Priscilla Grosjean | Un regard


Nous nous sommes connus dans l’inconnu. Elle écrit sur tel ou tel sujet connu, écrivant, elle pousse le connu vers son origine inconnue. Sensible à cette démarche, à ce parcours oscillant, nous pensons à un autre inconnu, ici et là, du passé au futur: Celui qui ne m’accompagnait pas.



Face à cette écriture, face au spectacle des sons, le regard se pose sur une sorte d’écriture. L’écriture voulue, sentie. Le choix d’une technique, d’un sens du langage qui sera jeu voir je. Cette matière trouve son sens dans une écriture expérimentale : exposition des mots, de ponctuations pour atteindre ce qui est vu, entendu. L’histoire racontée ne pourra prendre son sens que dans l’énigmatique voyage du regard de l’écrivain, de sa vision des mots qui soutiennent la matière ressentie.

Ce que le lecteur ne verra pas

Approcher l’écriture dans sa part d’illisibilité, ressentir ce qui est incompréhensible : telle est l’écriture de Maurice Blanchot, telle doit-être l’écriture. Cette matière expressive, subjective et recluse n’est que le compagnon silencieux et énigmatique de la création littéraire soumise à notre regard. L’acte d’écriture si atypique n’illumine que par soubresauts cet espace sombre mais évident. L’acte de la lecture, ne peut se faire que mot à mot jusqu’à la ponctuation : l’écho, la clé à cette sensibilité.

Enfin, l’écriture est l’atmosphère, l’attention que l’écrivain porte à ce qui l’entoure. Alors la forme, la matière, le matériau du style, le choix d’une technique de rédaction est et doit être le sujet premier du livre, de l’histoire. En fait c’est l’histoire racontée.

L’illisibilité ?

Mot et image. Technique et image. Matière et image. Le contact doit se faire. Mot à mot avec le mouvement du jet de mots, des sens et non-sens : pourquoi pas… Illisible face aux regards extérieurs, essentiel pour l’écrivain confronté à l’écho, l’expression d’une perception, d’une ombre, voire d’une rêverie solitaire. Mais, cette relation ne peut que se heurter à l’image qui n’est qu’un reflet senti, éprouvé, subi. Alors le secours d’une idée riante est inévitable. Pour cela l’artifice, la méthode, l’habileté, la technique sont nécessaires.

Si le lecteur est trop prompt à finir le livre, si la lecture ne se résume qu’à l’acte redondant d’un mode de lecture, de lisibilité toujours le même, alors la forme, la matière est délaissée, inhabitée en fin de compte. Il faut pressentir que sans cette adhésion entre le processus littéraire et l’image, l’atmosphère, un personnage sont indivisibles, s’attachent, s’accouplent et dépendent l’un de l’autre.

Enfin, la déformation, l’imperfection deviennent l’habitude habitée de l’acte de l’écriture : solitaire, peut-être, illusoire surement mais palpable à coup sûr.

L’écriture palpable…

Le résultat est alors évident, il se manifeste par ce jeu des techniques, de la matière comme miroir de l’écriture, essentiel pour sa progression, son avancée.

D’autres arts paraissent plus à même de rendre le lecteur voyant, inspiré. Il ne s’agit pas d’identifier l’histoire qui ne doit être qu’un prétexte à l’écriture dont la maîtrise prime car elle habille le sens, l’émotion, le contact, l’imaginaire, les visions du lieu et du personnage. Elles sont indivisibles. Croire le contraire c’est amener l’écriture dans une lecture vide, dénudée, inoccupée. Un langage complet où se reflètent les sons, les formes. Percevoir une réalité, une logique d’écriture, vision de l’écrivain. La nécessité d’une méthode, d’un artifice rend fécond, inépuisable ce corps multiforme. On ne peut que tendre à cela. Ainsi il ne s’agit pas de copier ce que l’on voit, mais d’en prendre les éléments et de fabriquer un nouvel élément.

Suggérer la lecture, animer l’écriture. L’écriture par son style, son ton est l’unique personnage de l’histoire. En fait, c’est le personnage dominant, élémentaire, mais c’est la cause de l’acte d’écrire, à la fois le but et l’origine de cette démarche.

