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Guillaume Vissac | peau(x)

Guillaume Vissac est écrivain, auteur d’un livre très remarqué chez Publie.net : Accident de personne. On ira visiter son site, Fuir est une pulsion, avec délectation. Il nous livre un texte intense, peau(x), sous forme de “vers justifié, clin d’œil à Lucien Suel”, qu’on salue au passage !


Claro | L’intraduisible : mythe ou réalité

On ne présente plus Claro : auteur d’une dizaine de romans (parmi lesquels Chair électrique, Madman Bovary ou CosmoZ) et d’essais (Le clavier cannibale, Plonger les mains dans l’acide).

Il est également fieffé traducteur, et pas de n’importe qui : William T. Vollmann, Thomas Pynchon, Salman Rushdie, John Barth, Mark Z. Danielewski, James Flint, William H. Gass et Hubert Selby Jr.

Pas plus Pynchon que n’importe qui, il est Résident du blog Le clavier cannibale.


Approche 1

La notion d’intraduisible a ceci de fascinant qu’elle semble intrinsèque à celle de langue, à la fois limite et secret, illusion et ennemi. Aux yeux du traducteur, elle est un soleil noir qu’il ne saurait crever, à l’instar d’une baudruche, sans s’éclabousser aussitôt des brûlantes paillettes du doute. Parce que la langue est communication, et ce pour des raisons économiques si évidentes que nous n’entendons bien souvent qu’un bruit de fond, blanc, il semble aller de soi que traduire n’est que seconder un type de transaction d’où découlent tous les autres. Parler, écrire, c’est établir les termes possibles ou discutables d’un commerce, quel que soit le gain. Mais le traducteur, aussi doué soit-il, opère d’emblée, ou en tout cas après déchiffrement, un travail de destruction. Il casse sa matière première, en fracture toutes les entrées, tord les clés à chaque tentative renouvelée, et doit forger alors de nouvelles serrures, en vue de portes différentes, menant assurément dans des pièces à la décoration quelque peu chamboulée – et ici la métaphore n’est qu’une illustration de ce qu’est la traduction : un tour de passe-passe, un bonneteau d’équivalences imposées au récepteur/lecteur.

Parce que chaque langue est unique, c’est-à-dire, opaque, comme protégée par un code secret qui la rend inintelligible à qui n’a pas maîtrisé ses conditions d’accès, elle résiste, par principe, au processus de traduction. Elle ne saurait donc être « translatée » qu’au prix d’une désagrégation totale, irrémédiable, aidée certes en des cas particuliers par les ponts qu’entretiennent certaines langues du fait de leurs origines communes, même si les racines collectives d’où elles émergent sont souvent causes d’erreurs, et ne font que renforcer ce moment mystérieux où notre langue fourche, à force d’être naïvement bifide.

Devant Babel, le traducteur endosse dans un premier temps le costume de Shiva, destructeur des mondes. Cet acte d’annihilation vise certes un objet précis – le texte – mais il n’est pas dit que sa virulence ne se retourne pas non plus contre celui qui en assume la responsabilité. En effet, la négation de l’original a pour effet de créer comme une tache noire, une tache aveugle dans le paysage langagier où évolue le traducteur. Ce qu’il efface s’efface également peu à peu de sa mémoire ; il scie la branche qu’il chevauche ; il tue l’objet aimé. Heureusement, c’est là une pirouette à laquelle, en tant qu’être humain, il est parfois roué.

Le réflexe, alors, consiste à dissimuler le forfait. L’énormité du crime ne doit pas oblitérer l’objectif recherché : que se lève une deuxième fois le soleil. (Shiva, cécité, soleil qui se lève deux fois : oui, nous sommes bien ici sur le site du Projet Manhattan, quand Oppenheimer comprit ce qu’il avait déclenché en voulant traduire la guerre en paix au moyen d’une explosion nucléaire dans le désert du Nouveau-Mexique – or la traduction est fission, brûlure, magie.)

Voilà pourquoi le traducteur, afin que ne s’ébruite pas le secret de l’intraduisible, doit endosser très rapidement et très naturellement le visage gracieux de l’Escroc, du faussaire. On compare souvent le traducteur, plutôt, à un traître. Soit. Mais encore faudrait-il déterminer en ce cas l’enjeu de cette trahison. Que trahit-il ? Pourquoi ? Pour qui ? Le terme de « faussaire » me paraît plus approprié, car il permet d’inclure la complicité des divers acteurs qui évoluent dans la sphère éditoriale. Avec l’assentiment de ses patrons, le traducteur fabrique un faux qui sera commercialisé et qu’on fera passer pour l’original, ou tout comme. Traduire est impossible ? Eh bien forgeons ! Car le faussaire-traducteur ressemble à ces faussaires qui, en peinture, plutôt que de copier à l’identique tel Titien ou Rembrandt, préfère travailler dans le style de Titien ou Rembrandt, et continuer ainsi l’œuvre, la prolongeant au-delà des âges. Le respect est à l’aune du talent, souvent, et la motivation financière ne suffit pas à expliquer l’absolue beauté des œuvres ainsi conçues.

On peut aussi considérer ce tour de passe-passe consistant à duper l’œil et faire mentir la notion d’intraduisible comme une entreprise d’adaptation. Le traducteur, dira-t-on alors, « adapte », au prix d’une technique qui n’est peut-être pas si différente de celle du scénariste qui réduit en taille et fracture en images un texte pour l’aider à accéder à cette page surdimensionnée qu’est l’écran de cinéma. Ce parallèle appelle bien sûr une investigation qui n’est pas possible ici.

Mais quelle que soit l’habit dont se pare le traducteur – destructeur, faussaire, adaptateur – il n’en demeure pas moins que s’il opère ainsi, c’est parce qu’il doit, moyennant destruction de l’original, faire un choix drastique, à savoir, si l’on en croit la doxa, garder le sens au prix du son. Bref, faire passer le message sans tenter de rendre la musique par définition induplicable de la partition.

