Archives de catégorie : Touches

Agathe Elieva • Ne cherche plus… (02)

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…Ne tombe pas, je suis nue…

Ne cherche plus tes gros sabots, c’est moi qui les ai
Ne cherche plus tes pilules, je les ai toutes dorées
Ne cherche plus ton chapeau, je travaille avec
Ne cherche plus le La, je l’ai donné aux mouettes
Ne cherche plus ton lion, je l’ai mangé
Ne cherche plus l’aiguille dans ta botte, c’est moi
Ne cherche plus ton étoile, je reste inaccessible

Ne cherche plus l’aspirine, elle est cachée
Ne cherche plus l’ennui, il meurt
Ne cherche plus mon enfance, elle demeure à Stockholm
Ne cherche plus ta promesse, ce n’est pas l’aube encore
Ne cherche plus ton temps, il s’est perdu
Ne cherche plus le sol, tu marches
Ne cherche plus l’or, il est dans tes mains.


© Agathe Elieva, 2013. « Écrit, joue, transmet, écoute, observe & vit. A ce qu’il parait. » Voir Alfee et Cie

Agathe Elieva • Ne cherche plus… (01)

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…Ne tombe pas, je suis nue…

Ne cherche plus tes doigts, je les ai tous croisés
Ne cherche plus ton sort, tu es en train de pleurer dessus.
Ne cherche plus ta daube, j’en ai fait une journée
Ne cherche plus ton blason, je l’ai redoré
Ne cherche plus ton Optimiste, je suis sortie en mer aujourd’hui
Ne cherche plus ta manche, je vais la traverser
Ne cherche plus les chats et les chiens : ils sont à Londres en train de pleuvoir

Ne cherche plus l’eau du lac, je l’ai lancée
Ne cherche plus le ridicule, je l’ai frisé
Ne cherche plus ta veste, je l’ai prise
Ne cherche plus tes chaussettes, j’ai déposé mon moral dedans
Ne cherche plus mes bottes, elles sont pleines
Ne cherche plus ton frein, je l’ai rongé
Ne cherche plus le bourdon, il a volé jusqu’à ma maison
Ne cherche plus ton pied gauche, il est près de mon lit
Ne cherche plus le vent, je viens de le prendre
Ne cherche plus le petit pois, je suis sous ton matelas
Ne cherche plus ta petite cuillère, je me ramasse avec


© Agathe Elieva, 2013. « Écrit, joue, transmet, écoute, observe & vit. A ce qu’il parait. » Voir Alfee et Cie

Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (5)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

J’ai traversé, en nage, me dit-il, tant de nuits d’insomnie que je pourrais veiller les yeux secs sur ta grande tristesse. Reste avec moi et mélangeons-nous sans penser.


*

Maintenant, c’est vrai, je porte des chaussettes en fil d’Ecosse, me dit-il. C’est chic et puis ça tient chaud. Mais, j’avoue, parfois ça me manque un peu ces nuits qui sentaient le danger. Parfois.


*

Les gens, me dit-elle, tu sais quoi, hein. Ne jamais rien leur raconter, hein. A moins de vouloir rester à la merci de leur bienveillance, hein. A moins, hein.


*

Je peux te lire un peu de Tristan Corbière, me dit-il, et te servir beaucoup de Minervois. Ou vice inversé. C’est comme tu veux.


*

Hier, alors je lui ai dit que je me sentais dépassé, me dit-il. L’époque est à la vitesse et désormais tout ça me semble aussi lointain que nos premiers émois au cirque. Que nos premiers baisers près de ce cimetière, là-bas tu sais, sur le chemin des lauriers. Et puis, l’époque, quand on la regarde d’assez près, tu dirais qu’à présent on habite dans cet observatoire où finissent les vieilles gens usées.


*

Je marchais sur le trottoir de l’ombre, me dit-il, et alors tu m’as fait repenser aux animaux transparents.


*

Je bois le dernier verre de ce vin, me dit-il. Ce vin, tu sais, qu’ils récoltent du côté du Pic Saint-Loup. C’est un vin épais comme une moustache de gendarme. Quand les gendarmes la portaient. C’était, tu sais, une moustache épaisse et drue. Oui, tu sais bien. Une moustache comme on en voyait, soi-disant, au pays druze.


*

Il flotte une odeur de vieille soupe et de clope froide sur le monde, me dit-elle. Ce soir je te nationalise, mon cher vieux camarade.


*

J’écris le premier porno gay en braille, me dit-il. Bien sûr ton avis est le bienvenu.