Possibilités…

“Il y aurait une écriture du non-écrit. Un jour ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt.” Duras, Ecrire, La mort du jeune aviateur anglais

On imagine alors qu’il avait tendance à laisser la bouche grande s’ouvrir et la bave dégoulinait. La tête levée de l’oreiller, pour plus d’inspiration la tête se courbait en arrière. La narine soufflait l’air que je recrache.

D’une chambre : large. Des deux fenêtres.

D’un lit au centre : tête contre le mur.

D’une armoire vers la seconde fenêtre.

Un lac gelé. Des montagnes de collines vertes : seulement on ne voit que le blanc.

Dans le lac à part des rochers : on jette des pierres.

Il s’approche d’une glace-oh ! : d’un œil sourd aux appels d’une mère, il quitte la chambre.

De couloirs en couloirs : droit : droite : devant lui, il entre. La porte est légère. D’une pièce grande les fenêtres, il se dirige, dispersée de gens qu’il ne connait pas encore. Concentré aux rires d’un verre. Placées dans chaque main les assiettes se finissent déjà, à la pointe de ses pieds, ils tendaient leurs joues rassemblés maintenant en un petit groupe. On est assis. Il riposte, placé aux pieds qui le cognent. La table est bien trop basse. Il se retrouve au milieu appelé par tous : entendre, répondre, nombres de phrases interrompues : appelé par tous, coupé pour la plupart, il ne répondrait plus.

On attend les derniers arrivants : six heures déjà les yeux sont rieurs. Il n’aperçoit que les rideaux : lisses. Journaux et livres : la porte ouverte les laisse entrer. On se lève, on lape doigt par doigt, on l’affectionne. Penché vers sa mère qui s’attendrissait encore, on recule de quelques pas bien placés, il sautillait de lignes en ligne du parquet : il courrait vers le fond de la pièce pour attraper l’autre porte, poussé : il entre.

De l’unique table sombre : de papiers, bibelots disposés, de toutes formes possibles. Du coin il aperçoit la statue, longe le mur, il s’y arrête. Touché d’affection le léopard jaune tâché de noir meublait à lui seul la pièce en longueur : cassé. Il passe derrière le rideau rouge épais. Appelé, attrapées aussitôt, les lunettes qui descendent le long de son nez, il tient sa respiration, rouge, d’un bond il est suspendu au dessus du sol, parquet haleté par la voix de sa mère : il enjamberait la balustrade et roulerait jusqu’en bas des escaliers… Il écoute les voix saucissonnées de morceaux de pain blanc, manquait de quelques minutes, il embarquerait les serviettes, il les ferait voler par dessus les têtes…

Adapter

Adapter le langage à ce qui est ressenti, expliquons. Il s’agit de situations où l’écriture et sa technique doivent prendre en compte l’action, le sentiment, la perception du personnage qui rend compte de l’histoire, ainsi d’images. Dans l’article précèdent, il y a une pièce qui contient des adultes. L’enfant apparaît et s’oblige à faire la bise. Son sentiment à ce moment précis est simple : il est difficile de par sa petite taille d’atteindre le visage de ces adultes. Ainsi, je ne dis pas que la salle est pleine de monde en train de rire et de boire, que l’enfant perdu se trouve obligé de baisers ces joues d’adultes et qu’à cause de ses petites jambes il se tend tant bien que mal et se trouve retenu malgré lui dans les bras de cette foule… Mais je dis : “Concentré aux rires d’un verre. Placées dans chaque main les assiettes se finissent déjà, à la pointe de ses pieds, ils tendaient leurs joues rassemblés maintenant en un petit groupe. On est assis. Il riposte, placé aux pieds qui le cognent. La table est bien trop basse. Il se retrouve au milieu appelé par tous…”.

La matière du langage est essentielle pour déchiffrer la situation, l’atmosphère d’un lieu et surtout comprendre ce que peut ressentir le personnage qui subit l’histoire. Le jeu du style est associé à cette logique d’écriture, celle d’un langage qui se redéfinit par rapport à la situation réelle en pleine action.