On peut, bien évidemment, décaler la problématique et arguer du fait que ce n’est pas le texte en soi qui est intraduisible, mais son environnement, ses conditions de production, autrement dit la chaleur qu’il dégage dès lors que la lecture lui permet d’entamer le long et complexe processus de déflagration sémantique et sonore. Ce qu’on nomme assez grossièrement le contexte, mais qui bien sûr est plus vaste, plus diffus et moins sujet à catégorisation.

On doit, en conséquence, présumer une « compétence » du lecteur, un ensemble de coordonnées permettant de définir la « courbe » de sa lecture. On voit tout de suite quel genre de problématique découle de cette hypothèse. Tenter d’établir un portrait scientifique du lecteur c’est supposer de l’existence de celui-ci. Or toute littérature qui se respecte (c’est-à-dire s’invente et non se décalque) n’a-t-elle pas pour but de créer le lecteur ? L’enjeu de toute entreprise d’écriture n’est-elle pas, justement, au final, cette fabrique du lecteur ? Proust disait que tous les grands livres sont écrits dans une espèce de langue étrangère, et le fait est que quand on lit pour la première fois Proust, on commence par apprendre le « proust », cette langue étrangère nichée dans les anfractuosités de la langue mère, à la fois parasite, virus et organisme à part entière. Le travail du traducteur, du coup, serait proche de celui du chimiste. Décomposition, recombination, afin que décantent et se fixent les mêmes valeurs actives et réactives.


Intermède 1

Dans son livre intitulé Qu’est-ce que traduire ?, Marc de Launay se penche, dans le cadre d’une réflexion sur la notion d’intraduisible, sur le cas d’un vers célèbre de Mallarmé, et postule la chose suivante : « Il n’y a aucune chance que puisse se retrouver dans aucune autre langue la ‘réussite’ d’un vers de Mallarmé comme ‘aboli bibelot d’inanité sonore’1. » Plutôt que de trop nous appesantir sur l’étrangeté d’un terme comme ‘chance’ (mais il y aurait beaucoup à dire là-dessus…), décalons à notre tour l’optique mise en place par Marc de Launay, et citons le quatrain dans lequel ce vers « réfractaire » est prisonnier :

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d’inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

De Launay cite ce passage de la correspondance de Mallarmé où le poète fait cet aveu étonnant au sujet du mot « ptyx » : « On m’assure qu’il n’existe dans aucune autre langue, ce que je préférerais de beaucoup à fin de me donner le charme de le créer par la magie de la rime. » (op.cit)

Ne pourrait-on pas nommer « ptyx » non pas une unité lexicale irréductible par le sens et le son, mais un ensemble plus vaste, un énoncé/matrice, tout aussi résistant ? En ce cas, la traduction viserait quelque chose de l’ordre de la « magie » mallarméenne, elle se chercherait un « charme » capable de chasser ce symptôme du ptyx qui l’empêche de faire « rimer » les langues entre elles. Traduire pourrait être alors cette opération mystérieuse consistant à penser le phénomène chimique de la rime à un niveau différent, à un degré supérieur où sens et son seraient conservées dans leur pureté transcendantale, et ce dans une même impulsion. La nouvelle figure du traducteur serait, pourquoi pas, celle de l’alchimiste.

Approche 1 (suite)

Il convient ici de rappeler une autre dimension de l’intraduisible. Ce que la traduction ne peut rendre, apparemment, c’est la dimension historique de la langue (son affranchissement du latin, pour le français ; le brassage vernaculaire pour l’américain ; etc.).

Citons une fois de plus Marc de Launay : « Puisque cette dynamique est en quelque sorte l’identité active de chaque langue, la rupture introduite apparaît insupportable2. » On notera, sans s’attarder dessus, la force du mot choisi par l’auteur : insupportable. Ce qui ici est mis à l’épreuve, fait problème, n’est pas la résistance du texte, mais du traducteur.

L’intraduisible, c’est donc peut-être, aussi, quand l’acte de traduire renonce à trouver une équivalence économiquement « valable » pour préférer l’explication. C’est la fameuse dérive exégétique, la pathétique note en bas de page. Constat d’échec ? Echec de qui ? Du traducteur prisonnier de la tentation de l’irréductible ? Du lecteur supposé incompétent, en cours d’éducation ? Cette impasse a donné naissance, comme remède, à cette chose agaçante qu’on nomme « la trouvaille » dans le jargon pourtant quasi inexistant des traducteurs. La trouvaille comme parade à l’intraduisible. Autrement dit, la résolution d’un élément d’une équation, avec en général un certain brio. Mais il ne s’agit en aucun cas de la re-modélisation de ladite équation. La trouvaille est statique, elle indique que le processus traductant est interrompu, qu’au flux a succédé le temps de l’ingéniosité. Elle signifie que le traducteur est devenu, cette fois-ci, un bricoleur. Comme s’il réparait, retapait quelque chose.


Approche 2

Partons plutôt de l’hypothèse inverse, à savoir : rien n’est intraduisible. Autrement dit : l’intraduisible est, par essence, impossible. En conséquence, il nous faudrait, il nous faut établir une hiérarchie des résistances, un tableau des nœuds réfractaires, une topologie des risques majeurs. On évitera soigneusement le terme de « difficultés », qui renvoie à une pure problématique de la maîtrise et de la compétence, pour lui préférer celui d’intensités.

Je citerai ici le commentaire que fait George Steiner dans son livre Après Babel, à propos des textes-limites, et en particulier à propos d’un poème d’Isidore Isou. Steiner dit ceci : « On en retire une sensation inquiétante d’événements et de séismes potentiels affleurant la surface visible3. »

Les termes fulgurants, ici, sont bien entendu « événement » et « séisme ». A eux seuls, ils nous indiquent non seulement quel enjeu surgit mais quel acteur véritable se profile sous cette impression de catastrophe : le corps, comme territoire/histoire. Une explosion a lieu sous la surface, et nous avons devoir d’en éprouver les trémulations, aussi imperceptibles soient-elles.

