Archives de catégorie : 2010

Priscilla Grosjean | Du bruit de l’action violente, du choc face au silence de paroles sourdes

Je me souviens d’une pièce de théâtre : bruits constants, tout bouge.

La scène se remplit aussi vite qu’elle se vide. Des comédiens sortent de partout, de partout sortent des clandestins.

Corps mis en avant : nous suivons, rien ne devrait nous échapper. Étonnement : nous fixons leur visage, nous palpons l’agitation, cette passion et l’inquiétude qui s’en dégage.

Clandestins soulevés par la mer, ils s’échappent. L’eau et la musique emportent le spectateur figé au sol.

Cris : on les entend à travers le vent, on ne voit que les membres qui se tendent, les mains qui agrippent, les doigts qui s’écartent, ils appellent à l’aide.

Liberté : des tas d’êtres humains bougent, s’élancent vers quelque chose, on meurt.

Agitation : des vagues se forment, tout va s’engouffrer, ce drap se soulève, se secoue, se remue.

Soulagement quand d’autres comédiens sortent des côtés, courent, s’élancent, chacun emporte le drap, balaie la scène.

“J’écris ton nom” : message de fin. Une énergie, une action. Possibilité de comprendre l’autre…

Le Dernier Caravansérail, le fleuve cruel, un passage en Afghanistan, mise en scène d’Ariane Mnouchkine, création collective du Théâtre du soleil, 2004

Pierre Antoine Villemaine | Le corps inconnu. De la parole écrite

Ce qui est en train de poindre, de se frayer une issue vers toi. Cela arrivera-t-il à naître, à survivre ? Ce n’est point sûr. Cela est bien fragile, n’ose se présenter en pleine lumière, cela semble déjà reculer, semble revenir à sa source. L’esquisse qui vient n’a que peu de poids, mais on sent de la détermination en elle. Le plus difficile pour elle sera de se maintenir en cette précarité. Ca zigzague, ca griffonne apparemment sans but. L. est extrêmement absorbée par le contact de l’air sur sa peau et cette sensation lui donne un air trop sérieux, elle le sait et aussitôt elle se détend, s’abandonne sans réserve à ce corps qui commence à prendre de la consistance, qui commence à sourire. Ce corps ne sait pas qu’il est regardé. Il ne faut pas qu’il le sache. Elle est maintenant ce corps étendu, endormi. L. est cette femme très belle qu’il regarde avec envie, il l’a dévore des yeux mais ne la touche pas encore. Qu’est-ce que la grâce d’une pensée ou d’un corps ? La légèreté, la transparence, le sourire ? L’invitation à la profanation ? Dans son sommeil, elle se sent regardée. Elle ne peut dire d’où provient ce regard, mais elle en reçoit l’intensité, comme une pointe qui traverse ses cheveux, touche crûment la peau. Presque une brûlure. De son visage jaillira bientôt une brumisation de paroles : « cela ressemble à la vie », dira-t-elle.