*

Je repense souvent à cette scène, me dit-il. C’est l’automne. Je suis encore enfant. Je suis en vacances chez mes grands-parents. Mon grand-père est un homme mauvais. Un vrai fermier de roman russe, celui-là. Ma grand-mère, j’ai pris l’habitude de l’appeler bonne maman. Il m’arrive de songer que c’est vraiment dommage qu’elle soit sourde. Vraiment vraiment. Et sinon, le reste du temps, je le passe dehors, à épier le silence. Et donc ce jour-là, il se passe ça que j’aperçois. Le voisin traîne un agneau. Il lui attache les pattes à la porte de l’étable. Et puis il l’égorge d’un coup sec. Son geste est précis. C’est un geste précis mais totalement dénué de méchanceté. Une fois la besogne terminée, le voisin s’éponge le front. Et puis il soupire. D’où je suis il me semble que son haleine est bleutée. Mais je n’en suis pas sur. Et je crois même que je m’en moque.


*

Lourd couchant, me dit-il, le ciel pèse autant que dix poneys morts.


*

Et mon vieux carnet de notes, me dit-il, tu dirais un de ces tas de fumier qui s’amoncelle devant le seuil de ces maisons, par là-bas, tu sais.


*

Et me voici chauve de nouveau, me dit-il. Mon dieu que c’est triste une fin d’après-midi chauve de nouveau.


*

Et donc, me dit-il, ce serait un lundi banal comme une messe. Amen.


*

Oh mais, tu sais, me dit-il, je n’ai pas toujours été ce que je suis. J’étais même cet homme d’un premier mouvement. J’étais primitif et mondain. J’aimais les gens et la mauvaise vie. J’étais du peuple. J’étais peuplé de tout un tas de méchantes habitudes. Et puis…


*

J’aime Paris et l’astronomie, me dit-il. Et cette histoire de matière noire. D’effacement. D’absence. Tout est là. Mais j’y pense, vous aimez ça le filet de sabre?


*

Il est difficile de parler de ton omelette, me dit-il, sans faire référence au jansénisme. Et puis cesse donc de relire cette lettre de refus et passons à table.


*

La nuit tombe peu à peu sur les jardins, me dit-il. Sans trop d’énergie dans le regard, tala, je pousse mon caddy vers le destin.


*

Les feuilles sont partout pourries, me dit-elle. La nature n’est pas partie pour rire.


*

Si je me rase et que c’est le soir, me dit-il, et qu’alors neuf chances sur dix pour que je m’écorche la figure et qu’alors je saigne comme le cochon de mon enfance moins les cris atroces mais quand même, si je me rase et que c’est le soir, c’est parce que ses lèvres en valent la peine.

Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (4)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

Beaucoup plus tard, vers l’adolescence, me dit-il, je n’aimais plus tellement ça, le riz au lait.


*

J’avais dans l’idée de t’écrire un polar, me dit-il. Mais j’avais pas trop envie que tu meures comme ça. Enfin, pas si vite.


*

Je mange des tartines, me dit-il. Et c’est franchement ce que j’ai fait de mieux aujourd’hui.


*

On a fini par faire une pause dans ce café où, il y a fort fort longtemps, tout un tas de vieux acteurs venaient jouer les spectres alcoolos-faucheman, me dit-il. Ce café que t’aimais pas et que t’aimerais encore moins vu comment du bout de la rue il vous fait tout son tralala de clins d’œil appuyés et mon dieu que tout ça est dans le plus pur mauvais esprit bistronomique comme ils disent. Et donc en terrasse, comme des princes, on a fini par prendre place. Baptiste a voulu une limonade. Lucie, une grenadine. Au départ, j’avais dans l’idée de leur faire voir un peu le square Léon Serpollet. La limonade et la grenadine, entre autres, c’était juste pour ça. Et donc…Oh et puis zut. J’ai envie d’un autre verre. Et puis, c’est su de tous , quand on a soif on fait n’importe quoi. Et donc pour ce soir on en restera à cette terrasse, à la limonade de Baptiste et à la grenadine de Lucie. Voilà.


*

On buvait un café, me dit-il. C’était rue Hermel. Sam cirait ses boots avant d’aller à son casting. C’était un casting pour une pub Range Rover. Peg portait un joli pull en coton. Sam a joué un disque. C’était Lescop. On a bien aimé. Puis Peg nous a fait à manger. C’était du foie de veau. Puis Peg m’a pris un peu à part. C’était pour me demander si je voulais bien accompagner Sam à son casting. J’ai dit que bon ben oui c’était d’accord. Après Sam s’est mis à repasser sa chemise bleue-casting et alors je lui ai dit : « Et si je t’accompagnais à ton casting pour cette pub Range Rover… » Et encore après Peg est partie bosser. C’était dans une boite de prod qu’elle bossait. Elle nous a embrassé. Son haleine était chaude.


*

Oh tiens, me dit-il, hier matin j’ai vu cette fille, tu sais, celle qui aime bien te laisser avec tous tes bonjours sur les bras. Elle est espiègle ou malpolie. Ou les deux. Tu ne l’aimes pas. Je comprends. Tu ne l’aimes pas au point de sur cette fille espiègle ou malpolie ou les deux tous les matins te casser le nez avec tes bonjours. Je comprends. Elle est jolie. Et son regard aussi profond qu’une limousine, c’est à ne pas croire.