Pour Steiner, toujours, l’intraduisible aurait trouvé son épitomé dans le Finnegans Wake de Joyce. « La dynamique de l’impénétrable est résolument nouvelle. Le poème pèse de tout son poids aux frontières de la langue4. » Ici, les termes « impénétrable » et « frontière » semble pointer vers une autre dimension. A peine a-t-on eu le sentiment de toucher à quelque chose de dangereux (le risque naissant de toute expérience des limites), que Steiner nous oblige à évaluer une autre dérive, situé au-delà de l’hermétisme.

L’hermétisme, qui suppose un double mouvement de codification et d’initiation, demeure dans la sphère de la compétence. Tandis que ce que Steiner semble désigner serait de l’ordre de la « transgression ». On peut supposer que ce chemin mène derrière le silence, comme on dit derrière le miroir, et qu’il s’agirait, à l’instar de Becket, d’apprendre à traduire, aussi, le silence. Mais là aussi, cette voie nous entraînerait trop loin.


Intermède 2

On peut dire que, historiquement, traduire oscille entre deux aventures : le compromis et l’imitation.

Le compromis tient le texte pour un lieu policé et y répond par une approche raisonnable. Le traducteur reste copiste. Citons ici Dryden, qui a cette phrase étrange et magnifique pour définir ce travail de patiente compromission : « C’est comme si l’on dansait sur une corde les pieds entravés : on peut éviter la chute à force de précautions ; mais il ne faut pas s’attendre à des mouvements gracieux : et quand tout est dit, ce n’est que stupide gageure ; personne de sensé n’irait courir un danger pour la gloire de s’en tirer sans se rompre le cou5. » Je laisse à chacun le soin de méditer cette phrase.

Avec l’imitation (qui n’est en ce sens pas la servile copie mais au contraire l’écart sauvage), on court le risque de voir l’excès de « démarquage » mettre surtout en valeur la virtuosité du traducteur, faisant du coup de ce dernier un « singe savant ».
Il s’agirait donc de réaliser une troisième voie, intermédiaire si l’on veut, entre la servilité et la cabriole, entre la métaphrase et la paraphrase. Mais l’opération en question est-elle purement technique ?

Steiner : « MacKenna, le traducteur anglais de Plotin, dit qu’il y a dans cet art un immense anneau d’obscurité, une zone de ‘miracle6’. » Il parle même de métempsycose.
Qu’est-ce que ce miracle ? En quoi n’a-t-il rien à voir avec la mesquine trouvaille ? Là encore, je laisse ces questions ouvertes, car s’y engouffrer donnerait lieu à un autre texte, soumis à d’autres enjeux.

Notons simplement qu’on court là le risque d’une mystique de la traduction, indissociable d’un retour au fantasme de l’inspiration.


Approche 3

Il faut pourtant bien aborder, de front ou de biais, peu importe, ce qui semble résister à la traduction.

Partons d’un fait incontestable : toute traduction est avant tout un processus de mise en déséquilibre, avant de devenir exercice de destruction inversée. La traduction fait « bégayer » dans sa propre langue. Et là, plutôt que de gloser sur ce bégaiement, je renverrai à la poésie de Gérashim Luca, par exemple, ou, plus spécifiquement, aux travaux de Gilles Deleuze.

Il s’agirait donc de passer par un devenir-écrivain, et comprendre que l’écriture (et donc la traduction) est un risque tendu au corps.

On le sait, Artaud a traduit Le Moine de Lewis avec une « liberté » qui mériterait une analyse systématique. L’auteur s’est expliqué dans sa correspondance sur son travail : « J’ai raconté Le Moine comme de mémoire et à ma façon. […] La présente édition n’est ni une traduction ni une adaptation – avec toutes les sales privautés que ce mot suppose avec un texte – mais une sorte de ‘copie’ en français du texte anglais original . »

On le sent bien, cette « copie » dont nous parle Artaud est à prendre dans un sens, une perception, très différente de la notion habituelle. Son sens nous reste encore mystérieux, aussi s’aidera-t-on d’une autre notion, empruntée celle-ci à Chateaubriand, à savoir celle de vitre, quand il dit qu’il a traduit Le Paradis perdu de Milton « à la vitre ».

Enfin, disons qu’on ne saurait en aucune manière faire ressortir de l’intraduisible des problèmes particuliers tels que les contraintes formelles (Pérec, Danielewski, Joyce…), l’allitération à outrance et outre-sens (William Gass…), l’historicité de la langue (Le Courtier en tabac, de Barth…), la complexité syntaxique (Pynchon…). Je donne ces exemples pour avoir travaillé dessus. Ce sont tous des problèmes particuliers qui appellent des résolutions particulières, globalement techniques, même s’il est évident qu’ils mettent à rude épreuve le devenir-écrivain dont j’ai parlé.


Ouverture

L’intraduisible est sans doute le meilleur ennemi du traducteur, son double tremblé, sa ligne de fuite. En revanche, on pourrait imaginer une autre sorte de traduction, autrement plus pugnace, et destiné à contrer l’entreprise de négation de la langue à laquelle se livre l’édition globale, qui considère de plus en plus la traduction comme l’instrument d’une plus vaste opération d’import-export, de marketing aveugle.
Traduire pourrait être alors, en se réinventant, une forme de résistance à l’obscène « customisation » qui se met en place un peu partout. Les traducteurs sont-ils disposés à franchir un jour le pas et envisager un « réarmement » inédit ?

Pour l’instant, malheureusement, la plupart en sont encore à traquer l’intraduisible dans les contrats d’édition. La guérilla n’est pas pour demain.


Mathieu Brosseau & Philippe Rahmy | Néant_saccage

Néant_saccage est de ces œuvres rares, échevelées, radicales. De ces œuvres dont la littérature a besoin comme d’un bûcher, d’un territoire extrême, pour insuffler en elle une urgence renouvelée.

