est très vulgaire. Et, pour s’y rendre, il faut grimper l’une de ces muletières qui filent direct à la mer – autre curiosité de ce pays escarpé. Autre cause de perturbations physiques – le muscle/la sueur.

La muletière longe un couvent dont la chapelle est accessible au public et devant laquelle se trouve une espèce d’immense mosaïque de petits galets noirs et blancs dessinant une scène navale sur la mer, une crique, et quelques figures fantastiques obscures.

Ce petit site, où se trouvent en outre quelques bancs de pierre, font la soirée du philosophe. L’un des bancs donne d’ailleurs sur la mer. Il s’y assied.

C’est aussi sobre que somptueux.

Il regarde la mer et le ciel et le parapet du mur de schiste qui l’en sépare. Il se demande s’il est invité parce qu’il est un philosophe, ou parce qu’il est ce philosophe, mais, dans les deux cas, il se demande comment on a pu le connaître et reconnaître : a-t-il à ce point la figure générique du philosophe ? ou au contraire : est-il à ce point connu, de par son visage, dans ce pays étranger ? Dans les deux cas cela reste inquiétant.

La descente, qu’il a tenu à faire seul et à pied, par le même chemin qu’à l’aller, est plus difficile après le roast-beef, les vins, les gâteaux, le café et les liqueurs trop sucrées.

La soirée fut éprouvante mais – à part le chemin – la petite calade de la chapelle lui procure, au retour comme à l’aller, alors que mal se distinguent les formes qui semblent se fondre l’une dans l’autre (pierres, bancs, muret, galets, montagne, mer, ciel), un bonheur immense, un immense bonheur.

 

suivant

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 6

 

La mer déchaînée vient battre contre le vent.
La mer déchaînée se déchirer avec fureur sur les rochers.
Combien de molécules viennent-elles ainsi continuellement s’arracher et combien retournent-elles, assommées, vers le frénétique tourbillon ?
En ce moment précis, des tempêtes, des eaux calmes, des mers d’huile, des abysses, des geysers, des ouragans, en même temps, dansent dans l’espace. Milieu hostile.

Quoi, le poisson ? Qu’est qu’il connaît du “milieu”, celui-ci, sinon simplement “de l’eau” ?

Et puis, ce n’est pas “la mer”… ce n’est qu’un morceau d’elle, une apparence, l’écume, le rivage, ce ne sont pas la mer, non, ce ne sont que des subterfuges qu’elle a trouvés pour nous la faire apparaître.

C’est exactement, renversé, le mythe de la caverne.

Le rivage, l’écume, le rocher : c’est une mer sans essence.

 

suivant

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 5

 

Il se trouve
que revenir ici, à cet instant précis,
près des bassins,
des roches,
des eaux bleuies par l’immense solitude
du ciel

Il se trouve
que revenir ici, au vin âpre,
à la doucereuse brûlure
du soleil,
à l’emmerdement des familles,
radunées sur la plage
te plonge, plutôt
te rapproche (rapproda)
au noyau, à l’os.

Pourquoi, quand bat le silence
du soleil, imperturbable
et impitoyable
vient ce désir de lire
des livres de philosophie ?

Sans doute, ou peut-être
parce que Montaigne disait
de l’apprentissage de la mort
Je ne sais pas mais
Heidegger passe mille fois mieux
auprès de la mer historique
dans l’époque mortuaire
dans le pays des Biens :

Que sais-je ?