*

Les veilleurs de nuit ont les yeux bouffis de sommeil, me dit-il. C’est pas pour autant qu’ils s’échappent au moment d’éplucher leurs oignons. Quand il faut y aller, les veilleurs de nuit, ils y vont.

*

Les feuilles jaunissent, me dit-il. On déjeune. Encore cette fin d’automne qui ne nous rajeunit pas.


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Moi, la nuit, me dit-elle, j’ai toujours près de moi 110 mouchoirs pour les très gros chagrins. Double épaisseur. Classiques. Douceur et résistance, tu mords l’esprit chouchou. Moi, la nuit, jamais je ne dors. Je suis triste oui mais au moins je surfe sur ma tristesse maboule en brasse coulée. J’ai pour moi la jeunesse et en plus je t’emmerde, vieux con.


*

La bouteille de Beaujolais nouveau m’a fait faire ce qu’elle a voulu, me dit-il. Et même des gestes avec ma bouche, oh si tu savais. Non mais c’est à croire que toute la nuit je l’ai gavée d’amour, la bouteille de Beaujolais nouveau. Toujours est-il que ce matin, redoutant sans doute que notre histoire ne prenne un tour par trop conjugal, elle m’a prié d’aller cuver ailleurs si j’y suis, la bouteille de Beaujolais nouveau. Voilà.


*

Passé tout près de la rue Tourlaque, me dit-il. Il faisait beau. Quelques vers de Kiki Dimoula m’avait tenu compagnie, oh juste le temps de remonter la rue Ramey et pfuit, voilà, envolés. Passé tout près de la rue Tourlaque. Il fut un temps où, là-bas, j’allais voir cette dame. Des fois je lui offrais des fleurs. Et toujours je baissais les yeux au moment de lui tendre le bouquet. Des fois c’était des fleurs blanches. Des fois c’était tout mélangé. Un jour elle a fermé la porte très vite derrière moi et puis…Cette dame m’impressionnait. J’étais jeune. Très jeune. Elle est morte, depuis. Passé tout près de la rue Tourlaque. Cette dame, tu sais, j’aurais bien aimé…Lui dire que…Enfin. Parfois, dans la vie, on fait du chemin et on aimerait que ça se sache.


*

On a tous besoin de fabriquer son image, me dit-il. Le hic c’est que je ne suis pas bricoleur.


*

Il est six heures du soir, me dit-il, et nous sommes en présence d’un phénomène surnaturel. Le gros Michel commande son bock à se vider cul sec comme ça tout seul comme d’habitude. Il porte son chandail rouge. Ce matin il s’est rasé à l’ancienne et vraiment il est fier de lui. Il peut. Des hommes de ce métal, libres et robustes, longtemps qu’on en fait plus. Il est six heures du soir et le gros Michel aime toujours autant lire le journal du coin en trempant doucement ses lèvres dans la mousse par ci par là. Et c’est là qu’il les voit : le cordonnier taciturne, la gardienne de chèvre bègue, le vieux prof de maths qui résout ses problèmes d’arithmétique sur les murs des maisons, oui c’est là qu’il les voit, sortis de nulle part, et déjà ils s’approchent du bar pour lui parler à touche touche. Il est six heures du soir et alors le gros Michel se commande un autre bock.


*

Le comité des fêtes cherche un trésorier et une secrétaire, me dit-elle. L’association Culture et loisirs organisera bientôt une soirée karaoké et tartiflette. Et moi je promets de t’aimer au moins jusqu’à l’autoroute.


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Nous sommes le soir et c’est triste comme une banane flambée au gasoil, cette affaire-là, me dit-elle. Ce jour, le secteur de pétanque de Quillan tenait son assemblée générale. Pour le moment, personne n’a souhaité en prendre la présidence.


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Et oui, me dit-elle, en 2013, juste après la fin du monde, la fanfare “Tonton a faim” fêtera ses vingt ans d’existence. Une tournée est prévue à travers toute l’Europe mais surtout les Corbières. Et sinon, j’ai deux invits pour la fête de la châtaigne et de l’agneau du pays cathare. Tu viens ?


*

Si, me dit-elle, Maman, c’est bien ce que cela semble être, alors ce serait une chose bête et sale que cette montagne froidement exécutée par la brume, un certain dimanche 4 novembre, lors d’une énième attaque suicide près de la frontière catalane. Et sinon, que le diable t’emporte toi et ta bonne fatigue du loisir, ta mobilité lente et silencieuse. Laisse-moi la place et mets la table- des assiettes à soupe, hein- feignasse.


*

Le promeneur était en tongs, me dit-elle. Sur son tricot de corps on pouvait lire : ” François frites fraîches”.


*

Oui mais non, me dit-il, le turbot n’est pas un poisson qui se mange vite.


*


Je n’ai pas couché pour réussir, me dit-elle. On a fait ça debout.


Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (3)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

Un jour, me dit-il, tu m’as demandé ce que j’entendais, très exactement, par être amoureux. J’ai pas répondu, il me semble. Alors c’est très simple. Ce que j’entends par être amoureux, c’est, très exactement, le bruit que ça fait quand elle introduit ses clés dans la serrure, qu’il se fait tard, que je pourrais dormir, lire, travailler, oui mais non, je reste là à attendre. Voilà. Salut.