C’est une litanie terrible, qui repousse loin les limites de l’orthonormé. C’est un texte sauvage, incandescent, essentiel. De ces brûlots qui évoluent au voisinage d’Artaud, de Guyotat. Il ne sont pas tant, aujourd’hui.

Hors-Sol est très heureuse de présenter l’intégralité du texte, dont une partie a été lue lors de “La Nuit Remue 5” en juin dernier, puis transcrite sur le site de la revue Remue.net que nous remercions, et avec elle surtout les deux auteurs, Mathieu Brosseau et Philippe Rahmny.

Néant Saccage, vide à combler, baiser de la reine, je m’escalade en pensant à toi, que te dire sinon ton absence, à redire mieux,

A redire avec d’autres mots, quelle idiotie vaine – dira-t-on – pour mieux nous distraire de la vacuité des espérances vaines,

Néant saccages, pour tuer et retuer, les boîtes d’allumettes, les boîtes à sous, les boîtes crâniennes, je me profile vite, je m’arrête,

Je me sais dans un recoin d’espace vierge, je me tue, il paraît que cela est bon, je me délice dans un espace à contempler,

te donner ma parole, m’engager à te respecter et à te servir en tout et toujours, à te consoler, à te protéger du mal, à te demeurer attaché dans les bons et les mauvais jours, dans la prospérité et la détresse, dans la santé et la maladie, à te rester fidèle jusqu’à ce que la mort nous sépare. Je me lie à toi sans l’église de merde, ni la république corrompue, je me lie comme la foule se rassemble et se disperse, innocente de la putréfaction des corps et de l’affirmation de soi.

Mourir d’aventure dans un espace clos, mourir d’aventure dans une vie à soi, les sois pour se reconstruire,

Je me profile vite et m’arrête, il paraît que se trouvent là-bas la sphère de l’accomplir et la maladie de l’action, celle qui déphase,

Boîte crânienne, roulette russe, je t’aime, hasard de ceux qui n’en font pas, je ne suis pas le hasard de ceux qui font,

La délié, la touche, par le devenir, maladie du devenir, néant_saccage, tu vois les immeubles en face, ils sont là pour te devenir, ils sont là pour t’extraire d’une solitude à démettre,

je réponds à ton amour. Je suis le hasard de ceux qui font, remplaçant ce qu’ils perdent par quelque chose de plus précieux. La répétition me permet d’imaginer le temps, l’accumulation me donne l’espace. Néant saccage et le courage ténébreux mutilé jusqu’à la tête. L’indice et l’argument d’une loi élémentaire. Bruit à peine formé, roulement métallique d’un store. Je veux et j’ordonne ce gris uniformément sanglant entré par les yeux avec le pouvoir d’élire, et la rage folle instaure cette plus proche dureté, l’intelligence sans rien, une profondeur solide de limites, et l’agression de tout contre soi.

Néant_saccage, par en bas, par en haut, par le vide à devenir, je me crois fort, il paraît que c’est le temps qui m’agit, qui m’agite,

Que faire en désespoir de cause, je n’ai pas de cause publique, je vous hais, tant qu’il me paraît ridicule de vous vivre, singe savant,

je suis d’un intérêt, presque nul, je me digère en autant de cause à devenir, c’est la marche des monstres,

Nous nous effondrons, dans la peur, le peu, je me voue aux informes tonalités de l’être,

Je suis en demeure et me dis : meurs à chaque instant de verre, tu as les os qui craquent, tu as le nombre qui flanche, tu as l’idée d’un parasite de l’action…

Je t’offre ma vie sans l’anecdote de vivre… Le langage de la présence physique n’existe pas… Je rêve d’une écriture absente à la parole qui ne perde rien de sa rectitude et de son innocence en se parjurant. Je suis le parasite de l’action et de l’accompli, l’ennemi acharné de Zarathoustra, Dionysos, Wotan, de la puissance, de la facilité du cri et de l’émotion

Dont il faudrait se débarrasser, tu as l’idée, j’ai la marche, celle du cœur, je vous aime, par dessus les élans, mais que faire de l’amour délié,

Et puis la peur, le peu de temps, l’excuse du temps présent, que faire d’elle en ses actions, il y a une maladie de l’action, celle de n’être pas

la destruction de ce qui était destiné à durer, ce peu de chaque jour qui assure la survie de l’espèce. Il se peut que ceux qui auront survécu, les créatures de l’émail de chiottes rôdant vers le dôme, vers ceux occupés à manger, à lire les Essais de Montaigne, vous vous rendez compte, cette tenue de cols blancs, de machettes perlées aux griffes, aux cuisses et ces putains à museaux, de ces cages à voix serrées de colliers où pend la gourmette du cadavre, l’orteil raide, noir, onglé dans le pot à fraises, remuant pour les éclopés le spectacle de la rage au prix du caviar, la rage à la carte breloquée de putes plus propres que l’égout, disent certains, ou plus connes, ou simplement affamées, celles-là non plus ne résistent pas à la tentation de se faire du bien, qui n’est rien qu’un peu de pétrissure d’asile, tandis que les autres, ceux dont on annonce l’arrivée imminente, les sauveurs, se font attendre et que les putes s’empiffrent, c’est leur excuse, on peut leur pardonner, l’appétit, il faut en avoir dans le ventre pour commencer à faire des phrases, il faut en avoir dans le bide avant de foutre, il y aurait alors cette salle qui serait la réplique de ce qu’on appelle poésie et tout ça, il y aurait les lustres, ce fond de cale avec huitres sur boulevard fouetté, cette parole que je te donne aussi, cette façon de jurer, de te jurer fidélité, il n’est pas question qu’elle se tienne à distance de l’image qui frappe les esprits à défaut de frapper au portefeuille cette faune vautrée dans la distraction qui veut qu’on lui en mette plein la vue, qui en veut pour son fric, tu relis Dos Passos et tu piges, tu vises ces gus à cul plat, le froc baissé, le pli dégagé derrière les oreilles, tu vises la danseuse aux cuisses de banque, et en face, lorgnant le buffet en vitrine, ces débarqués d’Argentine, de Chine et d’Ecosse, tous ces rouquins huilés flairant la bonne occase au coins des boulevards, déboussolés, se foutant sur la gueule avec les mecs du coin, ceux de Gentilly descendus en traversant les étangs de la Bièvre, un panier de glace sur l’épaule, tu vises le tableau quand le bourgeois rentre de le l’opéra, une grognasse sous le coude, et puis, soudain, le peu, le peu, la peur serait entrain de lire les essais de Montaigne, cet essaim désespérant l’esprit humain. Je n’aurai de paix avant que toutes les abeilles aient été noyées dans la fontaine, et, avec elle, la société terrifiée par le démon. Il faut du temps pour changer la vie en histoire. Il faut encore plus de temps pour que cette histoire descende au niveau de la rue. Je n’ai d’autre parole que sociale.

