#01 | Déplacer Maurice Blanchot

Lorsque nous avons décidé, Parham et moi, de créer une revue, nous ne pensions pas, réellement, débuter par un numéro sur l’œuvre de Maurice Blanchot. Nous pensions pouvoir explorer de nouvelles pistes, et changer d’air. Rappelons que Parham Shahrjerdi est le webmestre et l’âme du site Espace Maurice Blanchot. Ce site, qui connait une grande affluence journalière, existe depuis 2003 et demeure la source principale des actualités et ressoucres autour de l’œuvre de l’écrivain. Quant à moi, sans être ni blanchotien, ni universitaire, j’ai publié chez François Bon le premier volet d’une réflexion sur le processus littéraire, La littérature inquiète, premier volet dédié à Maurice Blanchot. Enfin, ensemble, nous avons réalisé, exposé à la toute fin de ce recueil, le travail de compilation de la Bibliographie critique de cette œuvre. Alors nous nous sommes glissés, tout naturellement, dans le cortège de ces “lectures”, de ces “compositions”. BV.



Déplacer Maurice Blanchot. Dans un premier temps, sans doute. Car, à présent que le recueil est composé et que ses différentes parties sont accessibles, nous sentons bien que nous n’avons accompli qu’un premier pas.

Déplacer Maurice Blanchot. Au départ notre objectif était double. Nous étions dans une période de tensions diverses, en 2007-2008 et 2009 quand nous avons posé les prémisses de ce numéro, ainsi que ceux de cette nouvelle revue. Le nom de Blanchot était rebattu souvent. Il y avait les pro-Blanchot, il y avait les anti-Blanchot. Surtout, il n’y avait plus Blanchot, qui avait disparu complètement en 2004. Les familles se divisèrent alors.

Cette œuvre, maintenue terrifiante du temps de l’absence inquiète de son auteur, était soudain devenue l’objet de toutes les attentions, de toutes les convoitises, même.

Puis il y avait l’œuvre, qui demeurait. Mais demeurait-elle ? Demeurait-elle inerte, inoffensive ? Non, bien au contraire, on s’empressait de découvrir de nouveaux textes, de nouveaux livres, des premières versions et même des premières versions de premières versions, des ur-livres, des arkhè-livres.

Assurément, la vigilance s’impose à qui regarde ces livres avec humilité.

Tous les motifs éditoriaux devraient s’inspirer de l’exigence répétée tout au long de ces pages. Déplacer Blanchot aurait été pouvoir réduire en miettes cette figure symbolique extravagante, imposante, effrayante : cet auteur, d’un côté honni, de l’autre adulé. Nous ne sommes pas idéalement placés pour prétendre juger, orienter, conseiller – et loin s’en faut.

Alors, notre second but ? Déplacer Blanchot : le donner à d’autres, donner ce nom non comme symbole mais comme signe d’une œuvre immense, malgré tout, diverse, et pourtant toujours singulière, solitaire, unique.

Notre postulat a été de donner à plusieurs amis (c’était l’une des règles du jeu) des livres de Blanchot. A charge pour eux d’en retirer une matière, quelle qu’elle soit, sous quelque forme que ce soit, qui n’en servirait pas d’illustration, mais qui accompagnerait, engendrerait, ou dériverait, un souffle. Une impression, un espace, une atmosphère, un nom, un territoire, une métaphore ou un mot.

Le résultat est tout aussi surprenant qu’hétérogène, et pourtant, pourtant, qu’on sache que chacune de ces propositions provient, ou longe, ou sous-tend un livre de Blanchot, et c’est l’évidence même.

Tous les livres n’ont pas été choisis. Parfois plusieurs livres apparaissent dans la proposition. Peu importe, puisque notre objectif, cet objectif second qui est devenu le tout du projet, délaissant le premier à plus tard, à la confiance vers l’inconnu, à l’ouverture de la main, forme un ensemble si inquiétant et si riche, si prometteur et si dense, si hospitalier et si rèche, aussi, que nous nous considérons satisfaits.

Au final, nous avons répondu à une double demande : celle de la revue naissant sous vos yeux par ce premier numéro, et celui d’une proposition, nous ne le répèterons jamais assez, dans la forme et l’intention, aussi divers. Ces tessons nous surprennent, car en eux s’épuise l’auteur sans que jamais ne s’épuise l’œuvre. Donc appartenant à tous, et même écrits et toujours écrits, non par un seul, mais par plusieurs, tous ceux à qui il revient de maintenir et de prolonger l’existence à laquelle je crois que ces textes, avec une obstination qui aujourd’hui m’étonne, n’ont cessé de chercher à répondre jusqu’à l’absence de livre qu’ils désignent en vain.