*

Je bois un verre de blanc, me dit-il. Je bois deux verres de blanc. Quand il sera trois verres de blanc, alors il sera l’heure d’aller me cacher.


*

Je ne sais plus, me dit-il, si je t’ai déjà raconté l’histoire de ce jeune garçon parti un jour, et c’était la première fois et c’était avec la main de son frère serrée dans la sienne et c’était tout poissé d’angoisse cette main-là, l’histoire de ce jeune garçon parti disputer de hargne et d’adresse à ce jeu auquel jouent les garçons avec l’espoir secret de se nettoyer de la violence ou bien de prétendre au courage, cette lubie qui n’existe pas. Je ne sais plus. Peut-être bien que oui. J’étais saoul sans doute. Quand il m’arrive d’être saoul, plus aussi souvent qu’avant mais ça m’arrive encore, hélas, toujours au début c’est que le bonheur me déborde et puis, ça ne manque jamais, la joie, bonne fille, finit par céder son siège à quelqu’un d’autre.


*

Ce quelqu’un d’autre ne tarde pas, ça aussi ça ne manque jamais, à se gonfler de tristesse, cette tristesse ancienne tu sais. Et alors je me surprends à faire ce que je déteste tant. Et alors je raconte, mal, ce que dans ma vie j’ai aimé le mieux. C’est une façon, assez puérile, je sais, de devancer les questions qu’on présume, à tort ou à raison, plus ou moins embarrassantes. C’est une façon sans manière. Je sais.


*

Il y a des gens qui naissent pour se taire. Très tôt ils devinent qu’il va falloir tout garder pour soi. Mais qu’un soupçon de joie vienne à bousculer le silence et alors, et alors là. Tu voudrais soudain que la parole coule d’elle-même mais le temps que ça prend de remonter à la source, déjà les mots coagulent comme un mauvais sang. Tout redevient moche, atroce, tronché jusqu’à l’os. Voilà ce qu’il t’en coûte d’avoir voulu forcer le verrou de ta bouche.


*

Je ne sais plus si je t’ai déjà raconté cette histoire. Je ne sais plus. Si je l’ai déjà fait, je t’en supplie, arrête moi. Sinon, dis-toi seulement que tu l’as échappé belle et voilà.


*

J’ai vécu, me dit-il, oh pas longtemps mais c’est quand même vivre, avec une peluche dont la tête était déchiquetée. C’était une peluche un peu plasticienne et quelle peau de pêche elle avait. Près de son lit, du matériel de peinture était posé. Posé sur une table roulante. Dans la chambre il y avait un fauteuil pourri que le pire tox des environs avait rénové pour elle. Sur ce fauteuil, on faisait l’amour par le nez. L’amour, elle disait, mon garçon, faut que ça sorte. Elle disait: souffle fort. Souffle mon garçon. Cette peluche, j’étais tombé amoureux d’elle ce jour qu’elle courrait dans son jardin et c’était un jour où elle courait dans son jardin en chaussettes, t-shirt Snoopy, cuisses nues, un vrai cliché pas farouche, oui c’était ce jour qu’elle courait le garou comme ça dans son jardin. Dans le jardin, alors, il y avait trois gros pots en terre dont un contenait un saule tortueux. J’aimais bien quand elle m’emmenait au sous-sol, sinon. Il y avait des tas de robes de mariées suspendues. Au sous-sol, elle aimait me tourmenter en douceur avec de jolis instruments de torture à la mécanique compliquée.


*

Je regarde le beurre glisser sur la poêle, me dit-il, et alors je pense au coeur de cette fille juste avant qu’il se fonde à l’oubli. Voilà ce que ça donne de cuisiner pour soi tout seul. Pfiou.


*

Les eaux sont basses, me dit-il. Passe le hérisson. L’homme ému aux larmes caresse des peaux en grève. Habitudes discutables.Mais qui a besoin d’un verre fera toujours le brave. Passe le hérisson et c’est comme un vent en pleine canicule. L’homme ému aux larmes, parfois, il aimerait faire des trucs impensables. Des plats de gros mots à emporter sous vide. S’évanouir dans un compotier. S’avaler d’un oeil furieux des cerises à l’eau de vie. On en revient toujours à la même chose. Passe le hérisson. L’homme ému aux larmes compte pour le rat. On le largue avec une grosse bise. Il garde les pieds au chaud. D’ailleurs ses pieds ont commencé à noircir.


*

Mes mains tremblent un peu, me dit-il. Ma cigarette aussi. Aujourd’hui, c’est décidé, j’arrête de trembler.


*

Même les spaghetti, aujourd’hui, ça m’a fait peur, me dit-il.