Violence pour permanence, il paraît que d’autorité, il n’y en a qu’une, une pour parfaire la voix, une et unique voix de l’être en demeure, je me violence, je vous violence, il y a des actions pour se taire, des fantômes pour se faire, l’urgence du témoignage, ce qu’il faut pour être, on dira que les fantômes, et bien, ça sert à ça,

Ça sert, bien heureux de la multitude, à dire ce qu’il y avait avant, pendant et après, un sablier, quoi, Néant_saccage, pour se faire, violence dans la boîte, dans l’espace qu’elle contient, dans l’espace qu’elle détient, souffre en surface, une boîte d’urgence, un truc à part, une solution dans laquelle se dévide toute violence,

Je me sens heureux, je me sens joie parmi vous, pour vous, j’ai la joie laiteuse, une solution du devenir, tu te trouves parmi les autres, en suspens, j’ai la violence sèche et aqueuse, une pourriture de l’être

Un glacier devenu, in extremis, une boue infâme, faut-il paraître pour mieux se retrouver ? Casse, casse des miettes, casse des chiens, casse des vipères et des venins, casse Casse des gueules cassées, casse la frontière des anges, casse ce qui te sépare, casse la vipère d’ange, casse et relève-toi

Casse et saccage les territoires du vide remembrés, casse et puis récupère les adieux au drame, l’action pour se faire, dis adieu à ce qui te fait, dis adieu à la cassure, ne te souviens plus de rien, ne te souviens plus, ne te souviens, ne te, ne

Néant saccage

je te cherche, nous avons la mort lente et le nombre. A la question « où vas-tu ? », ça répond invariablement « à l’explosif ! à l’intégral ! », une tiédeur liquide, longtemps couvée, maintenant expirée, divisée par trois coutures, gant sur l’asphalte, se détachant par lamelles ou terrasses d’un vert tendre de rizière. La promenade s’achève ici, au pied de ce muret, sur une impression de déjà-vu et dans un silence absolu, jusqu’à l’embouchure. Je n’ai de parole que sociale. Tracking automatique des ondes radio. Toi, tu as des choses à dire, je le vois bien, tout le monde sent que tu en as gros sur le cœur, c’est pourquoi je te donne ma parole, c’est pourquoi je resterai à tes côtés quoi qu’il arrive, vide, creux, absolument disponible, envers et contre tout. Mais il m’est impossible de te répondre, alors je me soûle devant la télé qui me pompe, qui m’aspire, vide, creux, la peau du ventre piquée sur les vertèbres battues par le flot visuel et sonore.

Homme de vers, tu sortiras de tes combes, de tes pantalons pour mieux t’asseoir, pour mieux te distraire, il faudrait qu’il y ait un arrosoir pour t’extraire l’eau qui te gangrène, et te repousse, et te vitupère,

Enfant, tu disais avoir un père, tu disais qu’il était possible de s’éloigner du centre,

Aujourd’hui, tu signales qu’il n’est plus possible de se détacher de la gravité,

Dieu est gravité sauvage, et le vide a ses fonctions,

Partielles en états d’âme, que faut-il faire pour se joindre à la danse des prieurs sauvages,

Enfant, je m’économisais dans un puits sans feu, un distraire sans poche, un accoudoir du vide, une poche fermée,

Une accusation des sphères de l’accomplir, homme de verre, tu te casses, fragile, pour mieux t’accomplir,

Et tu meurs, homme de vers, jusqu’à ce que les vers te démangent, en contrepartie, d’une peau qui se disloque,

Un appareil digestif, une apnée dans l’air de mourir, une apnée aérienne, je meurs de mourir, à chaque moment de

Vive action, celle qu’on ignore, sur la plume d’un destin à recouvrir, une plume d’oie, un morceau d’éponge,

Une cassure sur les os du corps, je me mets à la place du serpent de mer, je me mets à la place de tout un devenir,

Je m’aime dans ce travestissement des sphères,

Celles qui n’ont pour devenir, que celle de la connaissance, un puits sans feu, un organe sans voix, je m’imagine sans voix,

Un soir à la campagne, dans un morceau d’éponge, une pluie de feu, un intra-extra qui me figure, je parais être sans voix,

Elle est cassée jusqu’à l’aube, elle est ce devenir torride, que seuls les paysans sauvages ont su porter, elle est mes os,

Ce poids d’os, cette marmaille, cette enfance, du puits sans feu, cette excroissance, ce vouloir indistinct,

Je veux, je veux, te vouloir dans le puits sans feu, je veux, je veux,

Je veux, je veux t’apparaître comme une vipère céleste, celle forme la voûte, je veux, je veux te retirer l’immondice de tes poches,

Nous sommes tous des immondices de la parole, nous nous côtoyons, nous nous centrons en autant de sphères sauvages,

Il y a autant de connaissances, qu’il n’y a de vous, il y a, il y a autant de peur qu’il y a de peu, la peu, la peu, la peur,

La délié, de morts et de travestissement, je m’aime dans le décor céleste des immondices de la santé,

Celle qui se targue de devenir, l’être en suspens, l’apparence de celui qui se dénoue, la prière, la seule,

L’apparence du visage, celui qui obtempère, celui qui dit, la voix, la voix épaisse d’avant la sphère,

Et si ta voix prenait l’apparence de ta connaissance, qu’y aurait-il à démarquer dans le registre des âmes ?