Des rochers glissés immergés inconnus du fil (de la lame) d’eau : je ne sais rien
Des morceaux de plastiques, mégots, fragments de notre vivre, inconscients qui imperceptiblement s’immiscent dans le vivant : je ne sais rien
(Si l’eau est le vivant : je ne sais pas)
Du chant des algues et de la nage des poissons : je ne sais rien
De la plainte des ondes et du ressac : assurément je ne sais rien
Du blues de l’eau, des navires en perdition et des accueils mitigés : je ne sais rien
Du beau, du bien et du bon : je ne sais rien

Et je me fous un petit peu de Platon dans les sables
quand je porte mon Heidegger
dans le maillot

Honte. Un peu, et un peu je m’en fous
Parce que rien n’est plus important, à cet instant précis
en ce lieu-même

Que de se foutre à l’eau
De fumer une cigarette sur le rocher
de ramasser les mégots, les canettes des autres
De jouir d’un soleil inouï
(Le soleil est toujours inouï)

 

Benoit Vincent | Heidegger à la plage 4

 

La vie à la plage, que découvre le philosophe, qui n’a jamais été adepte des rivages lacustres de sa Konstanz natale, pas plus enfant qu’adulte d’ailleurs, ni célibataire qu’épousé, pèse toute une série de contraintes pratiques avec d’évidentes répercutions esthétiques.

Quelque chose lui plaît, à la vérité, dans cette situation nouvelle (deux fois nouvelles, trois fois nouvelles : pas plus épousé qu’adulte anymore). Ce qu’il rechignait, dans l’excursion au lac, c’était plus en somme la compagnie que la nature elle-même (la vase ou l’odeur de poisson de vase) – encore que la mer s’oppose au lac en ceci qu’elle est inaliénable : ce fait ne laisse pas d’intriguer.

Venu ici seul, pour méditer et, qui sait, peut-être aussi pour s’accorder une vacance, étant très enclin à la contemplation – même si ce qui est humain est ici spectaculairement médiocre et singulièrement laid.

Mais il est plus ouvert.

Pour aller dans l’eau, le philosophe s’est trouvé une espèce de bermuda couleur brique sale, qu’il remonte jusqu’au-dessus du nombril, à la mode de l’époque, et qui lui fait plutôt office de braies, voire d’un drap négligemment enroulé. Son ventre imposant et lisse dissimule ses jambes frêles allumettes cagneuses, l’absence de fesse. Et le tout généreusement blanc, blanc de neige salie plutôt que de lait bouilli. Cela lui fait drôlement impression ; une impression d’effroi et de dégoût.

Ainsi costumé il piétine, flic flac, non pas joyeusement, mais comme contrarié par un évènement à venir, mais comme méthodiquement, au soleil de la fin d’été.

Avec cet air un peu gêné du fait de la posture, de la complexion, rimant mal avec les mystérieuses écumes.

Il est ainsi debout, dans une cinquantaine de centimètres d’eau, comme dans un bain de pied, un pédiluve, quand, venue d’on ne sait où, une nageuse munie d’un masque, d’un tuba et peut-être même de courtes palmes, débouchant donc de nulle part (sinon du dessous de l’eau, du dedans de la mer), mais pas de la plage, hors de l’eau s’ébroue et se dirige, rayonnante d’elle, à son encontre – étant lui-même sur le seul passage pour elle accessible.

C’est ce genre de rencontre fortuite qu’il craint dessus tout, ne sachant comment se tenir, s’il doit bouger ou non, que dire, quoi faire.

La femme entre deux âges n’en reste pas moins bien plus jeune que le philosophe. Et quand elle commence à sortir de l’eau, laissant apparaître d’abord ses épaules puis sa poitrine, son torse entier, son ventre, ses hanches et ses jambes, le philosophe est dans l’extrême étage de son malaise, au comble du scrupule. Et elle lui sourit.

“Guten Tag”, voilà ce qu’elle lui dit, voilà ce qu’il entend, ce qu’il s’entend dire, alors qu’il réalise que sa pulsation sanguine s’est nettement accélérée. Si elles n’étaient pas dans l’eau, on verrait ses mains luisantes de moiteur.

“Danke schön” répond le philosophe. Elle rit dans sa bouche. Il se demande bien pourquoi le tissu de son bermuda arbore comme avec orgueil deux grosses fleurs fuchsia, l’une sur la cuisse gauche, l’autre sur la fesse droite.

Comme la dame sourit, mais de nouvelle manière, lui ne pense plus qu’au mot de la couleur fuchsia.

 

suivant