*

Je sais que tu aimerais que le soleil brille d’avantage, me dit-elle. Ne mens pas. Je le sais. Et aussi que le fond de l’air soit encore un peu frais, même pour la saison. Je sais que tu aimerais t’engager dans ce chemin et te retenir de courir. Et aussi retrouver le souvenir de ma main. Mais ce matin est vraiment mal choisi pour ça, désolée. Ce matin, tu dirais une fleur coupée sans vase.


*

Si tu penses toujours aussi obstinément, me dit-elle, que le rêve, le voilà le plus ancien genre littéraire du monde, alors il faudra peut-être que tu te fasses à l’idée que les gens, ils dorment assez peu, tout compte fait. Ou alors juste d’un oeil. Tu crois pas, mon chou?


*

Sur une surface assez réduite, me dit-il, les grenouilles se partagent tous les nénuphars de l’étang. Sous l’eau, une inquiétante créature fraie avec nos fantasmes les plus troubles.


*

Parfois, me dit-elle, les élastiques sont affaire de vie ou de mort.


*

Y’a quelque chose dans l’air, me dit-elle, quelque chose de lourd, de grave et de lent, quelque chose que je n’aime pas et c’est quand on boucle nos valises. C’est assez récent je t’avoue. J’ai beau me dire qu’on part en voyage. Qu’en plus, partir tous les quatre, ça fait longtemps. Bref. Alors, si tu veux bien, on va faire ça vite. Dans une heure, promis, qu’on y pensera plus.


*

Oh tu sais, me dit-il, le coeur m’a sauté trois battements au moment où le train a quitté la gare Saint-Lazare. Tes yeux pleins de rires, je les sentais encore dans mon dos. Je vais t’avouer quelque chose. Ne le répète à personne. J’aime ces heures où nous jouons, tous les deux, aux cancres de la vie. Oui. Vraiment. J’aime.


*

Réponds-moi, me dit-elle. Mais sois franc, pour une fois. Le vent est-il toujours dans ta bouche?


*

Tu le savais, me dit-elle, qu’y a des gens qui collectionnent les sacs à vomi?


*

Le tartre, me dit-il, vous savez, c’est comme l’amour. Ça s’en va et ça revient. Pfff.

Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (2)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

Alors la vie s’est assise en terrasse, me dit-il. Juste à côté de moi. Elle portait une jolie robe à bretelles et des escarpins plats. La robe était un peu courte. Bref. J’aimais bien ses lunettes, sinon. Des lunettes de psy. Ses lunettes, ça lui donnait un air professionnel et bienveillant, tu vois. Elle a commandé un jus d’orange avant de décroiser ses jambes. C’était les jambes d’une fille perdue. Des jambes qui revenaient au pays après avoir fait le mauvais coup. Celui de trop, peut-être. On ne sait pas.


*

L’amour fait la roue, me dit-elle. Je sens que ce samedi, déjà, nous encercle.


*

Viens voir, me dit-elle, tu dirais l’amour assis, là-bas, sur ce banc. Non?


*

C’est un mercredi comme ça dans la vie, me dit-elle. Qu’on me donne un bout de table. Si possible en terrasse. Un rêve. Blond ou brun, je m’en fous. Et même si ce rêve me fait mourir le cœur après coup. Peu importe. Qu’on me donne un semblant de futur. Entre les pieds d’une chaise et la rue. Même si c’est court. Le deuil en violet j’en peux plus.


*

Non mais, les grottes, me dit-elle, je trouve ça super érotique.


*

Je n’ai jamais tellement aimé ça, les endives, me dit-il. Ça fait prolétaire du sexe, je trouve.


*

Cette fille, me dit-il, c’était comme un goûter retrouvé au fond d’un vieux sac. Elle avait une tête de petit beurre et moi je la bouffais des yeux.


*

On buvait nos bières, me dit-il. Le jour déclinait. On se parlait pour la première fois comme si c’était la dernière, en y mettant tout ce qu’on pouvait trouver de rires et de franchise. Pas loin, un homme étendu par terre. Saoul. T’aurais dit que, déjà, il vomissait la lune.


*

Je ne suis pas folle, me dit-elle. C’est juste que je me trompe beaucoup.


*

Mon mari a pratiqué l’onanisme de très longues années, me dit-elle. Puis, soudain, il s’est mis au jus d’ananas.


*


Hier, me dit-il, j’ai suivi une fille dans la rue. La fille, dans le fond, je m’en foutais. Ce qui m’intriguait, c’était cette queue de cheval qui lui descendait jusqu’au milieu du dos. Cette queue de cheval, tu aurais dit qu’elle respirait.


*

Mon premier chagrin d’amour s’appelait Lucie, me dit-il. En principe, Lucie, voilà, c’est la lumière. En principe c’est ça. Mais prudence. Prudence. On ne sait pas. On ne sait plus. C’est qu’on approche des rumeurs de la quarantaine. C’est que le monde, vers cet âge, je sais pas pour vous, monsieur, je sais pas, une chose est sure, moi ça me donne de l’effort, le monde, vers cet âge. Ah ça oui.