Il faudrait un ascenseur pour te porter vers les étages. Et quel pourrissement d’âme pour supporter la santé ? Le père des larves, la reine des fournis, dorment sous la terre, au bord de l’étang. Qui songerait à leur donner un nom ? Je suis le Fils de Dieu et je demeure à nouveau parmi vous. Pourtant, vous restez sans amour, car j’ensevelis ma parole dans une terre désolée. Même celui qui aura semé en Dieu, ne moissonnera que de l’humain ; et quand je mourrai, mon Père disparaîtra avec moi, et toute chose avec nous — je suis venu rompre mon serment, mais mon Père ne veut pas votre mort ; c’est pourquoi il m’a fait une peau de verre, pour qu’en me voyant, vous puissiez Le voir à l’intérieur de moi, et pour qu’en me frappant, vous puissiez me détruire ; ainsi l’Ange exterminateur que Dieu vous envoie est aussi le plus vulnérable des hommes — ma loi est l’absence de loi, ma justice l’absence de justice — vous venez armés de pierres et repartez en pleurs — plus rien n’est bâti, ni défendu ; vous ne portez plus Dieu, ni en esprit, ni en parole. Qui se prévaudra d’une quelconque autorité et s’avancera pour prendre la parole, qui prétendra imposer sa loi ou agir au nom de l’idéal, qui se voudra donneur de leçons, détenteur du savoir, montreur de merveilles, me trouvera en travers de sa route, porté par les réquisitions secrètes de ceux qu’une injustice insurmontable, qu’une naissance disgraciée, qu’un manque d’amour, de talent ou de forces, réduisent au silence. Parler est une tâche sacrée que l’écriture couronne. Devoir, peur, famine, peu importe la raison qui pousse une créature à mordre. L’écriture pourchasse les méchants, et les frappe avec une égale violence, combattant le mal intérieur et extérieur qui les corrompt de vouloir, comme de faire régner, l’ordre. On ne devient pas écrivain, on naît affublé d’une corne à la place du cerveau, pour éventrer les gens.

Des pâleurs indistinctes, des angoisses fulgurantes, au sein des trous sans faille, une alerte donnée par le feu,

Misère de l’arrogance, misère de la sépulture, misère de l’endroit qui te donne pour vivant

Encore

Et s’il fallait se mourir, pour mieux vivre d’arrogance sauvage, j’utilise le même lexique que le vers disgracieux,

Je suis en phase avec le démon des sphères, celui qui souhaite la rechute des alcools forts,

La prégnance des indélicates prières de la conciliation, je m’aime en désespoir,

Je m’aime, si je peux m’inscrire en défaut parmi vous et vos dieux, en minuscule, parmi les toits du monde,

La peur, la petite, la croix, je ne suis pas croyant, je suis ce qui me détermine, dans un contour de voix,

Une petite peur, un tic de s’apercevoir, je m’aperçois, je me tire dessus, tu armes, tu cibles et tu tires,

La balle commet ce crime de l’adultère, ce crime, ce peu, cette peur, ce corps qui s’agace dans les territoires du vide,

De l’agence des territoires du risque, ce corps qui s’émeut en désespoir de cause, il n’y a plus de cause,

Je suis un mécréant, un sauvage, je bois, je tue, je salope dans ton ventre, je gueule et m’immondice,

Je transfère les qualités à mon double sauveur, je parle et me tue, je me tire, je tire cette femme entre les essieux,

Je m’ennuie et me tire, je bois l’eau des rivières creuses, je casse tes actions,

Dans une action bien criante, mes eaux de verre, celles qu’on ignore, mes eaux de verre, celles qu’on traverse

A coup d’étalon, celui qui paraît au-dessus des vagues de l’accomplir, je me tue, je rigole, d’action en action,

Il y a le lieu des âmes mortes, il y a le lieu de hémisphères froid, froid, froid, comme dirait mon père,

tu m’aimes ?

Au centre des centres, tu m’aimes, à chaque soir démembré, à chaque soir détroussé,

Je m’aime dans le paradis, des eaux qui claquent et disent ce qu’il me reste à vivre,

Tu dénombres ? Tu comptes, il me faut un compteur.

Néant_saccage, courte paille, il me faut un arrosoir pour mieux te distraire, carrefour des mondes peuplés, Néant_saccage, je massacre le néant du dire, pour mieux faire,

A qui tue tue, à qui mieux mieux, tire de tirer, fabrique l’action d’avant l’accomplir

Il y a toujours un devoir qui s’accomplit, une promesse qui se réalise, toujours la promesse,

On dit que, quelque part, réside la fleur d’avant-naître, celle qui d’action se forme en ventre et en ventre,

On vitupère les poissons d’organes poisseux, sexe long de la charité, tu veux que je te donne ?

Il y aurait une pitié qui s’organise, il y aurait un carrefour à traverser, une vie à vendre, tu veux que je te donne ?

Oui, je veux. Que ce mariage me tienne, me garde, m’enchaîne, me chienne, me chaîne, m’assène le fond, les bords, les angles, les clous, les coups et qu’il m’aliène le sort. Je vois la terre promise, la mienne, la chienne, la chaîne, la haine, la peine et le squelette du non-moi. Un nom se promène ou vole ou s’évapore, donne-lui apparence légère, insecte ou gémissement. Donne-lui vie, je le ferai durer.

Quoi ? Un poisson d’argent, une vente d’armes, des actions qui t’autorisent, tout se forme et se transforme dans l’autorité,

Sauvage d’avant-naître, qui te graisse l’essieu ?