*

Le Latin, me dit-elle, c’est une langue très ancienne qui a fini par s’éteindre et voilà. Les langues, c’est comme les flammes. Je vois les choses comme ça. Et si donc plus personne pour souffler dessus, elles finissent par s’éteindre à petit feu, pfuit, et alors ça devient des cendres. Ces cendres, le vent va ensuite se les disperser aux quatre coins du triste monde et alors, en retombant, elles se mélangeront à la terre. Deviendront des poussières comme les autres. Et on n’en entendra plus jamais parler.


*

Le vieux metteur en scène, me dit-il, ah ça oui, il l’aimait le café de Maman. Une fois, il lui a même dit qu’il aurait mieux fait de se marier avec une femme comme elle. Une qui, au moins, savait faire le café. Au lieu de ça, il avait épousé une dizaine d’actrices. Certaines, c’étaient de vrais garçons manqués. D’autres, des comédiennes réussies. Il disait. Mais toutes buvaient du thé vert, pouah, et au bout du compte alors il avait divorcé.


*

Maman qui le voyait venir, avait toujours su que derrière chaque artiste avec un grand A se cache un séducteur avec un petit s, Maman avait louvoyé par politesse, vous savez, feignant d’être étonnée que toutes ces histoires ne lui aient pas encore donné l’idée de faire un film. D’écrire une pièce, tout ça. Et lui alors ça l’a fait beaucoup rire, cette petite stratégie d’évitement. Puis il a dit cette chose que je n’oublierai pas de sitôt. Il a dit qu’une oeuvre d’art, ça ne pouvait pas être un règlement de comptes. Non. Ça ne pouvait pas.


*

Moi, alors, me dit-elle, mon petit truc en plume, ça consiste à faire résonner l’infiniment grand, l’infiniment petit et la dimension humaine. Je suis chanteuse de rue et ma voix c’est tout rouge sanglant. Parfois, les gens, c’est limite si je les fais pleurer. Y’en a même quelques-uns, oui, des qui restent là, abasourdis, le cul par terre. Oui. J’ai une belle voix. Peut-être qu’ils se sentent gênés. Je m’en fous, ça me fait toujours un peu de compagnie.


*

Alors, c’était le printemps, me dit-elle. Alors il attendait l’explosion d’énergie, de sincérité et de joie. Mais comme il est allergique au pollen. Enfin, voilà.


*

Elle parle peu, me dit-il, mais quand elle nomme les choses, je leur trouve un goût pas pareil.


*

Les merles roulent leurs trilles, me dit-il. Moi, c’est juste une cigarette. Je sais pas chanter.


*


Lui, tu sais, me dit-elle, il habite un pays où la douleur ne s’entend pas. Dans son village natal, une fois par an, on se levait au milieu de la nuit pour tuer les morts.

Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (1)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

Chaque matin, me dit-il, c’est comme si tu mettais de la vieille huile dans un moteur neuf.


*

Bonjour tristesse, me dit-il. Repose-toi si tu veux, moi, je repars au chagrin.


*

Le samedi matin, me dit-il, j’aime bien me feuilleter les pages de ce catalogue où il est question de t’installer une piscine là où tu pourras jamais, même pas en rêve.


*

Alors c’était donc hier soir et c’était même un hier soir où David Bowie est entré dans la cuisine avec Lou Reed, même que, me dit-il. Alors c’était si soudain et j’avais tellement mes frigos vides qu’ils n’ont pas trop traîné dans les parages, en fait. Toute façon, Lou Reed, il est devenu con comme c’est pas permis. L’a bonne mine, tiens, avec ses binocles de prof de philo que trop d’herbes haïtiennes auraient défoncé pour mille ans. David, lui, ah non, c’est pas la même. Oh mais rien à voir, je te dis. Du tout, du tout. L’autre c’est zéro et un chiffre. David, la classe à deux cents pour cent, tu vois. Et putain quand il a fait comme ça : ” Avé vu quellequechoz for le dinner ? Hum, hum ? La putain de sa mère de classe. Ouais.


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Il n’arrêtait pas de leur réclamer des preuves d’amour, me dit-elle. Parait que tous les mauvais parents font ça.


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J’ai installé une piscine, juste en dessous de mes yeux, me dit-elle. La tristesse à débordement, c’est l’avenir.


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C’est souvent, me dit-il, que mes rêves résonnent comme un vieux chant de bivouac.


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Au début, me dit-elle, j’ai rêvé d’avoir un destin d’oiseau sur la branche. Je sais, c’était un peu idiot. Un peu bébête. D’autant que le solfège et moi. Voilà. Et puis j’ai dû vieillir, comme on vieillit. Comme le corbeau blanc, un jour, est devenu noir. Comme ça.


*

La vie, plus j’y pense, me dit-il et alors lui c’est ce genre de garçon chez qui l’enfance n’est pas résolue à mourir, du moins pas tout de suite, les rêves résistent, les rêves entendent bien crever l’arme à la main, debout, casoar et gants blancs, oui, bref, la vie, me dit-il, tu vois c’est comme un film. Le film, pour qu’il soit réussi, que ce soit un grand film, un beau film tant qu’à faire,avant que ta caméra elle commence à tourner autour des acteurs, à venir les prendre par la main, une belle main de caméra à poigne de givre-dans le cas contraire, si ta caméra et sa main sans cesse au milieu de la mort, sans cesse au milieu de la vie, elle ont pas envie de venir se les chercher, les acteurs, si elles se sentent pas le moins du monde attirées par eux, là ce sera mort d’entrée ton truc. Pfuit les sortilèges du ci-né-ma-oui donc, avant que ta caméra elle commence sa petite danse du ventre autour de ce monde minuscule en mouvement-vivre, tu dirais qu’ici ça se résume à cette formule magique : Moteur… Moteur demandé… Action. Ensuite, parce que c’est forcé qu’on passe tous par ces moments-là, l’âge, les doutes tout ça, ensuite et pour peu que ce sale désir de mort te vienne, alors t’aurais qu’à gueuler ” coupez”. C’est d’une simplicité d’ancien testament. Voilà. T’aurais qu’à.- oui donc, avant que ta caméra elle se sente tant soit peu concernée par le spectacle des hommes et eux, les acteurs, ils aimeraient bien qu’on les entraîne dans l’autre monde, de l’autre côté du miroir, au pays de la vie éternelle, tu vois, avant ça, il lui faut une histoire, des mots, quelque chose qui déclenche un geste simple mais précis. Simple. Précis. Pur. Ta caméra c’est comme le stylo de quelqu’un qui écrit. Comme le pinceau d’un peintre, si tu veux. La vie donc, plus j’y pense, me dit-il, plus je me dis que c’est comme au cinéma. Que c’est rien qu’une sombre affaire de désirs et de manques. Salut.


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Ma vie est grise, me dit-elle. Et pourtant, plus jeune j’avais, comme tout le monde, de ces impatiences dans les yeux, dès qu’on m’offrait une rose.


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Ce qui me fascine avec la vie, vois-tu, me dit-il, c’est quand tu dis : deux rue des boulets plus deux demis chambrés et que ça fait pas quatre.


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Le métro, ce matin-là, c’était rien qu’une forêt de jambes, me dit-il. Et elle alors avec ses collants noirs, t’aurait dit un arbre égaré au bord de la route.


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Il n’y a pas trente-six façons de se raconter, me dit-il. Il n’y a que des narrations favorables.


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La première fois que j’ai perdu une dent, me dit-il, c’est à peine si je t’en ai voulu.


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La vie ? Une grande pompe à vide, me dit-il.


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C’était un matin de sept ans et demi, un matin toute blonde, me dit-il. Il a suffi que ce matin se mette, comme ça blondement, à me sauter sur les genoux, pour que j’arrête enfin de faire la gueule.


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La première fois que je suis née, me dit-elle, j’ai eu du mal à te reconnaître. Même quand tu m’as fait bonjour, mes yeux n’en croyaient pas leurs oreilles.


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Au début, me dit-elle, on s’est couché dans les herbes folles. On regardait le fleuve et nos amours se maçonnaient dans l’indifférence. Le cidre était bu. La honte était bio. Et puis est venu le temps de l’embauche. Alors on a quitté l’embouchure de la jeunesse.


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Le printemps ? Trop facile, le printemps, me dit-elle.

Benoît Vincent • Procès verbeux (1)

Benoît Vincent travaille Ambo(i)lati. Il rassemble des statuts Facebook sous le titre de Procès verbeux.

1. Les nouvelles étaient tellement mauvaises (crise, réchauffement climatique, violences, météo et Philippe Meyer) qu’il a mis La jeune fille et la mort, et dans la cuisine, a agité son corps dessus.

2. Le monde était tellement obscène qu’il était d’avance entendu que ce ne seraient jamais pour ses qualités littéraires qu’on apprécierait son prochain roman, libre adaptation de la vie pour le moins rocambolesque de John C. Holmes.

3. Et c’est ainsi qu’il partit trois jours en Ardèche, sur le plateau, pour une formation sur les Systèmes d’information géographique.

4. Des deux c’est lui qui préférait le pain — et se coltinait de devoir finir celui de la veille, car il avait horreur de gâcher quand, tout chaud, le quotidien craquait de désir presque érotique.

5. Sur la route, à dix kilomètres de distance, il a croisé soit deux salamandres, soit deux bracelets brésiliens géants.

6. N’avait qu’un rêve Antoine, être réincarné en un truc maigre. Réincarné en os. En os de poulet si possible.

7. Il s’est bien sectionné un doigt en cuisinant son premier chou farci ; mais les convives n’y ont vu que du feu.

8. Pascal n’avait pas abandonné son projet d’un roman mettant en scène Brunehilde, fille d’un paysan du VIe siècle, destin exceptionnel à la charnière des civilisations.