Qui de toi ou de moi, parfait son origine, comme autant de nombres à compter, à recompter, sans foi, mille moi ?

Qui ? Il faudra faire la part de l’origine, Néant_saccage, je casse mes vitres et me remplis d’aube froide, je me mort, à travers ce qu’il reste de nombre,

Il faudra compter l’origine et percevoir ce qu’il reste du naître, ce qu’on en voit, ce qu’on en imagine, ce qu’il reste des nombres, sablier des neiges chaude,

Je me corps dans l’abstinence, je me transbahute, loin des corps, il y a une réalité qui s’imagine loin de moi, dans la pâleur des sois imbibés, d’alcools et de manques, de fortes doses de transport,

D’urgence, on m’accompagne à l’hôpital, c’est le lieu des transfères, j’accompagne la bête, celle d’abstenir,

Je t’aime de me désirer, y a t-il un accord à parfaire ? Balle dans tête, néant_saccage, bête noire, boîte crânienne, il se peut que nous n’arrivions pas au bout du jeu,

Il se peut que nous fassions le jeu des témoins, ceux qui ont vu et disent par silence, par touches de silence, appuyés.

Sur le front du crâne, je me vitupère, salope, singerie, signerie,

A en produire des signes

Je n’imagine plus parler en ton absence. Néant saccage. J’implore ton aide.

Néant saccage, il y a des meurtres organisés par les bons soins de ma femme, ma peau de femme, mon ignorance, mon obscur devenir, ma femme, ma mie, mon angle, ma morale,

Que puis-je pour toi, je te montre le scarabée, la sauvage bête d’accomplir, il y a un drame de l’action, vous le savez

Comme Dieu, d’être toujours en retard sur la Parole, Dieu est un monstre et nous le montrons je m’aime de désespoir, je m’enquiquine sauvage,

Il me paraît insignifiant de contrefaire les béances du signe, je me singe, et toi tu te parfais,

Je me signe et toi tu te travestis, tu t’escamotes, sec, en ta demeure, celle de l’être, c’est toujours une demeure, celle de l’être, c’est toujours un mourir précédé d’un dé,

Non d’un dé à coudre mais d’un dé de hasard produit par le vent des signes,

Signe des enchantements, parfait produit de la Beauté, celle qu’on ignore, la déjà sue, la pauvre beauté, la minuscule, la peu, la peur de la beauté, la sauvage dans la sauvage, tu me dis des mots d’amour,

Tu me dis : TOI, je te dis qu’il est encore un signe précurseur, c’est l’action antérieure, l’action que recouvre cette présence de la mémoire,

C’est pourquoi il demeure nécessaire de s’écrire, ventre au vent, perdu d’âme fleuri, dans un temps qui n’est plus, dans l’avance du temps, le soi se pénètre de langues neuves,

C’est la verge, c’est la vulve qui détient le secret de l’apesanteur, c’est elle qui finalise le coefficient de toute marée, ô lune, combien je te hais,

C’est la pénétration dans l’action qui m’émeut, et me chante, c’est la pénétration dans le nom de l’avancée, dans l’action, c’est le dard à la place du crâne qui me tonne,

M’est-il plus nécessaire de t’entendre ou de t’écrire ? Ma parole est sans semence, la vie plus certaine que la mort. Par texte, j’entends la forme définitive d’une expérience qui, à supposer qu’elle soit possible, définit le cadre strict dans lequel un événement unique est amené à se reproduire.

La vie se casse au profit de l’écriture qui se casse – la suite, dont je sens qu’elle demandera un engagement personnel que je veux différer aussi longtemps que possible, cherchant mon lieu dans la rage d’emboîter les événements réels dans la folie de raconter, sans avoir besoin d’en venir au fait, ni de me demander si une succession de mésaventures peut se trouver théâtralement liée aux décisions importantes d’une vie, si le flic de l’autoroute que je suce chaque mardi et jeudi sur le parking de l’aéroport, si le prêtre qui m’a violé derrière le projecteur super-8 durant les cours d’instruction religieuse, dans cet institut pour gosses de riches, vingt-cinq ans plus tôt vers le même aéroport, si le russe qui m’a étranglé en se branlant dans mon oreille et que j’ai fini par poignarder, si le professeur de mathématiques appelé à mon chevet alors que j’étais alité pour des mois, qui rythmait mes récitations à coups de langue, peuvent expliquer de manière convaincante, c’est-à-dire sans recours à la psychanalyse ou à la poésie, mon besoin de violence.

Multiplication à l’infini, pour te dire, pour dire la croissance de tes cheveux dans l’abîme du temps, multiplication des organes dans ceux que l’on ne sent plus, à l’intérieur, à l’intérieur du territoire du vide, je m’en veux

Il paraît, qu’à l’inverse, nous aurions pu recevoir quelques dons de ce qui n’existe plus, un peu de mémoire en échange d’un peu d’organes, c’est chose faite, c’est chose dure, c’est chose crue, c’est chose d’ivoire, c’est chose excellente,

Il paraît que nous aurions pu prévoir le désastre avant de le survivre, il y a quelque chose qui me chagrine dans le train des choses, sur le chemin qu’elles prennent, leur sinuation, leurs contours et ce qui les font

Néant escape

Par ce trou, quiconque se montre tel qu’il est, doit être appelé animal. Nous sommes les chiens de nos voix intérieures, elles nous tiennent dans l’illusion de choisir et nous jettent d’impact en impact, de défaite en défaite. Contrairement à toi qui travailles à ton salut, je n’ai d’autre parole que sociale. Je ne sais pas quelle chose est excellente, je ne connais pas ma condition, ni mon rang sur l’échelle des valeurs. Ce que j’ai reçu en matière d’organes ne suffit pas pour faire un homme. Limites au-delà desquelles soi devient autrui.