9. Intriguée par le sérieux boxon que faisaient les pois chiches qui trempaient, quelle ne fut pas la surprise d’Orcanette de découvrir, derrière la planche à découper, un réseau de prostitution de scutigères véloces.

10. Alors qu’il fouine dans la grange de son pépé Edmond, Kévin découvre, stupéfait, une collection de disques vinyles de post-punk et se demande bien à quoi cela peut servir. Il décide alors de se branler sur les pochettes.

11. Soudain Louis, alors qu’il coupait la betterave d’un bortsch en écoutant cet opéra pour Espagnol catarrheux, Tommy, fut submergé des larmes du matérialisme romantique. Il assassina sa femme et nourrit une profonde aversion pour tout ce qui se réclamait du corps social.

12. Eliette Faure disait qu’elle n’était pas de Forcalquier, mais de Banon, où son père avait eu le premier garage. En vérité sa famille venait d’Oppedette, et leur arrivée à Forcalquier était pour le moins obscure. Elle en récitait d’ailleurs le blasonnement lors de sommeils tortueux : « de sinople à un ours d’or ; coupé d’or à un pal de gueules ».

13. Serge avait mis en téléchargement illégal cinq Vissotsky différents, ou plutôt cinq fichiers différents du même disque de Vissotsky, en espérant cette fois qu’il n’obtiendrait pas que des vidéos amateurs de tuning ou de triple pénétration + éjac anale.

14. Chaque matin et puis chaque soir, alors qu’elle prend la route qui de Saint-Remèze mène à Vallon-Pont-d’Arc, où elle est hôtesse à l’OT, Marie-Hélène examine, ausculte et peaufine. La meilleure épingle. Le beau précipice. Le lieu plus sauvage. Les boustrigas. L’éboulis. Un beau vol, un beau vol et un bel atterrissage, loin, loin et glorieux, loin et glorieux et seule, hors-cadre, en dehors du monde, enfin soi-même.

15. Alors qu’elles rentraient du bal folk de la Tour du Pin, Maeva et Loana l’ont décidé. C’est le dessin de la guirlande lumineuse devant la mairie de Saint-Jean-de-Soudain qu’elles tatoueront comme un tribal juste au-dessus de leurs fesses.

16. Et Richard suit avec grande attention le petit-huit, le mouvement torsadé qu’a effectué le caillot de sang lorsqu’il l’a craché dans les toilettes. Soumis lui aussi aux lois physiques, s’en sort bien, esthétique, les mêmes lois qui règlent la maladie qui règne sur son corps.

17. Cependant, vers 7h40, alors que les gamins du premier rentraient du réveillon faits comme des kakis, leur grand-mère s’est mise à gueuler, a voulu à tout prix sortir de son grabat et s’est plantée sur le seuil en gueulant éructant grognant Moi aussi rrh je veux y aller rhh danser grrrhe. Le syndic dont les membres ont péniblement patienté minuit pour se fêter la bonne année s’est réveillé péniblement, et de mauvaise humeur. Il a décidé à l’unanimité, en séance extraordinaire tenue ce jour dans le couloir, qu’on extrade la vieille, à défaut de pouvoir la dépecer sur place.

18. Pino aime la bibliothèque municipale. Alors qu’il a quitté l’école à 13 ans, tous les jours il y fait sa sieste. Il y fait chaud, c’est propre et lumineux et il y a des jeunes filles de partout. Il se munit du sempiternel volume de Leopardi (ça lui rappelle vaguement quelque chose, ce nom), et ne le lit pas. Il s’endort dessus, en prenant soin de ne pas le tacher avec les écailles de la nuit.

19. Mario aime la librairie Feltrinelli. Depuis qu’il est à la retraite, ça fait onze ans, tous les jours il y fait sa sieste. Il y fait chaud, c’est propre et lumineux, et il y a tous les journaux à disposition, et même un petit café (ou du reste il ne va jamais). Il se munit du sempiternel volume de Benedetto Croce (ça lui rappelle vaguement quelque chose ce nom), et ne le lit pas. Il s’endort dessus, en prenant soin de ne pas l’équarrir de ses gestes brusques de bête d’ouvrier portuaire.

20. Drame au 121 bd St Germain. Jean-René, passablement éméché, tenait le couteau à huître pointé sur son sternum et s’est mis à crier à Louis-Maurice : « si tu oses répéter que Jean Paulhan est de droite, je me fais hara-kiri ». Margarida, la bonne, ne savait pas si elle pouvait amener les cafés.


Mat Hild • Facebook touch


Mat Hild, sous son habile pseudonyme (elle est enseignante et éditrice), est une observatrice avisée de la petite communauté de Facebook. Son regard est perçant, parfois cinglant, jamais amer, toujours juste. On se régale, on se retrouve, à la lecture de ces portraits, de cette typologie des utilisateurs de Facebook.

Les “Facebook touches” ont tellement bien fonctionné sur Hors-Sol que Mat Hild a eu la chance de les publier en recueil. On ne saurait trop conseiller ce volume, préfacé, excusez du peu, par Claro.

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