Tu veux t’en sortir, de ta condition, tu veux t’en sortir, de ton antre, de ton carrefour, pieds de grue, tu veux t’en sortir, il paraît que tu veux t’en sortir,

Sortir de soi pour faire du moi ce qu’on n’advient pas, pour faire de soi ce qui advient ‘malgré’, pour le soi le devenir, un rien tambouille, un rien croquemort, un rien esclave

Je sors, je parcours les villes lunaires, pas une personne, pas un chat, une ombre, un chien, une tuerie, je chante ce qui me tue ou me tuera, je me réjouis de cela, on dit que la mort y a fait des petits, des petits de la mémoire

Je sors et m’échappe, il paraît qu’il y a des vases clos, qu’on peut en sortir pour en retrouver un autre, de vase en vase, de source en source, de fontaine en fontaine, il paraît qu’on peut en sortir par le silence ou le vacarme de l’eau,

Le silence de l’eau qu’on effraie, le silence de tout un royaume, le silence qu’on peut aimer, le silence amer, le silence qui nous charge, et que l’on charge d’une amertume qu’il faut impérativement décevoir, une amertume qui ne va pas de soi

Le vacarme de l’eau qui se défile, qui coule, dans la fontaine et se rechute et se claque, je lui dis d’aller parler au vent, de lui dire ce que l’eau a sur le coeur, ce que l’eau ne permet pas de faire, je dis à l’eau de se parler à elle-même et de se tutoyer

comme chaque fois que je me dédouble, pas moyen de redresser, je me vois en toi comme je me vois enfant à Brooklyn où toute cette histoire de violence a commencé à cause d’un pigeon, d’un moineau ou de n’importe quoi de blessé traînant sur le trottoir, expliquant le reste. Il y a toujours un reste, sautant d’un programme à l’autre, cette viande psychique qu’on ne peut faire taire, carcasse de répulsion murée là, avec le sentiment d’exister, le sentiment du corps, la place, le poids des organes, la rondeur de l’esprit qui les voit et qui les palpe, le crépuscule magnifique à cette hauteur de connerie, l’eau jaune dans laquelle toutes ces familles sont en train de se noyer, l’eau jaune, sans métaphore, la pisse vraie, la vie simple. La vie des gens simples qui ne parlent pas la langue de ceux qui écoutent l’émission, de celui qui leur fourre un micro sous le nez.

Un homme baragouine quelque chose en espagnol : avant on vivait pauvres, maintenant ce sont les maladies, la grippe porcine sur la route fédérale 140, direction La Gloria, les cuves, l’épicentre, le premier malade, Eduardo, douze ans, son fils adoré, il ne sait ni chanter, ni rien de spécial, mais il a guéri, il cumule le porcin, l’aviaire, l’humain, la combinaison qui a permis au virus de muter, de percer la couenne du cochon aux abords de l’odeur des cent mille porcs qui sont abattus avant l’âge de six mois, de percer la peau de ce gamin qui n’a pas l’âge de mourir, qui n’a aucun talent particulier sauf le foot peut-être, et l’éloquence, cette éloquence qui trouble ses parents, il faut voir à quoi ils sont habitués, cette platitude sous un ciel fin de bêtes, il utilise des formules mouvantes, module, va dans les coins, les pleins, les déliés, rien d’exceptionnel, trotte, c’est toute la langue qu’on entend, pareil que les insectes, il n’est pas celui qui invente, il y va, les autres existent, lui non, juste noir, luisant, doré, il bifurque, avorte, mais n’hésite pas, le geste sorti chair, partout sur son terrain, enfin ce n’est pas pour ça qu’il s’en est tiré, maintenant assis au bord des cuves, cinq ou six millions de porcs, mais aujourd’hui le peuple se soulève, le peuple c’est trop dire, les habitants, quelques uns, à peine, l’indifférence, la peur, trop fortes, ils ont été frappés, intimidations et tout le bazar, mais plusieurs villages ont participé à la résistance dans l’enceinte des cochons crevés, différente de celle des excréments, dit Don Vincente, le père, voilà comment on économise les frais d’un incinérateur, l’ami. La putréfaction s’infiltre, mouches et chiens errants, le gouvernement prétend, mais je ne comprends pas ce qu’ils disent. Elles sont scellées, ces cuves, huit mètres par trois, remplies d’innombrables cinq cent cadavres de porcs dans chacune des fosses, tout s’infiltre, la nappe à dix mètres de fond, la fosse à cinq mètres, alors… Nos enfants, d’ailleurs, la pourriture et le gouvernement, sur les berges des seringues. Gaz, ammoniaque, hormones, antibiotiques, lagons d’oxydation, les résidus solides sont déversés dans les champs, le reste s’infiltre. Il y a toujours un reste. Autrefois, avant l’implantation, tout était sain, dit le père, normal quoi, on se flinguait pour des causes justes, parce qu’on ne supportait plus le goût du pain au raisin, des trucs du genre. Mais maintenant, putain, maintenant. Le ministre avait expliqué sans aucun doute, les prélèvements comme veut l’OMS, cinq cent personnes, les prélèvements, il me semble, je crois.

On plie. On salue. On s’en va.

Tu veux sortir de la prison, tu veux, tu veux, il y a des trombes d’eau qui se faufilent, doucement, à l’encontre des vagues, il y a des gouttes de pluie qui se libèrent, des larmes qui se défont,

Que je disjoncte ? Que je perde la tête, la frileuse, la perle, la scansion, que je perde un câble, une nausée sur ma tête, une référence ténébreuse, si je disjoncte c’est pour mieux vous définir, Madame, pour dire du vous et du toi, pour me parfaire d’ignorance, tu m’entends ?

Que je disjoncte ? Pourquoi pas, pourquoi ne pas, pour le néant_saccage, pour la frime, pour la firme, pour en découdre, pour ne devenir qu’une note en bas de page, que je disjoncte pour la malle, pour casser du vide, être un casseur de néant……………………………………… un remplisseur